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CHAPITRE 1 : L’ÉTAT ET SES PRINCIPAUX ÉLÉMENTS DE DÉFINITION

1.4 La souveraineté

La souveraineté de l’État tient au fait qu’il est le maître absolu sur l’ensemble de son territoire. Brownlie, par exemple, décrit la compétence des États par rapport à leur territoire (leur autonomie territoriale) en termes de souveraineté (Brownlie, 1990, p. 108). Il faut entendre par là que les États, en plus de l’inviolabilité de leurs frontières, peuvent librement à l’intérieur de celles-ci, choisir et développer leurs systèmes politiques, sociaux, économiques et culturels et ont le droit de déterminer leurs propres lois et les modes de régulation qu’ils veulent mettre en place (Acte final d’Helsinki, 1975, p. 3). Il existe cependant plusieurs définitions de ce qu’est la souveraineté, puisque le sens et les termes employés diffèrent selon le contexte dans lequel ils sont utilisés (Krasner, 1995- 96, p. 121). Krasner a ainsi identifié quatre différentes manières de faire référence à la souveraineté. D’abord, la souveraineté peut être comprise comme étant à la fois un degré de contrôle exercé par une entité publique et l’organisation de l’autorité à l’intérieur de frontières territorialement définies. Dans cette optique, l’inhabileté d’une instance publique d’assurer un contrôle ou même un déficit de contrôle de celle-ci est vue comme une perte de souveraineté. Ensuite, la souveraineté peut être vue comme étant synonyme d’un degré de contrôle des autorités publiques sur des mouvements transfrontaliers. Ici,

l’inhabilité à réguler ces flux à travers les frontières nationales est synonyme de perte de souveraineté. La troisième façon de faire référence à la souveraineté se rapporte au droit de certains acteurs d’incorporer des arrangements internationaux. Selon cette optique, les États souverains ont le droit de signer des traités. Finalement, la dernière voie par laquelle peut être perçue la souveraineté est celle du modèle westphalien. Ici, les États existent en vertu de territoires spécifiques (Krasner, 1995-96, p. 119) et leur autonomie est défendue au nom du respect du principe de souveraineté. De ce point de vue, souveraineté et autonomie sont donc fortement liées dans le système d’États modernes.

Pour les théoriciens des relations internationales, le principe de souveraineté étatique réfère à la division des sociétés politiques en unités politiques autonomes. Pour les analystes de la vie politique intra-étatique, la souveraineté réfère plutôt à la centralisation du monopole de l’autorité sur un territoire donné (Walker, 1990, p. 9). De ce point de vue, la souveraineté est perçue comme l’organisation territoriale de l’autorité politique absolue. Elle vient agencer territoire et autorité politique du fait qu’au fil de son histoire, elle fût peu à peu associée à un territoire délimité, à un espace d’autorité politique qui en vient à être compris en termes d’unités territoriales exclusives (Badie 1995, p. 46). Ces deux façons de présenter la souveraineté (par la fragmentation et par la centralisation) sont cependant complémentaires. Elles sont « simplement deux façons de dire la même chose, selon que l’on voit l’État d’un point de vue interne ou externe » (Walker, 1990, p. 9; traduction libre).

Par conséquent, la souveraineté en tant que type de relation d’autorité a ceci de particulier qu’elle possède à la fois une dimension interne et une dimension externe (Lake, 2003, p. 305). Elle est effective grâce à un consensus entre les États qui l’acceptent et, théoriquement, la respectent. Elle est un fait socialement produit par les pratiques de l’État lui-même. À l’interne, elle se définit comme étant l’autorité ultime au sein de l’État et implique une relation hiérarchique entre subordonnant et subordonné (s) (Lake, 2003, p. 305). À l’externe, la souveraineté implique une reconnaissance mutuelle entre les différents acteurs, en l’occurrence les États, qui acceptent et reconnaissent ce concept (Lake, 2003, p. 305). Dans cette optique, la souveraineté suppose alors une relation d’égalité. Cette relation d’égalité est caractérisée par le fait qu’il n’y a aucune autorité réelle qui chapeaute le système interétatique ou, pour l’exprimer dans les termes

de Kenneth Waltz, entre États souverains personne n’est attitré à commander et personne n’est obligé d’obéir (Waltz, 1979, p. 88). Le principe de non-intervention semble capital au bon fonctionnement du modèle westphalien, bien que ce principe ait été maintes fois violé. Dans son livre intitulé Sovereignty: Organized Hypocrisy, Stephen Krasner explique que le principe de souveraineté du modèle westphalien est compris comme étant « un arrangement institutionnel pour l’organisation de la vie politique basée sur deux principes : la territorialité et l’exclusion des acteurs externes des structures internes d’autorité » (Krasner, 1999, p. 20; traduction libre). Wight soutient « [qu’] il est impossible d’avoir une société d’États souverains à moins que chaque État, en réclamant la souveraineté pour lui-même, ne reconnaisse que chacun des autres États a également le droit de réclamer et de profiter de sa propre souveraineté » (Wight, 1977, p. 135; traduction libre). Le principe de souveraineté assure donc à l’État l’entière autonomie sur son territoire de même que l’égalité avec les autres États dans le système politique mondial. Ainsi, à l’externe, la souveraineté réciproque est à la base même de ce nouvel ordre international (Ruggie, 1993, p. 162). À l’interne, la souveraineté réfère au rapport entre le peuple et l’État. Ce rapport est capital puisque comme l’a fait remarquer Ferry, « la souveraineté étatique n’a de sens en tant qu’émanation de la souveraineté nationale, que si elle s’appuie sur la volonté et le consentement du peuple en corps » (Ferry, 2000, p. 116). L’État agit donc avec la légitimité fournie par l’existence du peuple et ce peuple dans l’État moderne est incarné par la nation, concept fort contesté dont l’association avec l’État comporte plusieurs conséquences.