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Aux sources historiques des innovations des années 1980 : crises externes,

Chapitre 3 : Temps, contexte historique et innovation en matière de stratégie de

2. Contexte temporel et innovations politiques en Afrique : observations empiriques

2.2. Crise du modèle postcolonial, crises internationales et ajustements structurels

2.2.2. Aux sources historiques des innovations des années 1980 : crises externes,

Si la dépendance de sentier allant dans le sens de la reproduction des politiques précédentes ayant caractérisé le modèle postcolonial constitue la cause cumulative qui a contribué à l’émergence des PAS, la crise internationale a précipité ce processus et peut être considérée comme cause immédiate de la bifurcation des États qui passèrent de politiques axées sur l’interventionnisme et le contrôle étatique à des réformes allant dans le sens de la libéralisation des économies (Ndulu 2008). En effet, le contexte international marqué par une succession de crises a fortement contribué à la dégradation du modèle de développement et de croissance des économies extraverties de l’Afrique subsaharienne (Cornia 1987; Duruflé 1988; Toye 1995; van de Walle 2001; Ndulu et al. 2008; Heilbrunn 2009). En situant ces phénomènes dans le temps, il est aisé de mieux comprendre la dynamique entre les acteurs nationaux et internationaux durant cette période.

La succession des chocs pétroliers a engendré un ralentissement de l’économie, d’abord très apparent dans les pays industrialisés, mais qui s’est rapidement généralisé à l’échelle planétaire (Toye 1995, 53). Cette situation s’est caractérisée par une réduction considérable du PIB par habitant, cumulée à une chute vertigineuse du PIB réel, qui apparaît lorsque l’on compare les années d’avant et d’après la première crise (p. 42-43).

L’hétérogénéité des pays africains, notamment la différence entre les pays exportateurs et non exportateurs de pétrole, a eu pour conséquence une asymétrie dans la manière dont les crises les ont immédiatement affectés. Ainsi, la croissance des exportations des pays non-producteurs de pétrole a été considérablement affectée (Tarp 1993). La crise s’est ensuite généralisée aussi bien aux pays producteurs que non-producteurs de pétrole.

En effet, selon Giovanni Cornia (1987, 13-56) la crise trouve sa source dans les pays industrialisés. Les forts écarts de croissance de productivité du travail dans les secteurs manufacturiers en sont la cause (par exemple entre 1971 et 1980 elle est de 7,4 au Japon, de 4,5 en Europe de l’Ouest et de 2,5 aux États-Unis). À cela, s’ajoute l’augmentation des prix du pétrole qui a causé les trois chocs pétroliers en 1973, 1974 et 1979, et la crise de la dette dans les pays en développement. En Occident, les chocs pétroliers ont engendré la déflation et le déséquilibre des balances de paiement. Les politiques néolibérales d’austérité budgétaire menées par Ronald Reagan et Margaret Tchatcher aux États-Unis et en Angleterre ont favorisé cette dégradation. Elles se sont traduites par la rigueur des politiques monétaristes, la réduction des dépenses publiques et l’augmentation des taux d’intérêts.

Après avoir affecté les pays industrialisés, la crise s’est ensuite répandue dans les pays en développement. Elle a d’abord entraîné la stagnation économique (Tarp 1993). Puis, les pays ont connu une chute considérable de leurs exportations. En raison de la faiblesse de la demande internationale, les produits primaires à destination de l’Europe ont été les plus touchés.

À ce sujet, Toye (1995, 43) affirme d’ailleurs :

En Afrique subsaharienne, la récession économique était bien plus grave que dans les pays industrialisés. La croissance du PIB réel est tombée de 6,4 % en 1965-1973 à 3,2 % entre 1973 et 1980. Comme le taux de croissance démographique, déjà élevé en Afrique subsaharienne, continua d’augmenter, ceci se traduisit en une chute de la croissance du PIB réel par tête d’habitant de 3,6 à 0,3 %.

Les phénomènes de substitution et de « dématérialisation croissante de la production manufacturière » associés à la concurrence créée par les prix des produits importés ont entrainé une dépréciation des prix des produits de base. La baisse des revenus s’est accentuée par la faible variation des aides publiques au développement. Les économies ont donc été incapables de compenser la diminution des revenus liés à la chute des exportations.

Tous ces facteurs, auxquels s’est rajoutée la crise de l’endettement, ont entraîné de nombreuses conséquences néfastes. Pour situer la crise de la dette dans son contexte, il faut noter qu’en raison des phénomènes présentés plus haut comme les chocs pétroliers, la fluctuation du prix des matières premières, le recyclage des pétrodollars par les banques, le taux d’intérêt favorable aux emprunteurs et la multiplication des projets coûteux et peu rentables au sein des pays en développement, il y a eu forte augmentation de la dette durant les années 70, jusqu’à ce que plusieurs pays deviennent incapables de tenir leurs engagements financiers (Teulon 1999, 93-96). Asphyxié financièrement, le Mexique est le premier qui décide en 1982 de suspendre les paiements du service de sa

dette, obtenant de ce fait un moratoire bancaire (Teulon 1999, 17). Plusieurs pays poursuivront sur la même lancée :

Chacun à leur tour, de nombreux pays du tiers monde vont se déclarer dans l’incapacité de faire face aux échéances : le Brésil en novembre 1982, puis le Chili, le Venezuela, le Maroc, etc. Seuls une quarantaine de pays (Chine, Inde, Taiwan, Algérie…), sur un total de 130, continuent de payer régulièrement les intérêts et le capital dus. (Teulon 1999, 17)

Les conséquences de ces phénomènes sont nombreuses en Afrique. On note, entre autres, de graves déficits monétaires, fiscaux et de la balance de paiement, de fortes inflations, la détérioration des termes de l’échange, l’incapacité d’avoir recours aux marchés privés de capitaux, une baisse du PIB par habitant et un désastre social, notamment en santé, en nutrition et en éducation (Jeppersen 1992).

Face à ces conséquences, les pays africains ainsi que leurs partenaires financiers internationaux se sont mis à la quête de solutions. À la suite du Consensus de Washington (voir ci-dessous), l’idée de la généralisation de l’ajustement va s’imposer. Il s’agit de généralisation et non pas de création, parce que non seulement l’ajustement avait déjà été appliqué en Europe, mais, en plus, il était appliqué de manière sporadique et secrète pour aider certains gouvernements (Toye 1995, 41-66). Toye considère ainsi que les raisons qui ont poussé la Banque mondiale à adopter cette stratégie sont, entre autres, la lenteur des décaissements traditionnels, la nécessité des financements, la difficulté d’une prévision de projets viables, la détérioration de la situation des paiements et la recherche de l’amélioration de l’efficacité de son programme anti-pauvreté. En plus, la recherche de

la croissance dans les pays en développement devait maintenant se faire avec des considérations macroéconomiques.

On voit donc l’importance des crises caractérisant les contextes internes (crise de la dette, modèle de développement des États africains) et externes (modèle keynésien des États occidentaux et systèmes économique, financier et commercial international). Ces crises correspondent à ce qui a été qualifié dans cette analyse, à la suite de Collier et Collier (1991), de John Kingdon (2003), de Paul Pierson (2004) et de Charles Tilly (2008), de situation critique ou de conjoncture favorable à une bifurcation, à une innovation ou à un changement. En effet, le facteur temporel permet de contextualiser l’origine de l’innovation. Il permet aussi d’identifier les causes cumulatives qui, en atteignant un niveau critique, ont provoqué une crise nécessitant des ajustements. Il est alors possible de s’interroger si en l’absence d’une crise interne il y aurait eu ces innovations consistant en l’émergence des PAS. Le fait que le Botswana, l’un des seuls pays africains ne connaissant pas une crise interne identique à celle des autres durant cette période, n’ait pas adopté les PAS (Leith 2006) laisse présager que le facteur interne jouait également un rôle déterminant, même si le facteur externe était aussi très important, puisque c’est de là que sont venus à la fois l’accélération de la crise interne et les solutions aux crises tant internes qu’internationales. Il convient maintenant d’observer de manière plus précise l’origine immédiate de l’innovation.

2.2.3. Ajustements structurels et retrait de l’État en Afrique : origine immédiate des