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Les sources du droit de l’auteur 118

115. Sur l’expression « Sources du droit ». Le deuxième aspect de l’individualisme juridique consiste à assigner au droit subjectif une origine individuelle ou sociale589. On sait que deux philosophies s’opposent en ce qui concerne les relations entre le droit et l’Etat. L’approche iusnaturiste, soutient l’existence d’un droit naturel extérieur et supérieur à l’Etat. Le législateur étatique a l’obligation de dévoiler et consacrer les normes du droit naturel. Selon l’approche iuspositiviste, le droit est une création de l’Etat. Le prince, ou la loi, définit souverainement le droit, qui n’est autre chose que l’ensemble des lois et autres normes rendues obligatoires par le souverain dont le pouvoir législatif n’est limité par aucune norme extérieure590.

116. L’approche iusnaturiste du droit de la propriété. Nous avons vu précédemment que l’individualisme est la situation où se trouve l’individu après la disparition des institutions féodales. En effet, dans la société féodale chaque individu se trouvait encadré par une hiérarchie sociale et juridique. L’individu était soutenu, protégé, aidé, en particulier par son suzerain, qui était tenu envers lui d’un véritable devoir de protection. L’individu qui se libère de son suzerain se trouve solitaire, sans protection. Il a besoin des autres individus pour construire une société. C’est donc, par un pacte social, ou plus précisément par un Contrat social librement consenti, que l’individu se lie à la société. Ce Contrat social qui fonde la société est fait par l’individu, pour l’individu. L’individu devient ainsi le centre de tout. Or, le point central dans le système individualiste est que l’individu en se liant à la société par le Contrat social ne s’est pas lié désarmé de tout droit ; au contraire, il s’est lié en imposant à la société ses droits, et plus précisément son droit de propriété. C’est lui la source de ses droits, et non pas la société qui les lui a accordés. Autrement dit, l’Etat est là pour reconnaître le droit subjectif et non pour l’accorder à l’individu. Le droit de propriété ne peut pas être constitué par la loi, qui peut et doit seulement reconnaître et garantir la propriété justement acquise et circonscrite dans ses justes limites. A ce titre, on peut citer Portalis qui dans l’exposé des motifs du Code civil affirme ce principe en disant : « Le principe de ce droit [de propriété] est en nous ; il n’est pas le résultat d’une convention humaine ou d’une loi positive. Il est dans la

589

M. Waline, op. cit., p. 89. 590

V. Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2ème éd. LGDG, V° Droits subjectifs, p. 210.

constitution même de nôtre être et dans nos différentes relations avec les objets qui nous environnent. »591

117. L’approche iuspositiviste (non-volontariste) du droit de propriété. Bentham trouve la source de la propriété dans la loi. Exposons son propos : « Pour mieux faire sentir le bienfait de la loi, cherchons à nous faire une idée nette de la propriété. Nous verrons qu’il n’y a point de propriété naturelle, qu’elle est uniquement l’ouvrage de la loi. La propriété n’est qu’une base d’attente de retirer certains avantages de la chose qu’on dit posséder en conséquence des rapports où l’on est déjà placé vis-à-vis d’elle. Il n’ya point de peinture point de traits visibles qui puissent exprimer ce rapport qui constitue la propriété ; c’est qu’il n’est pas matériel, mais métaphysique ; il appartient tout entier à la conception […] L’idée de la propriété consiste dans une attente établie, dans la persuasion de pouvoir retirer tel ou tel avantage, selon la nature du cas. Or, cette persuasion, cette attente, ne peut être que l’ouvrage de la loi. Je ne puis compter sur la jouissance de ce que je regarde comme mien, que sur les promesses de la loi qui me la garantit. […] La propriété et la loi sont nées ensemble et mourront ensemble. Avant les lois, point de propriété ; ôtez les lois toutes propriété cesse. »592. Selon cette doctrine, c’est la loi civile qui est la source de la propriété. Et par loi ils entendent la déclaration d’un pouvoir politique investi de la fonction législative. Le droit de propriété dépend uniquement de la volonté du législateur.

118. Un débat présent en matière de droit d’auteur. Le droit d’auteur est au cœur de ce débat entre Créon, tenant du droit positif, et Antigone, championne du droit naturel593. Un auteur américain souligne la distance séparant une approche iuspositiviste d’une conception

iusnaturaliste, tout en opposant le régime français au régime américain : « alors que dans

notre système, c’est la loi qui crée les droits, dans le système français, ce n’est pas le droit qui donne naissance à ces droits, car, par la simple création de l’œuvre, le droit d’auteur est né dans la personne de l’auteur. »594.

591

Cité par H. Ahrens, Cours de droit naturel ou de philosophie de droit, t. II, Leipzig, 1892, p. 133. 592

Traité de législation, t. II, p. 33, Cité par H. Ahrens, Cours du droit naturel, Philosophie de droit, Leipzig, t. II, 1892, pp. 131 et s.

593

A. Kerever, Le droit d’auteur : acquis et conditions du développement de la culture juridique européenne, Le

droit d’Auteur, 1990, avril, p. 138, à la p. 141.

594

R. Monta, The Concept of « Copyright » versus the « Droit d’auteur », Southerne California L. Rev., 1959, vol. 32, p. 178. (Cité par A. Strowel, op. cit., n° 108, p. 138.)

119. La formalité, terrain traditionnel du débat. Pour souligner la nature iusnaturiste du droit d’auteur français, la doctrine évoque souvent la question du « fait générateur », ce qui renvoi directement à la place du formalisme en ce domaine. Ainsi, l’absence de formalité constitutive de droit est communément présentée comme caractéristique d’un système

iusnaturiste. Le droit d’auteur, affirme-t-on, nait de la création. La protection est acquise à la

seule condition que l’œuvre reflète la personnalité de l’auteur. Aucun dépôt, ni enregistrement n’est requis pour jouir de ses droits. La place que le système du copyright accorde à la formalité est rattachée, selon la doctrine, à la nature iuspositiviste du copyright. La protection est accordée par l’Etat pour récompenser un service rendu à la société. L’exigence d’une formalité apparaît compatible avec l’idée d’un droit qui trouve sa source dans l’Etat. Cette analyse suggère un lien entre les formalités et le caractère iuspositiviste. Leur absence, dans un système qui fait dépendre la naissance du droit de la seul création, manifeste le caractère

isunaturiste de se système595.

Cette vision doit être dépassée, parce qu’elle manque de précision596. D’abord, dans le système américain, système utilitariste par excellence, dès la création, l’auteur est titulaire d’un common law copyright. Après la première divulgation, ce common law copyright s’éclipse au profit d’un statutary copyright accordé par l’Etat comme moyen d’encourager l’activité littéraire et artistique et la diffusion des œuvres597. La loi de 1976 a annulé cette protection en deux phases pour une seule protection, celle du statutary copyright, et dès la création. Ensuite, si tous les pays continentaux admettent que le droit d’auteur naît du seul fait de la création de l’œuvre, tous les pays anglo-saxons n’exigent pas de formalités. Sur ce point, le professeur Strowel nous rappelle que le régime anglais depuis la loi de 1911, ne requiert plus ni enregistrement, ni mention598. Faut-il en plus rappeler qu’en France l’article 6 du décret des 19 et 24 juillet 1793 exigeait de l’auteur un dépôt de deux exemplaires à la bibliothèque nationale ou au cabinet des estampes de la République « faute de quoi celui-ci ne pouvait être admis en justice pour la poursuite des contrefacteurs. »599.

595

A. Strowel, op. cit., p. 139 : « La suppression des formalités depuis l’adhésion à la Convention de Berne indique également que le droit américain adopte une perspective plus conforme à une vision continentale- iusnaturaliste. » V. J. Raynard, Droit d’auteur et conflits des lois, Litec, 1990, n° 363 et s.

596

V. cpdt S. Carre, th. préc., Partie I, Titre I, Chapitre II, Section 2. 597

A. Strowel, op. cit., p. 540. 598

A. Strowel, op. cit., n° 21, p. 28. 599

En fait, la question de la propriété de l’auteur sur son œuvre non divulguée n’a jamais été contestée par personne, ni dans l’histoire du droit d’auteur, ni en droit comparé. Les querelles ne vont s’éveiller qu’à l’occasion des œuvres divulguées600.

120. L’emprise du droit moral sur le droit patrimonial, le nouveau terrain du débat. C’est dans l’interaction respective de l’élément moral et de l’élément pécuniaire qu’il faudra désormais chercher le secret des sources du droit d’auteur.601

121. La thèse iusnaturiste (volontariste). La thèse iusnaturiste appréhende l’œuvre non divulguée comme une partie intégrante de l’auteur, singulièrement de son esprit. Le droit moral affirme la nature subjective de l’œuvre. Instrument de défense de la personnalité, il est mis au service de la protection de l’œuvre, élément de la personne : « si l’auteur peut défendre sa personnalité à travers son œuvre, c’est parce qu’il s’y investit, et son investissement se marque dans l’originalité du produit »602. La conséquence directe de cette thèse est l’extra- patrimonialité de l’œuvre non-divulguée. Tant que l’auteur n’a pas décidé de se séparer de sa création, elle est soustraite à l’emprise de la sphère de la patrimonialité. Les attributs d’ordre patrimonial, conférés à l’auteur par l’article 1 de la loi du 11 mars 1957, constituent, jusque là, « de simples virtualités, qu’il dépendra à l’auteur d’introduire dans le monde des réalités par la voie de l’édition ou de l’exécution publique. »603. Tout dépend de la volonté de l’auteur (Chapitre II).

122. La thèse iuspositiviste (non volontariste). Si la conception subjective iusnaturiste axe la protection sur la personnalité de l’auteur, la conception objective iuspositiviste, quant- à-elle, a pour but d’insérer l’œuvre dans le circuit économique le plus indépendamment possible de son auteur. Les tenants de la thèse utilitariste tiennent la divulgation pour une dépossession défintive de l’œuvre. Le principe est en effet celui de la liberté : toute information qui est divulguée est une chose libre. Or pour inciter les auteurs à produire et à divulguer, le législateur leur accorde un monopole, non sur l’œuvre mais sur les utilités économique de celle-ci604. Ainsi, le droit vient sceller l’opposition entre liberté intellectuelle

600

P. Recht, op. cit., p. 29. 601

Escarra, Rault & Hepp, La doctrine française du droit d’auteur, Paris, Grasset, 3e éd., 1937, p. 31. 602

Ph. Gaudrat, La protection des logiciels, art. préc. n° 20. 603

H. Desbois, op. cit., 3ème éd., n° 387, p. 476. 604

V. M.-A. Frison-Roche, Le droit d’accès à l’information, ou le nouvel équilibre de la propriété, in Le droit

privé français à la fin du XXe siècle, étude offertes à Pierre Catala, Litec, 2001, p. 759 à la p. 761 : « Dès lors,

de l’information et réservation de son utilité économique, autorisant le passage de la première condition à la seconde, laquelle apparaissant comme un état d’exception, qui ne peut surgir que du respect des critères posés par la loi605. En conséquence, la reconnaissance d’un droit de propriété intellectuelle, qu’il s’agisse d’un droit de brevet, d’un droit d’auteur ou de tout autre droit, doit être tenue pour une figure d’exception à la liberté du commerce et de l’industrie606. Source du droit exclusif, la loi apparaît également comme l’arbitre des intérêts privés et publics, et représente, aux yeux de ces juristes le moyen de lutter contre l’absolutisme de la propriété littéraire et artistique et l’égoïsme du l’auteur (Chapitre I).

l’information, est de reconnaître d’un côté un droit de propriété de l’information pour celui qui l’a produite, et d’un autre côté un droit des tiers d’accèder à l’information. Il faut alors poser que la légitimité du premier droit tient dans l’existence du second. »

605

A. Abello, La licence, instrument de régulation des droits de propriété intellectuelle, LGDJ, 2008, n° 24, p. 11.

606

Chapitre I : La thèse utilitariste attribuant une source non­volontariste au 

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