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Hypothèse 1 : la page blanche pensée comme espace transitionnel au sens de

Chapitre III : DE LA REEDUCATION A LA THERAPIE DU LANGAGE ECRIT

III. Synthèse et discussion

1. Hypothèse 1 : la page blanche pensée comme espace transitionnel au sens de

Rappelons notre première hypothèse : la feuille blanche, en tant qu’espace délimité,

peut être pensée comme espace transitionnel au sens de Winnicott.

1.1. L’espace de la feuille blanche : un espace de transition

Pour les trois sujets de notre étude clinique, l’évocation était trop difficile en début de prise en charge. Ecrire sur proposition libre de l’orthophoniste leur était impossible. En fin de prise en charge ou au moment où se sont arrêtées nos observations, leur évocation s’était améliorée et l’écriture spontanée était devenue possible. Une transition d’un état initial – la situation d’« angoisse de la page blanche » – à un état final – cette angoisse paralysante a disparu – a eu lieu.

Pour chacun de nos trois cas, un même « dispositif thérapeutique » a été proposé : un travail d’écriture partagée a en effet été engagé très rapidement après le début de la prise en charge. Ce travail s’est organisé autour d’une même feuille, à l’aide de divers objets médiateurs (langage oral, jeu, dessin, écriture). Ces objets médiateurs, utilisés au sein du cadre thérapeutique et dans le contexte d’une écriture partagée, ont servi de médiation. Dans ce dispositif thérapeutique d’écriture partagée, l’ensemble « feuille blanche » et « médiation » a fonctionné comme un espace de transition, qui a permis une transformation du rapport des trois enfants à l’écriture.

1.2. La page blanche considérée sous l’angle de l’espace transitionnel selon Winnicott

L’espace de transition que nous venons d’évoquer, constitué par le dispositif d’écriture partagée (utilisation combinée de la feuille et des médiateurs) pourrait être appréhendé de

différentes manières. Toutefois, lorsque nous avons choisi notre sujet de mémoire, c’est sous l’angle de la théorie de l’espace transitionnel telle qu’élaborée par Winnicott que nous souhaitions mener notre réflexion. Nous allons donc maintenant voir si la page blanche pourrait effectivement être ainsi conceptualisée.

La page blanche est un objet concret, solide, extérieur. En y inscrivant ses mots, l’écrivant doit composer avec cette réalité. Plus profondément, en écrivant sur la page blanche, il s’agit d’affronter les contraintes de la langue, du vocabulaire, de la grammaire, des normes sociales, d’accepter tout ce que l’écriture implique et engendre. Mais dans un même temps, cette page blanche est un espace offert aux désirs personnels de celui qui la noircit. Elle peut tout éprouver et ne connaît pas d’inacceptable. Elle peut être froissée, jetée, brûlée. Elle peut aussi être conservée, encadrée, montrée. La page blanche laisse la possibilité de malmener la langue ou… de la respecter. Elle est un espace de jeu entre l’environnement du patient et le patient lui-même, un espace de rencontre qui appartient à la fois au patient et à celui qui reçoit ses écrits. Dans l’expérience d’écriture partagée, où patient et orthophoniste écrivent sur la même feuille, cette rencontre est encore plus marquée que dans l’écriture individuelle, où l’écrit s’adresse à un Autre absent. La rencontre entre l’écrivant et le destinataire se fait dans des modalités différentes. Cet espace de jeu est donc en quelque sorte à la fois extérieur et intérieur. On reconnaît bien là les caractéristiques de l’espace transitionnel, « potentiel », tel que l’entend Winnicott. Evidemment, l’espace transitionnel n’est pas la page blanche elle-même, pas plus que l’espace qu’elle délimite par ses bords. Un espace transitionnel ne peut être un lieu concret. Mais l’ensemble du processus d’écriture à deux – articulé donc autour de la page blanche – s’avère thérapeutique, par les « règles » qui sont déterminées (dépendantes du type d’écriture partagée « choisi »), par l’étayage de l’orthophoniste, la verbalisation, les questions et commentaires formulés, ou encore les temps d’échange et de réflexions… Le travail organisé autour de la page blanche offre au patient la possibilité d’agrandir, d’étendre l’espace potentiel déjà offert par le cadre thérapeutique lui-même. Le terrain de l’écriture partagée est une aire de jeu. Un espace potentiel d’échange, de communication et de création se constitue. Il s’agit d’un espace « trouvé-créé » : le processus d’écriture partagée, proposé par le rééducateur, est en quelque sorte « trouvé » par l’enfant, qui l’intègre progressivement pour le mettre au service de son propre fonctionnement. La créativité du patient ainsi mise en jeu permet l’existence d’un espace frontalier, un espace intermédiaire, transitionnel entre deux territoires : la réalité du dedans – ce que le patient pense, ses tensions internes – et celle du dehors – la manière dont le patient s’exprime effectivement en s’inscrivant sur la feuille, en y trouvant des points d’appui –. Car l’écriture partagée donne bien au patient un moyen supplémentaire d’ériger un « pont » virtuel entre lui et l’autre, d’entrer dans une dynamique relationnelle, de s’ouvrir à la symbolisation : il y a rencontre. Ce sont donc bien des phénomènes transitionnels qui sont à l’œuvre.

Par l’écriture partagée, chacun vient finalement déposer, en s’adressant à l’autre, « de son intériorité » sur la page blanche. A l’autre de s’en saisir alors, de mettre « cette extériorité » déposée au service de sa propre réalité interne, pour finalement modifier son rapport au langage, un langage adressé.

Cette réflexion, effectuée à partir des résultats que nous avons obtenus, nous permet d’aller dans le sens de notre hypothèse : l’espace partagé, celui de la feuille, pourrait être pensé comme un espace de transformation au sens de l’espace transitionnel winnicottien.

Cet espace partagé, espace d’étayage, permet de mettre en jeu des représentations qui, à leur tour, permettent la mise en lien de la réalité avec la scène fictive de la feuille. En écrivant des représentations qu’il s’autorise à symboliser et qui sont satisfaisantes pour lui, le patient crée des solutions qui lui sont propres, à la fois spécifiques à ses besoins et adaptables au monde. Il expérimente une nouvelle manière d’être au monde et aux autres et peut transformer son rapport à l’écriture.

2. Hypothèse 2 : l’écriture « partagée », un tremplin vers l’écriture