Chapitre 1 : Les hyperoxaluries primitives
E. Traitements
3. Sources alternatives de cellules
La première source de cellules évoquée pour remplacer l’utilisation d’hépatocytes primaires adultes correspond à l’emploi de cellules souches embryonnaires et d’hépatocytes fœtaux115. Les cellules souches embryonnaires sont
dérivées de la masse cellulaire interne du blastocyste (stade embryonnaire précoce) et se caractérisent par une capacité de prolifération (ou auto-renouvellement) considérable, et par un potentiel de différenciation (appelé pluripotence) en l’ensemble des cellules de l’organisme humain, dont les hépatocytes. Les hépatocytes fœtaux correspondent quant à eux aux hépatocytes immatures présents chez le fœtus. Si l’utilisation de ces cellules peut s’avérer efficace dans le traitement de pathologies hépatiques (la greffe d’hépatocytes fœtaux humains a notamment permis le rétablissement complet d’individus présentant une insuffisance hépatique aiguë120,121),
la destruction de blastocystes et de fœtus nécessaires à leur approvisionnement soulève cependant des controverses éthiques qui constituent des freins à leur utilisation à grande échelle. En outre, les protocoles actuels de différenciation des cellules souches vers la lignée hépatique (qui seront évoqués dans un chapitre dédié) aboutissent à l’obtention de cellules dont le phénotype est plus proche des hépatocytes fœtaux que des cellules adultes122, tandis que les capacités de repopulation hépatique
des hépatocytes fœtaux eux-mêmes sont débattues123. L’emploi de progéniteurs
hépatocytaires adultes, qui présenteraient la capacité de se différencier en hépatocytes et en cellules épithéliales biliaires124, est également évoquée, mais des études de
caractérisation de ces cellules sont toujours en cours125, et leur implication dans la
régénération du parenchyme hépatique est controversée126,127.
Dans un autre registre, différentes équipes ont développé des protocoles de transdifférenciation de fibroblastes humains en hépatocytes induits : les fibroblastes ont été convertis par induction de l’expression des facteurs de transcription HNF1α, HNF4α, FOXA3 et SV40 large T antigen128 ou HNF1α, HNF4α, HNF6, ATF5, PROX1,
55
des vecteurs lentiviraux. Les hépatocytes induits obtenus ont montré une activité métabolique comparable à celle des hépatocytes primaires humains, ainsi qu’une capacité de repopulation allant jusqu’à 30% du foie de souris immunodéficientes. Cependant, la mise au point de protocoles de transdifférenciation non intégratifs, basés sur l’utilisation de petites molécules ou de plasmides (fragments extrachromosomiques d’ADN circulaire dérivés de bactéries), serait préférable dans le cadre de l’utilisation clinique de ce type de cellules. Le développement de tels protocoles est en cours chez la souris130.
Finalement, de grands espoirs se portent actuellement sur l’utilisation de cellules souches pluripotentes induites humaines (induced Pluripotent Stem Cells ou iPSCs) reprogrammées à partir de cellules adultes différenciées131, qui présentent les mêmes
caractéristiques d’auto-renouvellement et de pluripotence que les cellules souches embryonnaires. Les iPSCs sont en revanche dotées d’un avantage éthique par rapport aux cellules souches embryonnaires, car elles ne nécessitent l’utilisation d’aucun matériel biologique prénatal. Elles peuvent en outre être développées à partir de cellules autologues, ce qui permet de s’affranchir de la nécessité d’un donneur extérieur, et d’un traitement immunosuppresseur dans le cas d’une greffe. Il faut cependant considérer que l’utilisation d’hépatocytes autologues dérivés d’iPSCs dans le traitement d’une pathologie hépatique d’origine génétique nécessite au préalable de modifier le génome des iPSCs ex vivo afin de restaurer un phénotype cellulaire sain. Les aspects de modification génique des cellules, et d’obtention et de différenciation des iPSCs en hépatocytes seront détaillés au sein de chapitres dédiés.
b. Thérapie génique
La thérapie génique peut être définie comme un ensemble de stratégies permettant de délivrer des acides nucléiques (ADN ou ARN) au sein de cellules spécifiques, dans l’objectif de modifier l’expression génique d’un individu afin de traiter une pathologie déterminée132. Cette approche thérapeutique est actuellement en
plein essor, et des succès majeurs ont été obtenus en clinique, conduisant à la mise sur le marché de produits de thérapie génique destinés à des indications variées telles que le cancer, le déficit immunitaire combiné sévère, le rejet de greffe de moelle osseuse, la dystrophie rétinienne de Leber et la dystrophie musculaire de Duchenne133. L’emploi
de la thérapie génique dans le traitement de pathologies hépatiques est également étudié (Tableau 4), et l’accès au marché a été accordé pour un premier médicament de cette catégorie, destiné au traitement du déficit familial en lipoprotéine lipase.
56
Tableau 4. Essais cliniques de thérapie génique réalisés à l’aide de vecteurs viraux dans le cadre du traitement de pathologies hépatiques monogéniques (d’après Baruteau et al., 2017)134. Ce tableau
présente les essais de thérapie génique répertoriés jusqu’en 2017 (pour l’année 2017, la liste est indicative, et non exhaustive). Les voies d’administration intraportale et intrahépatique se réfèrent à une injection au sein de la veine porte et de l’artère hépatique, respectivement. FVIII : facteur VIII de la coagulation ; FIX : facteur IX de la coagulation ; HD-adenovirus : Helper-Dependent adenovirus ; LDL :
Low Density Lipoprotein ; MoMLV : Moloney Murine Leukaemia Virus ; NA, Not Applicable ; OTC : Ornithine Transcarbamylase ; PBGD : Porphobilinogen Deaminase.
La mise en place d’un protocole de thérapie génique nécessite au préalable de définir la stratégie d’administration de la « séquence médicament », qui sera discutée dans le chapitre suivant.
Year (Start of
trial) Viral vector Disease Therapeutic Route Dose
Number of
treated patients Status Reference
Grossman et al 1994 Grossman et al 1995 1998 Adenovirus 5 Ornithine transcarbamylase
deficiency OTC gene Intrahepatic
2 × 10e9 to
6 × 10e11vg/kg 18 Terminated Raper et al 2003 Kay et al 2000 Manno et al 2003 2003 MoMLV Retrovirus Haemophilia A FVIII gene Intravenous 2.8 × 10e7 to 4.4 × 10e8vg/kg 13 Terminated Powell et al 2003 HD-Adenovirus Haemophilia A FVIII gene Intravenous 4.3 × 10e10vg/kg 1 Terminated Chuah et al 2004 Flotte et al 2004 Brantly et al 2006 AAV2 Haemophilia B Factor IX gene Intrahepatic 8 × 10e10 to
2 × 10e12vg/kg 7 Terminated Manno et al 2006 2006 AAV1 α1-antitrypsin hAAT Intramuscular 6.9 × 10e12 to
6 × 10e13vg 9 Terminated Brantly et al 2009 2009 AAV2/8 Haemophilia B Factor IX gene Intravenous 2 × 10e11 to 2 × 10e12vg/kg 10 Recruiting Nathwani et al 2014
2010 AAV1 α1-antitrypsin hAAT Intramuscular 6 × 10e12 to
6 × 10e12vg/kg 9 Terminated Flotte et al 2011 2012 AAV2/8 Haemophilia B Padua mutant factor IX gene Intravenous 2 × 10e11 to 3 × 10e12vg/kg 6 Terminated Monahan et al 2015
2014 AAV2/5 Acute intermittent porphyria PBGD gene Intravenous 5 × 10e11 to
1.8 × 10e13vg/kg 8 Terminated D’Avola et al 2016 Engineered AAV Haemophilia B Padua mutant factor IX gene Intravenous 5 × 10e11 vg/kg (Low dose) 7 Recruiting
George et al 2016 AAV2/5 Haemophilia B Factor IX gene Intravenous 5 × 10e12 to 2 × 10e13vg/kg 5 Recruiting
Miesbach et al 2016 AAV2/rh10 Haemophilia B Factor IX gene Intravenous 1.6 × 10e12 to
1 × 10e13vg/kg Undisclosed Recruiting clinicaltrials.gov AAV2/5 Haemophilia A Factor VIII gene Intravenous 6 × 10e12 to
6 × 10e13vg/kg 9 Recruiting Pasi et al 2016
AAV2/6 Haemophilia B
Factor IX integrating in the albumin locus via Zinc-finger-nuclease Intravenous cDNA 4 × 10e12 to 4 × 10e13vg/kg and ZFN 5 × 10e11 to 5 × 10e12vg/kg Undisclosed Recruiting clinicaltrials.gov AAV2/8 Homozygous familial hypercholesterolaemia LDL receptor gene Intravenous 2.5 × 10e12 to 7.5 × 10e12vg/kg Undisclosed Recruiting clinicaltrials.gov
AAV2/8 Ornithine transcarbamylase
deficiency OTC gene Intravenous
2 × 10e12 to
2 × 10e13vg/kg Undisclosed Recruiting clinicaltrials.gov Engineered AAV Haemophilia A Factor VIII gene Intravenous Undisclosed Undisclosed Recruiting clinicaltrials.gov AAV2/8 Haemophilia A Factor VIII gene Intravenous 6 × 10e11 to
6 × 10e12vg/kg NA Not yet recruitingclinicaltrials.gov Engineered AAV Haemophilia B Undisclosed
AAV2/8 Haemophilia A Factor VIII gene AVV Haemophilia A Factor VIII gene
AAV2/6 Haemophilia A
Factor VIII integrating in the albumin locus via Zinc-finger-nuclease AAV2/8 Mucopolysaccharidosis VI ARSB gene AAV2/8 Crigler Najjar UGT1A1 gene 2004
2016
Announced for 2017
Intramuscular 2.1 × 10e12 to 6.9 × 10e13vg 12 Terminated
2015
AAV2 α1-antitrypsin hAAt
Intramuscular 2 × 10e11 to 1.8 × 10e12vg/kg 8 Terminated Intraportal (Ex vivo
approach)
1 to 3.3 × 10e9
hepatocytes 5 Terminated
1999 AAV2 Haemophilia B Factor IX gene 1992 MoMLV Retrovirus 5 Homozygous familial hypercholesterolaemia LDL receptor gene
57
1. Stratégie d’administration des produits de thérapie génique