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Rapport TREND Marseille-PACA 2020 – Claire DUPORT 72

Rapport TREND Marseille-PACA 2020 – Claire DUPORT 73

Protoxyde d’azote

Eléments de cadrage

Le protoxyde d’azote, plus communément appelé « gaz hilarant » ou « proto », est un gaz utilisé dans le milieu médical en association avec de l’oxygène pour ses propriétés anesthésiques (MEOPA) ou comme analgésique de courte durée (Kalinox®). Il est également employé comme gaz de pressurisation d’aérosol alimentaire, comme dans les cartouches pour siphon à chantilly ou les aérosols d’air sec.

Du fait de son usage industriel, le protoxyde d’azote n’est pas classé sur la liste des produits stupéfiant, d’où la facilité avec laquelle ses consommateurs peuvent se le procurer pour des usages récréatifs en raison de son effet euphorisant de courte durée (quelques minutes). Le plus souvent les usagers utilisent une cartouche de syphon à chantilly dont ils transfèrent le protoxyde d’azote dans un ballon de baudruche pour l’inhaler (d’où l’utilisation de l’expression « faire/prendre un ballon »). Des bonbonnes contenant des quantités plus importantes de protoxyde d’azote vendues sur internet sont également utilisées par certains usagers.

Les consommations de protoxyde pour des usages récréatifs ne sont pas nouvelles : le protoxyde est utilisé dès la fin du 18ème siècle dans les foires comme gaz hilarant, et vanté depuis pour ses effets euphorisants.

Plus près de nous, depuis 20 ans que le dispositif TREND recueille des observations sur les usages et les usagers de psychotropes, la tendance à la consommation de protoxyde est signalée, principalement dans trois contextes : en free-party, où le gaz est proposé à la consommation en capsules mais aussi en bonbonnes et consommé plutôt pour potentialiser les effets des stimulants, en soirées étudiantes où peu d’autres drogues sont consommées à part l’alcool, et en expérimentation par des adolescents.

La région PACA ne fait pas exception à ces observations de consommations de protoxyde dans ces mêmes contextes et ce depuis l’existence du dispositif TREND, même si on mesure -encore aujourd’hui- que PACA est beaucoup moins impactée par ces consommations que d’autres régions métropolitaines telles que les Hauts-de-France.

Ramener les informations à des données objectivées

Depuis 2017 en France, et 2018-2019 en PACA (principalement à Marseille), les signalements affluent, de capsules jetées sur la voie publique et plus récemment de bonbonnes de protoxyde ; les médias locaux relaient des propos alarmistes sur le sujet, frisant parfois le drame sanitaire ; et les pouvoirs publics locaux visent la prohibition en ayant voté en 2020 plusieurs arrêtés municipaux d’interdiction de vente aux mineurs en PACA.

Sans contester les informations de présence de capsules de protoxyde dans des espaces où l’on n’en voyait pas jusqu’en 2019 ou dans des quantités inférieures à celles observées jusque-là, il nous semble essentiel de ramener les informations diverses et éparses à des données objectivées, de sorte à éviter, concernant ce produit sous les feux des médias, ce qui pourrait devenir une « panique morale ».49

Tendances 2020

L’année dernière (rapport TREND portant sur l’année 2019), les observateurs et intervenants en RdRD rapportaient pour la première fois des signalements de présence de capsules dans l’espace public et/ou témoignaient de consommations dans des contextes nouveaux, à savoir : présence ponctuelle de capsules sur les plages et dans les cités, et consommations occasionnelles de protoxyde associé à de l’alcool (vodka le plus souvent) par des jeunes adultes dans les quartiers populaires.

Ces phénomènes signalés en 2019 se poursuivent en 2020.

Des expérimentateurs plus nombreux parmi les adolescents et les jeunes adultes

Bien que personne ne dispose de données quantitatives étayées, le recoupement des données qualitatives recueillies montre que les expérimentations de protoxyde d’azote par un public d’adolescents et de jeunes

49 Nous vous invitons sur ce sujet à lire l’article de Clément Gérôme, « Développement des usages du protoxyde d’azote : retour sur une panique morale ». In revue Swaps, n° 96-97, hiver 2020-2021. Téléchargeable sur : https://vih.org/20210325/developpement-des-usages-de-protoxyde-dazote-retour-sur-une-panique-morale/

Rapport TREND Marseille-PACA 2020 – Claire DUPORT 74 adultes ont été plus fréquentes en 2020 et plus nombreuses. En effet, une observation systématique de certains territoires et populations à Marseille, suivie tout au long de l’année, atteste : d’une part d’une augmentation des lieux avec présence de capsules jetées, et sur ces lieux une augmentation du nombre de capsules, voire de bonbonnes depuis la fin de l’automne 2020 ; d’autre part d’une augmentation au fil de l’année du nombre d’adolescents ou de jeunes adultes consommant du protoxyde sur ces mêmes espaces observés.

La PJJ note également parmi les jeunes quelle accompagne « une augmentation très nette dans les différentes structures de la consommation de protoxyde d’azote (gaz hilarant) ou bombes. Les jeunes peuvent en consommer beaucoup. (…) A Arles, quatre jeunes ont eu un accident de voiture après avoir utilisé ce produit (trois sont décédés et le quatrième est dans un état grave) ».

Ces observations témoignent aussi d’un renouvellement permanent de ces jeunes consommateurs, ce qui nous permet de faire l’hypothèse qu’il s’agit essentiellement d’expérimentateurs dont les consommations ne s’installent pas dans le temps.

Enfin, ces observations montrent aussi que ces situations sont davantage observées dans les quartiers populaires que les autres quartiers de la ville.

Quatre adolescents interrogés sur les lieux/moments de ces consommations (appartenant à des quartiers et groupes différents) ont tous spontanément exposé trois points concernant leurs consommations : qu’ils avaient souhaité essayer « parce que tout le monde en parle » ; que c’était « rigolo » mais seulement en groupe ; mais aussi un peu décevant parce que l’effet est extrêmement éphémère.

Un élargissement des consommateurs réguliers

Depuis fin 2019 un « nouveau » profil de consommateurs plus réguliers a été identifié : des jeunes adultes (plutôt 20-30 ans, et quelques quarantenaires), essentiellement des hommes, dans les quartiers populaires ou sur les plages du nord de Marseille, qui consomment du protoxyde associé à de l’alcool fort (généralement de la vodka), et ce régulièrement, à savoir plusieurs soirs par semaine.

Plusieurs entretiens informels avec certains de ces hommes convergent sur trois points : tous avaient les mêmes habitudes depuis l’adolescence de se retrouver régulièrement à quelques amis sur les plages ou dans le quartier mais leurs consommations étaient, au départ du cannabis, puis du cannabis associé à de l’alcool, et depuis peu de l’alcool associé à du protoxyde d’azote. Tous ont commencé cette consommation de protoxyde là aussi « parce que tout le monde en parlait et que ça avait l’air rigolo » et tous ont lié ces consommations à l’ennui (pour certains sans emploi et sans activités stimulantes, pour d’autres le confinement…) que comblent les effets euphorisants du protoxyde.

Il ne s’agit donc pas de nouveau usagers occasionnels de drogues, mais de personnes pour lesquelles le protoxyde prend place dans un ensemble de consommations déjà existantes.

Des observations qui ne permettent pas de conclure à une nouvelle tendance

Ces observations et témoignages ne permettent pas de qualifier ces phénomènes d’augmentation des expérimentations ou d’élargissement en termes de « nouvelle tendance », dans la mesure où l’expérimentation à l’adolescence ou lors de la jeunesse est un phénomène très classique ; et la consommation de psychotropes pour combler l’ennui est également un phénomène récurrent. Ces deux phénomènes étant en soi des motifs de consommation de divers produits selon les époques, l’accessibilité, la disponibilité.

Ainsi, on peut émettre l’hypothèse d’un « effet de mode » dont bénéficie le protoxyde d’azote, semblable à celui de la colle à rustines dans les années 80 (que d’ailleurs les plus âgés ne manquent pas d’évoquer lorsqu’on parle du protoxyde), et seule une observation prolongée nous permettra de mieux qualifier ce phénomène émergent.

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