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Chapitre 1 : Problématique

1.2. Modèle conceptuel de la souffrance identitaire de métier

1.2.3. Souffrance identitaire de métier en milieu scolaire

La recherche qualitative de Viviers (2014) permet de noter la dynamique en milieu de travail qui semble être à la source de la souffrance chez les c.o. Les tensions entre les différents types de pratiques, illustrées dans le modèle conceptuel, provoquent la SIM. Ce chercheur propose que les sources de souffrance, connexes à celles présentées ci-avant, ont un impact sur l’identité professionnelle des c.o. S’appuyant sur des entrevues réalisées auprès de deux groupes de c.o., l’un de 10 c.o. provenant d’une même commission scolaire et l’autre de 11 c.o. provenant de la même région, Viviers (2016) démontre la présence de quatre grandes dimensions, issues des tensions, qui englobent les sources de SIM. Ces dimensions sont la désincarnation du cœur de

métier (les contraintes organisationnelles empêchent l’incarnation et la réalisation des activités professionnelles

liées au cœur de métier), la déprofessionnalisation du travail (déni de reconnaissance quant à la spécificité et l’expertise associée à la profession), la déconsidération professionnelle (l’estime accordée envers une personne est rabaissée ou ruinée), et le déficit de collégialité (absence de collectif marqué par l’isolement et la quête de convivialité). Chaque composante caractérise l’apport unique d’une situation problématique que les c.o. affrontent en milieu scolaire. Ainsi, les données provenant des entretiens ont permis de décrire ces situations et de les décliner en quatre dimensions. Ces dernières sont présentées ci-dessous.

La recherche qualitative de Viviers (2014) auprès des c.o. en milieu scolaire a permis de documenter trois axes de pratiques désirées communes qui caractérisent le cœur du métier: « 1) la relation d’aide et l’accompagnement personnalisé; 2) le travail direct auprès des élèves; et 3) le développement vocationnel des jeunes » (p. 316). La désincarnation réfère aux contraintes organisationnelles qui limitent la possibilité d’effectuer ces pratiques désirées dans son travail quotidien. Par exemple, les services auprès des jeunes, notamment la relation d’aide, sont délaissés en raison du manque de ressources en milieu scolaire. Confrontés à des pressions de temps et de rentabilité, les c.o. sont obligés d’adopter des pratiques qui entrent en contradiction avec les valeurs de la profession. La durée des rencontres individuelles est menacée par les contraintes organisationnelles. Par ailleurs, il est fréquent que le manque de ressources incite les directions d’école à faire recours aux c.o. pour alléger les tâches administratives, ce qui a pour conséquence de limiter l’exercice de pratiques désirées par ces professionnels. Les analyses qualitatives de Viviers (2014) appuient les propos du président de l’Ordre professionnel des c.o., déclarant que le temps alloué à ce type de tâches était inquiétant et que le counseling semblait difficile à intégrer dans la pratique (OCCOQ, 2012). De plus, il a été soulevé qu’un pourcentage important d’élèves n’obtenait pas de services en orientation, et ce, dans 62% des

commissions scolaires (OCCOQ, 2012). Les ressources limitées entrainent l’assignation de tâches inappropriées par les directions et des ratios du nombre d’élèves par c.o. élevées, diminuant par la suite la durée et la fréquence des services auprès des élèves. Les c.o. rapportent éprouver de la souffrance, entre autres, par le fait qu’ils ne réussissent pas à répondre aux besoins des élèves (Viviers, 2014). En plus des tâches qui menacent les services auprès des jeunes (p. ex., tâches administratives), les résultats de la recherche démontrent que l’accès à la clientèle est réduit en raison de la compétition entre les divers corps de métier à l’intérieur d’une même école. En effet, les autres intervenants (p. ex., psychologues et psychoéducateurs) obtiennent plus fréquemment les mandats stimulants auprès des jeunes (p. ex., projets visant le développement, la motivation et la persévérance scolaire) et les c.o. sont peu sollicités pour leur rôle d’expert-conseil. À la lumière de ces résultats, il est possible de croire que les pratiques réelles sont faiblement caractérisées par le cœur de métier. L’impossibilité de mettre en place des pratiques liées à celui-ci aurait pour conséquence d’engendrer de la SIM, spécifiquement de la désincarnation du cœur de métier.

La déprofessionnalisation, caractérisée par un déni de reconnaissance quant à l’expertise professionnelle des c.o., est perçue par la déqualification du travail et l’absence d’autonomie professionnelle. L’attribution de tâches non liées à la profession (p. ex., les tâches administratives) par les directions d’école abaisse le niveau d’expertise des c.o. Les participants de l’étude de Viviers (2014) notent que les tâches dévalorisantes occupent trop de place dans leur travail quotidien. La déqualification du travail occasionne la souffrance considérant que les pratiques réelles divergent des pratiques désirées et des prescriptions professionnelles en ce qui a trait à un travail spécialisé. L’organisation de travail est donc source de SIM. Par ailleurs, le niveau d’autonomie accordé aux c.o. par la direction influence les pratiques réelles. Viviers (2014) a soulevé que les directions d’école détiennent un niveau de contrôle sur les conditions de pratique des c.o. en leur imposant des contraintes, dont le temps alloué pour les entrevues individuelles avec les élèves. Cette situation laisse croire que l’autonomie professionnelle est importunée. D’autres études appuient le constat que l’absence d’autonomie (Hearne, 2012; Lamontagne, 2006), l’absence de reconnaissances et des prescriptions trop rigides (Dejours, 2008) prédisent la souffrance chez les travailleurs. Les données qualitatives de Viviers (2014) ont permis d’examiner que certaines directions d’école démontreraient également de l’indifférence face au travail des c.o. Dans de telles situations, les c.o. auraient l’impression que leur utilité sociale est déniée, ce qui engendrerait de la souffrance. Les deux types de gestion caractérisés par le contrôle et l’indifférence peuvent entraver la possibilité d’exercer pleinement son expertise et sa créativité professionnelle. Enfin, la déprofessionnalisation illustre que les pratiques réelles en milieu scolaire s’écartent des pratiques désirées des c.o. Ces dernières leur permettraient toutefois d’exercer une autonomie professionnelle et des tâches correspondant à leur qualification.

Comme il a été possible de remarquer ci-avant, la SIM s’installe dans les rapports sociaux au travail. Les résultats de recherche soulèvent qu’ils sont plutôt défaillants, notamment caractérisés par la

déconsidération professionnelle envers les c.o. Ces professionnels ont l’impression que leur métier et leur

mission sont déconsidérés, ce qui a pour effet d’atteindre leur identité professionnelle. La souffrance émerge également par la nécessité de faire valoir leur expertise et leur utilité sociale. Ces actions épuisantes leur semblent indispensables, puisqu’ils discernent un discours banalisant leur travail d’orientation. Les c.o. sont confrontés aux conceptions négatives entourant la profession, qui peut être jugée comme étant inefficace et même indésirable. La déconsidération professionnelle démontre qu’il existe des tensions entre la profession et les perceptions que les acteurs scolaires possèdent de celle-ci. Dans certaines situations, les propos émis laissent croire que les c.o. sont reconnus. Toutefois, cet espoir de reconnaissance sociale s’éclipse en raison des prescriptions qui ont pour effet de traduire l’opposé. Par exemple, les c.o. perçoivent que les directions d’école accordent une importance à l’orientation, car ces dernières discutent positivement de cet enjeu. Malgré ces propos, ces professionnels se voient assigner à des tâches administratives (p, ex., faire des photocopies et adresser les demandes de renseignements autre que l’orientation, OCCOQ, 2012), ce qui renvoie à une déconsidération professionnelle. Cette expérience contradictoire peut mener les c.o. à vivre de la souffrance.

Par ailleurs, le déficit de collégialité soulève également que les rapports sociaux sont vulnérables. La souffrance prend place lorsque les relations interpersonnelles ne favorisent pas la confiance, la reconnaissance, la convivialité et la coopération (Dejours, 1988). Les données qualitatives révèlent que les c.o. peuvent être confrontés à l’absence de ces sources de plaisir au travail. Il est possible d’obtenir une reconnaissance de ses pairs au sein du collectif de travail. Toutefois, Viviers (2014) soulève que le collectif de travail des c.o. est peu fonctionnel, ce qui a pour effet de limiter les sources de reconnaissance. Ces professionnels affirment qu’ils se sentent isolés et que leurs conditions de travail limitent la coopération entre c.o. L’isolement découlerait à la fois du faible nombre de c.o. dans une même école et des horaires hebdomadaires partagés entre diverses écoles de la commission scolaire. Dans le travail réel, ils ont donc peu d’occasions de travailler au sein du collectif de travail. Il s’avère toutefois essentiel pour leur santé mentale d’être en mesure d’échanger avec des collègues qui peuvent comprendre leur réalité et offrir une perspective adéquate (Evans et Payne, 2008). La concertation, qui caractérise l’approche orientante, serait peu favorisée en milieu de travail. Au contraire, la compétition et l’absence de respect des rôles et des expertises de chaque profession seraient fréquents au sein des écoles (Viviers, 2014). Chaque intervenant tente d’obtenir les mandats qui leur permettent de travailler auprès des élèves. Le contexte de précarité incite donc la méfiance. Bien que les prescriptions organisationnelles et professionnelles défendent l’importance de la collaboration et de la multidisciplinarité, les pratiques réelles seraient caractérisées par l’isolement et l’absence de convivialité pouvant à leur tour générer de la souffrance. Dans les situations de travail où le déficit de collégialité est noté, les pratiques réalisées opposent non seulement les prescriptions, mais également les pratiques désirées. Dans le cadre de l’étude qualitative de Viviers (2014),

les c.o. soulignent l’importance et leur désir de travailler dans un milieu où la collégialité, la confiance et le respect des rôles sont supportés considérant que ces éléments favoriseraient les sources de plaisir au travail.