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Le pouvoir des États en déclin

CHAPITRE 4 : AUTORITÉ ÉCONOMIQUE ET ÉTAT À L’ÉPOQUE

4.1 Les hyperglobalistes : l’État, une entité obsolète

4.1.2 Le pouvoir des États en déclin

S’il y a bien une capacité qui est propre aux États, c’est le contrôle et le maintien d’une monnaie propre qui peut être vue comme une marque de la souveraineté étatique (Agnew, 1999, p. 516). L’importance de l’autonomie monétaire pour le pouvoir étatique, et plus particulièrement pour les États les plus puissants de ce monde, a été maintes fois soulignée (Cohen, 2011, p. 5). Les hyperglobalistes estiment toutefois que la monnaie gagne chaque jour un peu plus de liberté sur les gouvernements et exige des États qu’ils soient plus flexibles dans leur degré de contrôle puisqu’une économie sans frontières est beaucoup plus indépendante des tentatives de contrôle par l’État. Avant, les États qui ne voulaient pas du système financier dominant pouvaient s’y soustraire dans une certaine mesure ; c’est notamment ce qui a mené à l’effondrement du système de l’étalon-or et plus tard du système de Bretton Woods (Wriston, 1992, p. 69). Mais de nos jours, avec les nouvelles technologies de communication, l’intégration des marchés ainsi que les accords multilatéraux entre États, on peut difficilement se soustraire au marché financier international ; il est omniprésent (Wriston, 1992, p. 70). Le marché japonais par exemple,

lorsqu’il est réellement devenu libre et global, a dû lui aussi se soumettre aux exigences du système et a vu pour la première fois les forces du marché avoir plus de pouvoir que ses bureaucrates (New York Times, 1990, p.1).

Les gouvernements doivent donc coopérer entre eux dans le but de coordonner leurs politiques monétaires et fiscales ; cependant, cela a des conséquences sur la poursuite de l’intérêt national. Wriston écrit ainsi que « chaque nation a de tout temps poursuivi ce qu’elle percevait être son propre intérêt national [mais] comme croît le poids relatif de l’économie mondiale en dehors du pouvoir de l’État souverain, la nécessité de coopération internationale croît également » (Wriston, 1992, p. 72; traduction libre). En raison du pouvoir grandissant de l’économie mondiale, les États doivent s’associer et entériner des arrangements internationaux (Wriston, 1992, p. 80) qui peuvent parfois aller à l’encontre de leurs désirs et de ceux de leur population. Même les plus puissants décideurs politiques ne peuvent plus contrôler entièrement le marché, et ils doivent collaborer pour tenter de résoudre des problèmes qui autrefois étaient du ressort de l’État (Wriston, 1992, p. 100). C’est ce qui se passe lorsque l’autorité de l’État en matière de finance et de monnaie se déplace : « quand des monnaies nationales supervisées par des banques centrales sont transformées en un marché électronique global dirigé par les commerçants de monnaie privés, le pouvoir change de mains » (Wriston, 1992, p. 4; traduction libre). Ce transfert est opéré notamment grâce aux systèmes de télécommunication internationaux, et n’est pas sans conséquence directe pour les États. Le globe entier est devenu un seul et unique marché, et les tentatives d’intervention y sont vues comme un échec (Wriston, 1992, p. 9). De fait,

le contrôle souverain sur la valeur et l’échange de la monnaie est irrévocablement compromis et continue graduellement de s’éroder. Ceci ne signifie pas que les gouvernements ne peuvent plus influencer, pour le meilleur ou pour le pire, la valeur de leur monnaie. Ils le peuvent toujours et le font toujours, mais leur habileté à manipuler aisément cette valeur dans les marchés mondiaux décline constamment (Wriston, 1992, p. 59; traduction libre).

Les États-Unis ont ainsi tenté de conclure des accords avec le gouvernement japonais pour quantifier davantage les exportations japonaises en sol états-unien, et ce, sans grand succès. Au premier regard, on pourrait croire que la faute revient au gouvernement japonais, mais l’échec résulte plutôt du faible contrôle des gouvernements sur les multiples décisions des entreprises et du marché économique global (Strange, 1996, p. 78). Il n’est pas étonnant que même les gouvernements d’États forts tels le Japon et les États-Unis aient perdu la certitude que leurs intérêts vont prévaloir sur ceux du marché32. Ce constat fait croire aux hyperglobalistes que si les États veulent encore tenir les rênes du pouvoir, du moins sur leur territoire, ils vont devoir coopérer, sans quoi ils

demeureront à la remorque de l’économie globale. Certains pourraient croire que la perte de pouvoir qui affecte les États ne s’est pas

transposée au privé, souvent perçu comme le joueur favorisé dans l’économie globale. Or, il n’y a pas que les autorités publiques qui doivent créer et entretenir des alliances ; le privé doit lui aussi passer des accords s’il veut demeurer compétitif dans une telle économie. Par exemple, Power System, la division de General Electric, a entériné 16 alliances avec 62 compagnies établies dans 19 pays (Wriston, 1992, p. 85) et de telles alliances ne semblent pas sur le point de s’estomper, au contraire. À titre anecdotique, la compagnie d’informatique IBM a conclu tellement d’alliances au Japon qu’un livre a été écrit sur le sujet (Wriston, 1992, p. 86). L’économie globale oblige ainsi les différents joueurs à transformer leurs façons de faire en termes de relations commerciales, ainsi que par rapport aux relations de pouvoir qu’ils entretiennent les uns avec les autres. Ils ne doivent plus voir le partage de leur autorité comme une menace directe à leur pouvoir, mais bien comme un moyen de tenter de la conserver, chose qui s’avère toutefois de plus en plus difficile.

L’État, pour les hyperglobalistes, repose donc sur un modèle de décision et de pouvoir qui n’a plus de sens à l’époque contemporaine. En effet, le monde, bien qu’il

32 Autrement dit, en partant du constat que la politique mondiale actuelle se caractérise par une multiplicité d'acteurs et de nouvelles dynamiques d’interdépendance associées à la globalisation, il semble bon de se questionner sur la pertinence de « cette notion [d’intérêt national] clairement associée au postulat classique d'un monde exclusivement statocentré » (Morin , 2008, p. 75). Ceci s’explique notamment par le fait que la révolution de l’information, l’intégration des marchés et les multiples accords entre États ont eu comme résultat de rendre les frontières beaucoup plus poreuses face au contrôle exercé par les États territoriaux.

n’ait jamais été composé d’entités closes, a tout de même atteint un degré de globalisation tel que la coopération entre les acteurs est nécessaire au bon fonctionnement du système. Les États ne peuvent plus se limiter à contrôler leur territoire, ils doivent désormais travailler ensemble et coordonner leurs politiques sans quoi ils disparaîtront de la scène mondiale.

La prochaine thèse se situe à l’opposé de celle qui est défendue par les hyperglobalistes. Pour elle, rien n’indique que l’activité économique soit à un tel point dépourvue de frontières physiques qu’elle échappe au contrôle des États. Qui plus est, cette thèse estime que les hyperglobalistes font fausse route quant aux capacités de contrôle et au pouvoir que conservent les gouvernements nationaux. Pour cette thèse, la globalisation actuelle ne représente en réalité qu’une internationalisation accrue. Cela n’a pas affecté fondamentalement le système politique mondial au point de faire des États des entités obsolètes. Ils ont encore le contrôle sur leur territoire et leur pouvoir décisionnel n’affiche pas de réel déclin.