1.3 Perception d’intensité sonore
1.3.6 Sonie dans la vie de tous les jours
Cette section a présenté la sonie ainsi que différents facteurs susceptibles de la modifier.
Les interactions entre ces facteurs et la sonie sont pour la plupart déterminés lors d’études
psychoacoustiques en laboratoire au cours desquelles les paramètres (niveau, fréquence...) de
stimuli particuliers (sons purs, bruits...) sont modifiés de manière isolée. Bien que ce procédé
permette d’établir clairement le lien entre chacun de ces paramètres et la sonie, il implique des
conditions d’écoute s’éloignant grandement des conditions dans laquelle nous percevons les sons
de notre environnement. Premièrement, les sons purs et bruits utilisés en laboratoire ne sont
pas courants dans la vie de tous les jours, constituant des stimuli non familiers. Dans notre
environnement quotidien, il est usuel d’entendre des sons que notre cerveau connaît et identifie,
pouvant potentiellement introduire des phénomènes de plus haut niveau jouant sur la sonie que
l’on en perçoit. De plus, ces études sont couramment réalisées en champ libre ou au casque afin
de contrôler précisément les stimuli atteignant les oreilles des auditeurs. Ces conditions d’écoutes
s’éloignent également de la réalité dans laquelle de nombreuses parois réfléchissent les ondes
sonores, où de nombreuses sources sonores peuvent diffuser des sons simultanément et où les
sons peuvent être perçus dans du bruit.
Nature du stimulus
Les sons auxquels nous sommes exposés dans la vie de tous les jours sont généralement
vecteurs d’information. Une sirène de voiture, par exemple, sert à avertir les auditeurs et est
généralement diffusée à fort niveau. Si l’on entend une sirène de voiture à faible niveau, il est
plus probable qu’elle provienne d’une source sonore puissante mais lointaine que d’une source
faible et proche. Si l’on prend l’exemple de la voix, que le système auditif humain traite de façon
particulière (Moore, 2012d), il est aisément possible de distinguer une voix chuchotée comme
étant moins puissante qu’une voix criée, même si les deux voix différentes sont présentées à un
niveau physique égal. La sonie qui en découle pourrait alors être perturbée par cette distinction.
Pollack (1952) a observé que la différence d’intensité nécessaire pour atteindre un doublement
ou une réduction de moitié de la sonie était bien plus élevée pour de la voix que pour des bruits
ou des sons purs. Il établit un rapprochement avec la « constance de taille », phénomène visuel
selon lequel il est possible d’identifier la taille réelle d’un objet malgré les variations de la taille
de son image sur la rétine. L’auteur justifie cette « constance de sonie » en prenant l’exemple
d’un locuteur qui se déplace dans une pièce tout en parlant. Sa voix ne semblera pas varier
considérablement pour ses auditeurs, malgré le fait que le niveau sonore à leurs oreilles puisse
subir d’importantes variations du fait du mouvement du locuteur. Warren (1973) a obtenu des
estimations de sonie pour de la voix diffusée avec différents niveaux de réverbération, certains
étant trop élevés pour que la voix reste intelligible. À fort DRR, lorsque la voix est pleinement
intelligible, l’auteur observe une différence de niveau de 12 dB nécessaire à un doublement de
la sonie. Lorsque le niveau du champ réverbéré est fort et que la voix n’est plus intelligible,
cette différence de niveau n’est plus que de6 dB. Ces résultats font alors état d’une constance de
sonie uniquement lorsque la voix est intelligible. L’utilisation de la puissance de la source dans
l’estimation de sonie va également dans le sens des résultats d’Epstein et Florentine (2009), qui
ont observé un rapport de sonie binaural-à-monaural plus faible pour de la voix que pour des
sons purs. Si, pour la voix, la sonie était – au moins en partie – dépendante de l’effort vocal perçu
– lequel serait identique dans les conditions de présentation monaurale et binaurale car basé sur
le timbre de la voix –, le rapport de sonie binaural-à-monaural serait plus faible que pour un son
pur, pour lequel la sonie globale serait entièrement définie par la somme des sonies perçues par
les deux oreilles.
Interactions multisensorielles
Les interactions multisensorielles, notamment celles faisant intervenir la vue et l’ouïe, sont
couramment présentes dans notre environnement naturel. Il a été évoqué dans la section 1.2.5
que la vue pouvait largement influencer la localisation auditive. La sonie peut également être
modifiée par l’information visuelle, comme en témoigne l’étude d’Odgaardet al.(2004), qui révèle
une nette augmentation de sonie pour des bruits diffusés à faible niveau lorsqu’ils sont présentés
de façon synchrone avec des flashs lumineux de même durée (40 ms). L’information visuelle peut
également modifier le sens du stimulus auditif et en faire ainsi varier la sonie. Suzuki et al.
(2000) ont par exemple observé que les auditeurs jugeaient un bruit blanc comme étant moins
fort lorsqu’il était accompagné de l’image d’une cascade. La sonie serait également dépendante
de la couleur de l’image associée au son. Un train de couleur rouge paraîtrait ainsi produire un
son plus fort qu’un train de couleur verte (Patsouras et al., 2002). Cet effet pourrait cependant
être associé à des références culturelles des auditeurs, puisqu’il a été observé sur des auditeurs
allemands et japonais (Rader et al., 2004) mais n’a pas été observé sur des auditeurs français
(Parizet et Koehl, 2011). Enfin, l’information visuelle peut renseigner l’auditeur sur la puissance
de la source sonore et ainsi en modifier la sonie. Rosenblum et Fowler (1991) ont obtenu des
estimations de sonie pour de la voix ou des claps de mains plus ou moins puissants, présentés
conjointement à une vidéo représentant leur production. Les productions de voix ou de claps
présentés visuellement pouvaient ne pas correspondre aux sons diffusés (le son d’un clap faible
pouvait par exemple être diffusé avec une vidéo d’un clap fort). Bien que les participants avaient
pour consigne d’estimer la sonie des stimuli présentés en se basant uniquement sur ce qu’ils
entendaient, les auteurs ont observé une relation entre les estimations et l’information visuelle
de puissance.
Contexte d’écoute
En laboratoire, les sons sont généralement restitués de manière contrôlée. Les résultats
obte-nus lors d’une expérience psychoacoustique ne sont alors valables que dans les conditions dans
lesquelles ils ont été obtenus. L’utilisation de chambre anéchoïque permet par exemple de
s’af-franchir du champ réverbéré et de définir précisément les relations entre un paramètre isolé et la
sonie. Cette relation ainsi observée ne sera alors véridique que dans les conditions dans lesquelles
elle a été observée, à savoir en champ libre, et sera généralement extrapolée à des conditions
d’écoute plus naturelles. De même, il est commun de restituer les sons au casque lors de tests
psychoacoustique afin de manipuler précisément les stimuli perçus par chaque oreille des
au-diteurs. Bien que l’utilité d’une telle pratique soit incontestable, elle implique une écoute non
naturelle pour l’auditeur, pouvant faire intervenir des paramètres à même de modifier leurs
es-timations. Le rapport de sonie binaural-à-monaural peut par exemple être évalué en estimant la
sonie d’un son diffusé sur un seul canal ou sur les deux canaux d’un casque. Epstein et Florentine
(2009) ont comparé les rapports de sonie binaural-à-monaural obtenus de cette manière et lors
d’une diffusion sur enceinte (l’écoute monaurale était alors effectuée en bouchant une oreille des
auditeurs), pour de la voix parlée en direct, de la voix enregistrée et des sons purs. Le rapport
de sonie binaural-à-monaural était alors systématiquement plus faible pour les sons diffusés sur
haut-parleurs qu’au casque, donnant naissance à une « constance de sonie binaurale »,
particuliè-rement prononcée lorsque la source sonore était visible (Epstein et Florentine, 2012). La sonie ne
dépend alors plus uniquement des signaux présentés aux oreilles des auditeurs, mais également
de la validité écologique des conditions dans lesquelles les sons sont perçus.
Dans le document
Influence de la position d'une source sur le niveau sonore perçu
(Page 58-61)