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La base de mon corpus est constituée des procès-verbaux du Conseil de Québec et de ceux du Conseil législatif. Ces archives sont conservées par Bibliothèque et Archives Canada, sous les noms de « Minute books of the Council (1764-1775) » et de « Journals of the Legislative Council (1775-1791) »66. Les originaux de ces documents ont été retracés à la fin des années 1910 « dans les bureaux du gouverneur général et transféré aux Archives publiques67 ». En 1920, un tapuscrit (qui comporte certaines erreurs de transcription) a été réalisé sous la supervision d’Arthur G. Doughty, par les archives

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Martin PÂQUET, « Histoire sociale et histoire politique au Québec: esquisse d’une anthropologie du savoir historien », Bulletin d’histoire politique, vol. 15, no 3, 2007, p. 84.

63 « La rigueur renvoie alors à la qualité du raisonnement, à la validité du questionnement initial, à la

cohérence de l’argumentation et des preuves, à l’usage du style pour séduire et convaincre. » M. PÂQUET, « Histoire sociale et histoire politique au Québec… », p. 85.

64 Martin PÂQUET et Érick DUCHESNE, « De la complexité de l’événement en histoire. Note de

recherche », Histoire sociale/Social History, vol. 34, no 67, 2001, p. 196.

65 Martin PÂQUET, « Appréhender le problème historique de l’État sous l’approche de la culture politique.

Éléments de réflexion », Revista Anuario Colombiano de Historia Social y de la Cultura, t. 25, 1998, p. 312.

66 Procès-verbaux du Conseil de Québec, 1764-1775. Bibliothèque et archives nationales du Canada.

Councils of the Province of Quebec fonds, Book A, R10808-20-8-E; Book B, R10808-21-X-E, Book C, R10808-22-1-E; Procès-verbaux du Conseil législatif de la Province de Québec, 1775-1791. Bibliothèque et archives nationales du Canada. Journals of the Legislative Council. Journal D, R10808-24-5-E, Journal E, R10808-25-7-E, Journal F, R10808-26-9-E.

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A. SHORTT et A. G. DOUGHTY (dir.), Documents relatifs à l’histoire constitutionnelle…, vol. 1, p. xii. Auparavant, les seules copies disponibles de ces procès-verbaux du conseil se trouvaient dans la série « Q » et elles étaient indiquées dans les procès-verbaux comme ayant été envoyées du Canada en Angleterre et préservées au Public Record Office.

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nationales canadiennes, mais celui-ci n’a jamais été publié. Les originaux ont également été microfilmés en 1951.

Les trois « Minute books » du Conseil de Québec (1764-1775) sont des documents manuscrits, rédigés en anglais, et comptant 1 183 pages. Même chose pour les trois cahiers du « Council Journals » du Conseil législatif (1775-1791) qui compte 1 178 pages.

Au Conseil de Québec, du 13 août 1764 au 23 mars 1775, durant 11 années donc, le « Conseil de Sa Majesté de Québec » orchestre la vie civile des habitants de la Province de Québec. Les affaires législatives et exécutives sont réunies dans les mêmes cahiers.

Au Conseil législatif de la Province de Qubec, du 17 août 1775 au 30 avril 1791, les conseillers législatifs s’affairent à l’étude et l’adoption des ordonnances de la colonie. Durant ces 15 années, les pouvoirs législatifs et exécutifs sont séparés, ce qui a pour effet de distinguer le contenu des procès-verbaux du Conseil législatif de ceux du Conseil de Québec.

Entre 1776 et 1791, les minutes du Conseil exécutif sont enregistrées dans d’autres registres. Ceux-ci ont été consultés en guise de comparaison, mais ils ne constituent pas l’objet central de cette thèse axée autour de la procédure parlementaire.

Les procès-verbaux des corps législatifs de la Province de Québec décrivent et résument les travaux à l’ordre du jour. Il s’agit de comptes rendus officiels dans lesquels, entre autres choses, sont enregistrés les résolutions, les ordres et les projets d’ordonnance adoptés durant les séances du Conseil de Québec et du Conseil législatif. Des copies étaient envoyées à Londres afin que les membres du Conseil du commerce (Board of Trade) et du Secrétariat d’État aux Colonies (Colonial Office) puissent superviser l’administration coloniale68.

68 En lisant sur le sujet, je remarque bien vite que la plupart des historiens n’ont que peu, mal ou pas

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Ces procès-verbaux été retranscrits par une équipe que j’ai dirigée à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec69. Ces archives seront bientôt versées en ligne sur le site Documents politiques et parlementaires du Québec70. Pour mes analyses, une version préliminaire de cette édition des procès-verbaux du Conseil de Québec et du Conseil législatif de la Province de Québec m’a facilité la tâche. Par exemple, cette retranscription a rendu possible la recherche par mot-clé.

En lisant ces corpus dans leur intégralité, j’ai compilé – dans une grille d’analyse réalisée sur le logiciel Excel et transformée en tableaux sur Word – chacune des étapes liées à l’adoption des ordonnances. En ce qui a trait aux minutes du Conseil de Québec, il a fallu départager ce qui appartenait au pouvoir législatif d’une part et au pouvoir exécutif d’autre part. Pareille compilation a été réalisée avec les Journaux du Conseil législatif où, doit-on préciser, la matière enregistrée concerne presque exclusivement l’étude et l’adoption des ordonnances.

La réalisation de cette grille d’analyse impliquait, au préalable, une fine connaissance de la procédure parlementaire britannique. Certes, il faut tabler sur le fait que mes années passées à reconstituer les débats parlementaires de l’Assemblée législative du Québec ont été une formidable école en matière de procédure. Même chose avec ma participation à la rédaction de la 3e et de la 4e édition de La procédure parlementaire du Québec71. Quant à

législatif de la Province de Québec dans son livre L’esclavage au Canada français, je publie et retranscris un passage des procès-verbaux : Christian BLAIS, « Un document inédit sur l’esclavage au Québec »,

Bulletin de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec, vol. 35, nos 3-4, 2006, p. 11-15. 69

Le microfilm de 1951 a d’abord été numérisé, puis retranscrit et comparé enfin avec le tapuscrit de Doughty.

70 https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/guides/fr/88-documents-politiques-et-parlementaires-du-quebec.

Ces archives n’ont pas été publiées, et ce, contrairement à bien d’autres sources d’histoire politique. On trouve par exemple les Jugements et délibérations du Conseil souverain de la Nouvelle-France de 1663 à 1716, publiés « sous les auspices de la Législature de Québec »; suivi de l’Inventaire des jugements et

délibérations du Conseil supérieur de la Nouvelle-France de 1717 à 1760 réalisé par Pierre-Georges Roy.

Nathalie Villeneuve de Bibliothèque et Archives Canada, en collaboration avec l’Université de Montréal, retranscrit ensuite le Journal de Murray qui couvre le Régime militaire de 1759 à 1764 https://calypso.bib.umontreal.ca/digital/collection/_murray. C’est dire que la période allant de 1663 à 1764 est accessible au plus grand nombre, alors qu’il n’en est rien pour celle située entre 1764 et 1791. Après cette date, tous les Journaux du Parlement du Bas-Canada, de l’Union, du Québec et du Canada sont publiés depuis 1792 jusqu’à nos jours.

71 [Christian BLAIS], « Histoire des institutions politiques et parlementaires du Québec », dans Siegfried

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la procédure ancienne, puisque le Lex parliamentaria est la référence en la matière jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, il fallait nécessairement en faire la lecture. Ce traité est attribué à George Petyt, un huguenot français qui a soutenu la Révolution de 1688. L’édition d’origine serait de 1690 et, au Bas-Canada en 1803, Joseph-François Perrault traduit l’édition de 1748 en français72.

Lors de l’analyse des premiers travaux du Conseil de Québec, j’ai rapidement constaté que nos premiers législateurs étaient forts ignorants en matière de procédure; mais ayant remarqué aussi qu’ils font bientôt des progrès notables, il me fallait établir une méthode pour mesurer cet apprentissage accompli de 1764 à 1791. Pour ce faire, j’ai effectué diverses analyses lexicographiques. De fait, l’exercice de débattre et de légiférer est associé à un jargon propre à la pratique parlementaire britannique73. Pour réaliser cet exercice lexicographique, au préalable, il fallait tirer des procès-verbaux (par une recherche par mot-clé) les différents vocables propres au parlementarisme de type britannique.

Ces mots liés à la parole, au débat, à la délibération, aux actions et au processus d’adoption des ordonnances constituent en soi l’essence même du parlementarisme. Bref, je me suis constitué une banque de mots. Ce « jargon parlementaire de Westminster » a d’abord été comparé avec les entrées du Dictionnaire parlementaire du Bas-Canada, réalisé par Joseph-François Perrault en 1806 et qui, comme de juste, définit les termes associés au parlementarisme bas-canadien74. Enfin, en comptabilisant d’abord et en comparant ensuite l’usage de ces mots dans les minutes de 1764-1775 et les Journaux de 1775-1791, il a été possible de mesurer l’ampleur de la transformation des pratiques entre

Québec, [2020, à paraître] et BONSAINT, Michel (dir.). La procédure parlementaire du Québec, 3e édition. Québec, Assemblée nationale, 2012, 989 p.

72 Joseph-François PERRAULT (traduction), Lex Parliamentaria: ou traité de la Loi et Coutume des

Parlements montant leur antiquité, noms, espèces et qualités, Québec, P. E. Desbarats, 1803, 421 p.

73 « The novelty of modern parliament as an institution and of its procedures and practices is also

manifested in the formation of a distinct parliamentary vocabulary, related to both the procedural technicalities and the principles of parliamentary deliberation and representation. » Pasi IHALAINEN et Kari PALONEN, « Parliamentary sources in the comparative study of conceptual history: methodological aspects and illustrations of a research proposal », Parliaments, Estates & Representation, vol. 29, 2009, p. 21, 25, 33.

74 Joseph-François PERRAULT, Dictionnaire parlementaire du Bas-Canada, Québec, John Neilson, 1806,

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les deux périodes. Car le vocable enregistré dans les procès-verbaux est l’expression même de la pratique parlementaire.

Il y a plus. En ce qui a trait à l’étude et l’adoption des ordonnances, je devais évaluer la similitude entre les pratiques parlementaires de la Province de Québec, celles de la Grande-Bretagne et celles du Bas-Canada. Pour tisser des parallèles avec le Parlement de Westminster, j’ai employé les volumes des Journals of the House of Commons et du

Journals of the House of Lords de la session de 177475. Les diverses étapes liées à l’adoption de l’Acte de Québec ont été ciblées comme modèle type de l’adoption d’une loi.

Pour tisser des liens étroits entre les pratiques législatives de la Province de Québec et celles du Bas-Canada, j’ai ensuite fait des comparaisons avec les Journaux de la Chambre d’assemblée et les Journaux du Conseil législatif du Bas-Canada. La session parlementaire de 1792-1793 a servi de cadre de référence76. Plus spécifiquement, afin de montrer les similitudes entre l’adoption des ordonnances avant 1791 et des lois après 1792, deux projets législatifs ont été mis en parallèle, l’un étudié en 1791, l’autre en 1793.

Au terme de quoi, il a pu être établi que la procédure législative usitée à Westminster, dans la Province de Québec et au Bas-Canada sont du même acabit. Il faut dire aussi que ces règles demeurent les mêmes au Québec depuis 1792 jusqu’à l’abolition du Conseil législatif en 1968.

Quelques comparaisons ont également été faites entre le Conseil de Québec et le Conseil des Douze de la Nouvelle-Écosse. Les minutes du Conseil des Douze (1720-1758) sont

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House of Lords : https://catalog.hathitrust.org/Record/000058830. House of Commons : https://catalog.hathitrust.org/Record/012406907.

Soulignons que les Journals of the House of Lords ont été publié en 210 volumes de 1509 à 1977 et les

Journals of the House of Commons, paru en 249 volumes de 1547 à 1993.

76 BAS-CANADA, Journaux de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada. Québec, Neilson, 1792-1837,

47 vol. BAS-CANADA, Journals of the Legislative Council of the province of Lower-Canada, beginning

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conservées aux archives de la province77. Aussi, en 1908, Archibald M. MacMechan a édité les Original Minutes of His Majesty’s Council at Annapolis Royal, 1720-173978. Des différences majeures quant à l’exercice du pouvoir législatif entre ces deux institutions politiques n’ont cependant pas permis de tisser des liens, entre les deux provinces, en ce qui a trait à l’adoption des ordonnances.

En plus des traces laissées par l’étude des projets d’ordonnance dans les procès-verbaux de la Province de Québec, il se trouve aussi des passages qui témoignent des règles parlementaires proprement dites. Il existe des règles non écrites et des règles écrites qui ont pour utilité de gouverner les débats parlementaires et l’adoption des projets de loi79. Plusieurs de ces règles non écrites ont fini par être publiées, en 1915, dans le Règlement

de l’Assemblée législative de la province de Québec80. Ayant une connaissance préalable de ces règles, j’ai été en mesure d’en retracer certaines dans les procès-verbaux antérieurs à 1791.

Quant aux règles écrites, il s’agit de résolutions, d’ordres permanents et de règlements (Standing Orders) adoptés pour l’expédition régulière des affaires et pour l’étude des projets d’ordonnance. Celles-ci se trouvent dans les procès-verbaux, de même que dans le Règlement adopté par le Conseil législatif en 1784, une source inédite81. J’ai comparé ces règles avec celles contenues dans les Règles et Règlements de la Chambre d’Assemblée

du Bas-Canada qui, à compter de 1793, président à l’organisation et au fonctionnement

de l’Assemblée législative du Bas-Canada82. J’ai fait de même avec le Règlement du Conseil législatif du Bas-Canada de 179383. Cette analyse comparée avec les Règlements des deux chambres du Parlement du Bas-Canada m’a permis de dresser un portrait des pratiques parlementaires avant l’Acte constitutionnel.

77 Nova Scotia Legislative fonds, https://memoryns.ca/nova-scotia-executive-council-fonds.

78 Archibald M. MacMECHAN (dir.), Original Minutes of His Majesty’s Council at Annapolis Royal,

1720-1739, Halifax, s.d., 1908, 406 p.

79

D. S. LUTZ, « The Colonial and Early State Legislative Process… », p. 50.

80 L.-P. GEOFFRION, Règlement annoté de l’Assemblée législative de Québec…

81 Civil Secretary’s correspondence: A 1 - S Series: Quebec and Lower Canada: C-3005, image 789. 82

Bas-Canada, Rules and regulations of the House of Assembly, Lower-Canada / Règles et Règlements de

la Chambre d’Assemblée du Bas-Canada, Québec, John Neilson, 1793, 73 p.

83 Séance du 28 janvier 1793, dans Journaux du Conseil législatif de la province du Bas-Canada […],

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Quelques recueils de sources imprimées facilitent par ailleurs l’étude de la période 1764- 1791. Les Documents relatifs à l’histoire constitutionnelle du Canada, 1759-1791, choisis et édités avec notes par Adam Shortt et Arthur G. Doughty, offrent une base solide à toutes recherches en histoire politique et institutionnelle84. Comme l’affirment si bien ces archivistes, il est « désormais impossible de publier des travaux importants sur notre histoire, sans puiser à cette source ». Les deux volumes de cette compilation comportent plusieurs notes de bas de page qui offrent une bonne mise en contexte des documents historiques présentés et jettent « quelque lumière sur les questions [constitutionnelles] soulevées85 ». Ces documents, parmi lesquels on trouve la Proclamation royale de 1763, les commissions, les instructions royales des gouverneurs et l’Acte de Québec de 1774, ont été essentiels afin de dresser un portrait constitutionnel des pouvoirs législatifs du Conseil de Québec et du Conseil législatif de la Province de Québec. Cela pour tabler d’entrée de jeu que de véritables corps législatifs ont été établis avant 1791.

D’autres sources ont été consultées pour cerner l’histoire constitutionnelle du Canada entre 1764 et 1791, dont les débats concernant l’Acte de Québec à la Chambre des communes de Londres. Bien que le Hansard n’existe que depuis 1803 au Parlement de Westminster, il se publiait, dès 1768, des précis de débats qui permettaient de suivre la trame des travaux législatifs à Londres. Les débats entourant le « Bill de Québec » ont été compilés et publiés en 1839, grâce aux notes prises par le député Henry Cavendish86. On sait qu’il peut y avoir une différence de ton entre la loi elle-même et l’intention du législateur; des distinctions sont à faire entre l’esprit de la loi et sa mise en œuvre; d’autant que les hommes politiques britanniques, au centre, et les gouverneurs, en périphérie, ont des considérations (des perceptions changeantes et des intérêts propres)

84 A. SHORTT et A. G. DOUGHTY (dir.), Documents relatifs à l’histoire constitutionnelle du Canada,

1759-1791…, 2 vol.

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Ibid., vol. 1, p. xviii.

86 Henry CAVENDISH, Government of Canada : Debates of the House of Commons in the years 1774

[…], London, Ridgway, 1839, 324 p. « At the end of the session, Cavendish also supported the Quebec Bill, notably over the three controversial points of abolition of English civil law, and the denial to Canadians of such safeguards to liberty as trial by jury and a habeas corpus law. » P. D. G. THOMAS, « Sir Henry Cavendish (1732-1804), Parliamentarian in Two Countries », Parliamentary History, vol. 36, 2017, 13 p.

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qui évoluent naturellement selon les lieux et les circonstances87. On admet que le droit constitutionnel est une matière qui ouvre la porte à de multiples interprétations. On doit avoir la même ouverture d’esprit quant à l’interprétation du concept de parlementarisme au XVIIIe siècle.