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CHAPITRE 3. PRÉSENTATION DES DONNÉES

3.2. Caste and Kinship in Kangra

3.2.4. Sous-clans et lignages

Les membres d'un clan qui vivent dans un même hameau34 (ou dans certains hameaux avoisinants) forment ce que Parry appelle un sous-clan. La variabilité démographique de ces sous-clans est considérable : elle oscille entre 6 et 700 personnes. Aussi arrive-t-il que certains sous-clans correspondent au clan maximal; tous les membres du clan vivent alors au sein du même hameau.

Ces sous-clans sont eux-mêmes segmentés en lignages, explique Parry, dont la composition (encore une fois) varie considérablement : il s'agit parfois de lignages « peu profonds » (p. 136) fondés par un ancêtre récent; parfois encore de « lignages maximaux » dont les rapports généalogiques, notamment dans le cas des Rajputs et des brahmanes, remontent jusqu'à huit générations. Or, à quoi correspond donc un lignage maximal? Il s'agit, précise l'auteur, du plus grand ensemble au sein duquel 34 Je rappelle que le hameau équivaut au tika, la plus petite entité administrative à l'échelle locale, entité dont les frontières

les liens généalogiques peuvent être retracés avec précision. D'où la grande variabilité de réalités que la notion recouvre : tantôt le lignage maximal englobe plusieurs sous-clans (ibid.), tantôt il correspond au groupe d'agnats qui vivent au sein du même narar (house cluster). Les liens généalogiques précis entre agnats éloignés ne sont en fait mémorisés que lorsque ces derniers sont membres du même sous-clan. Le « sous-clan » recouvre toutefois une réalité si disparate qu'il est permis de douter de ce que l'appartenance à ce dernier s'avère véritablement déterminante. En effet, tout porte à croire que les agnats éloignés tendent à perdre de vue les liens généalogiques qui les unissent lorsqu'ils cessent d'avoir entre eux des contacts répétés et d'entretenir le bartan. Or, les contacts répétés se produisent essentiellement entre membres d'un même narar35. S'agissant par exemple des pratiques rituelles, c'est bien l'appartenance au narar qui semble prévaloir sur l'adhésion au lignage maximal. Ainsi lors des périodes de deuil, des agnats éloignés habitant le même quartier respectent-ils plus rigoureusement les prescriptions religieuses que les membres d'un lignage maximal vivant au sein de quartiers voisins.

Il ressort de cette présentation que les critères permettant de saisir les sous-clans et les lignages délimitent des entités qui, non seulement diffèrent dans leur degré d'inclusion, mais occupent pour ainsi dire des dimensions distinctes et ne peuvent s'agréger pour former un ensemble plus vaste. Je rappelle à cet égard que le sous-clan consiste en un segment de clan localisé, parfois entre plusieurs hameaux voisins, parfois au sein d'un seul narar; tandis que le lignage maximal ne correspond qu'au plus grand ensemble au sein duquel les relations agnatiques précises sont reconnues. Dans cette perspective, l'un n'englobe point forcément l'autre, et le sous-clan n'est pas une agrégation de lignages maximaux, bien qu'il puisse y avoir chevauchement, partiel ou complet, entre ces entités. Il s'agit là d'un constat important car, contrairement à la conception traditionnelle de la dynamique segmentaire, cela implique qu'il n'y a pas d'emboîtement progressif des lignages minimaux en lignages maximaux, des lignages maximaux en sous-clans, des sous-clans en clans et enfin des clans en caste. C'est aussi pourquoi un sous-clan peut parfois circonscrire un nombre beaucoup plus restreint d'individus que certains lignages maximaux.

Une citation de Parry permet pourtant de saisir l'origine du malaise. En effet, après avoir ainsi décrit ladite organisation « segmentaire », l'auteur mentionne que la majorité des sous-clans et des

35 Il importe de rappeler que le narar se compose parfois de ménages qui appartiennent à différentes castes, lesquelles partagent néanmoins le bartan. Par ailleurs, quand des membres d'un même narar sont en froid et cessent d'entretenir le bartan, c'est presque toujours en raison de contentieux liés à la propriété foncière.

lignages ne possèdent aucun nom propre. Plus encore, le terme khandan serait utilisé pour décrire indistinctement tous les types de groupements à l'intérieur des castes, depuis le clan jusqu'aux lignages « minimaux ». Aussi l'auteur admet-il enfin que les « distinctions établies entre le clan, le sous-clan et le lignage sont celles de l'observateur [en l'occurrence Parry] » (p. 137, traduction libre). Cette citation est d'autant plus confondante que Parry affirmait, quelques pages plus tôt, vouloir montrer que les habitants de Kangra se représentent leur société sur la base d'un modèle segmentaire (p. 84). Considérant cet objectif, il est plutôt surprenant de constater que l'auteur accorde si peu d'importance aux dénominations indigènes. Or, pour peu qu'on s'y attarde, les termes vernaculaires sont révélateurs, quoiqu’ils n'étayent pas l'hypothèse du modèle segmentaire. Il importe en effet de rappeler que Parry concluait, à propos des clans et des gotras, qu'ils constituent des catégories sociales parce qu'aucune

activité collective ni aucun titre de propriété ne leur sont associés. En toute logique, le même constat

devrait s'appliquer aux sous-clans et aux lignages. Je m'explique.

D'abord, il faut souligner que la notion de lignage maximal telle que définie par Parry correspond explicitement à une catégorie sociale. Certes, il arrive parfois que tous les membres participent ensemble à certaines activités (rituelles le plus souvent). Cependant, comme nous l'avons déjà mentionné, ce n'est pas en vertu de l'appartenance au lignage maximal, mais bien au narar que ceux-ci semblent y prendre part.

Ensuite, s'agissant du sous-clan, on pourrait à la rigueur prétendre que le partage du territoire est une activité et que, conséquemment, le sous-clan (le segment de clan localisé) ne constitue pas qu'une simple catégorie sociale. Cependant, l'idée même de considérer le partage du territoire comme un type d'activité apparaît pour le moins discutable, car Parry affirme lui-même que les frontières du tika (hameau) ont peu d'importance sur le plan social, sans compter que le sous-clan est parfois dispersé entre plusieurs hameaux. Dans tous les cas, quand bien même considérerait-on le partage du territoire à l'échelle du tika comme une « activité collective », il faudrait néanmoins admettre que ce ne sont jamais que les membres du sous-clan qui y participent, puisque plusieurs clans, voire plusieurs castes, vivent sur le territoire d'un même tika.

Bref, tout comme les clans et les gotras, le lignage maximal et le sous-clan s'avèrent dépourvus de représentants et ne sont associés à aucune activité collective ni à aucun titre de propriété : ils

correspondent donc à des catégories sociales, selon les critères établis par Parry lui-même. Une telle description est d'ailleurs en adéquation avec la terminologie indigène, qui n'opère aucune distinction notable entre les différents ensembles. De fait, une catégorie sociale ne possède par définition aucun organe décisionnel permettant d'imposer quelque décision à l'ensemble de ses membres. Ceux-ci ont donc beau jeu de réclamer, en fonction des circonstances, l'appartenance à telle ou telle catégorie, et l’ambiguïté même des critères qui définissent ces catégories leur offre une certaine marge de manœuvre pour occulter les inévitables contradictions qui traversent leurs discours.

Pour le propos de ce mémoire, il importe cependant de remarquer que ces catégories recouvrent, c'est-à-dire chevauchent, partiellement ou complètement, de véritables groupes (selon le sens « opérationnel » du terme), à savoir des entités auxquelles sont associés un type d'activité et des critères d'appartenance. Or, l'ethnographie de Parry révèle à ce propos un problème fondamental qui, à notre avis, mine la description de l'organisation sociale et annihile de ce fait toute tentative de théorisation fructueuse36.

Dit simplement, une bonne partie de la confusion provient de ce que Parry conçoit les groupes comme des entités multifonctionnelles définies par un seul critère (la filiation patrilinéaire ou la caste, par exemple). Une citation de l'auteur s'avère d'ailleurs particulièrement révélatrice des problèmes que cela engendre. Après avoir exposé le point de vue d'un chercheur qui souligne l'importance de distinguer le « lignage de coopération » du « lignage de recognition », l'auteur précise que, dans le cas de Kangra,

[…] une telle distinction est impossible car le « lignage de coopération » varie beaucoup trop en fonction des contextes. Les mariages et les autres grands rituels qui marquent les différents cycles de la vie requièrent la participation d'un grand nombre d'agnats, parfois même de tout le sous-clan. Lors de célébrations moins importantes, seulement les agnats proches sont impliqués. La fréquence des célébrations et le nombre d'agnats invités dépendent évidemment des ressources financières des ménages. (p. 138)

Bref, la filiation agnatique serait impliquée dans des contextes trop variés pour isoler le « lignage de coopération », et la profondeur même de la filiation varierait tout autant en fonction des contextes. Ce constat semble malheureusement conforter Parry dans une position qui, au sommaire, le conduit à voir des lignages patrilinéaires non seulement dans tous les types d'activité où la filiation 36 Je tiens d'ailleurs à souligner qu'il s'agit d'un problème généralisé en anthropologie et en sociologie, problème à propos

agnatique est impliquée, mais même lorsqu'il y a simplement reconnaissance de la filiation agnatique. Il en ressort que la notion de lignage recouvre ainsi une telle diversité de configurations qu'elle ne présente, à notre avis, aucune valeur analytique.

Il est d'ailleurs surprenant et quelque peu ironique de constater que Parry, dans le chapitre intitulé Households and their partition, reconnaît sans ambages que l'étude de la « famille-jointe indienne » achoppe sur un manque flagrant de précision terminologique, manque provoqué en bonne

partie par une définition multifonctionnelle de la notion de famille (p. 155). Si ce constat s'avère

judicieux pour ce qui regarde l'étude de la famille-jointe, il est permis de croire qu'il s'applique également aux autres types de groupement. C'est précisément ce que j'entends démontrer à présent.

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