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Chapitre 1 : Dimension(s) urbaine(s) et spatiale(s) de la ville

1. Sociolinguistique urbaine ou Linguistique urbanisée : un concept à (re)

1.2. La Sociolinguistique et la ville

Dans cette brève présentation du cheminement d‟une discipline comme la sociolinguistique dans son rapport à la ville, peut être partons nous (ou pour être plus précis sommes-nous toujours contraint de revenir encore et toujours) à cette affirmation de William Labov, afin de mieux comprendre les racines de cette relation, lorsqu‟il révèle à propos de la sociolinguistique « qu‟il s‟agit simplement de Linguistique ». Le ton est donné et ce qui était (et est) donné à comprendre ici est que la linguistique est par définition « sociale » c'est-à-dire axée sur la dimension sociale (et socialisante) de la production linguistique. La principale rupture de Labov avait été de remettre en cause « (…) les postulats (…) d‟autonomie des systèmes linguistiques par rapport aux déterminations sociales, qui caractérisent la linguistique » (Boyer, 1996 :36).

De là, est née une nouvelle pratique de la linguistique, la tendance variationniste (à qui on rattache nécessairement le nom à Labov). Cette tendance, une des premières à privilégier l‟observation des effets sociaux sur la structure de la langue et à s‟intéresser principalement au phénomène de variation induit par ces effets sociaux. Elle pose la question de savoir pourquoi est-ce qu‟une langue change, comment et en fonction de quoi, c'est-à-dire en fonction de quel(s) paramètres sociaux (le changement n‟étant plus ici analysé en terme de dynamique interne). Partant de cela, nous pouvons penser que l‟école variationniste du point de vue « diachronique », c‟est-à-dire historique, est vraiment pionnière en sociolinguistique dite urbaine en établissant (toujours) des corrélations entre variables linguistiques et facteurs sociaux, et en s‟intéressant au moteur du changement linguistique et social. Mais cette sociolinguistique reste « dans la ville » en s‟occupant essentiellement des conséquences de l‟urbanisation sur les pratiques linguistiques, c'est-à-dire de « faits objectifs » et pas assez des représentations des locuteurs (sur leurs langues et sur l‟espace urbain de manière générale), même si les stéréotypes sont pris en compte.

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Après le courant américain Labovien, vient le courant britannique de la « Urban Dialectologie » avec notamment des sociolinguistes comme Trudgill (1974) et Milroy (1988) ; ce courant va porter plus d‟attention aux réseaux sociaux, aux quartiers mais reste toujours axé sur l‟analyse plus ou moins quantitative des variantes.

Une autre tendance se dégage, celle de la sociolinguistique dite « sur la ville », qui envisage cette dernière en termes de discours et de mise en mots, (Bulot, 2004, 2006), c'est-à-dire nécessairement en termes de pluralités et d‟hétérogénéités au point même d‟envisager d‟abandonner le terme de ville

«(…) parce que l‟on ne peut pas prétendre promouvoir une seule vision du fait urbain, et que le terme « ville » demeure trop attaché à une catégorisation donnée ((…) l‟école de Chicago), nous proposons de ne parler que d‟ « entité urbaine » pour donner sens à la diversité même des représentations (…) » (Bulot, Messaoudi, 2004 :07-08)

Cette sociolinguistique va s‟intéresser principalement aux représentations des locuteurs, à leurs processus et phénomènes de catégorisations sociales plus qu‟à leurs pratiques effectives, et c‟est par le biais de ces catégorisations sociales que cette sociolinguistique croise une discipline comme la Géographie sociale autour de concepts clefs comme le quartier, le territoire, l‟espace, etc. Et c‟est précisément dans cette dernière tendance que nous inscrivons cette recherche puisque nous nous focalisons sur les représentations que peuvent construire des locuteurs habitants sur leur espace de vie, et comment est-ce ces représentations contribuent à (re)construire, (re)configurer ledit espace dans le sens de le marquer, le signaler afin donc de se l‟approprier.

Par ailleurs, il semblerait que ce rapprochement et cette collaboration entre sociolinguistique urbaine et Géographie sociale soit une tendance française ; nous faisons référence ici à un article de Thierry Bulot paru en 2005 et qui fait état d‟un projet commun entre des sociolinguistes urbains et des géographes sociaux autour d‟un même questionnement de recherche :

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« Notre communication rend compte d‟un projet de recherche commun11 engagé il y a plus d‟une année sur un questionnement théorique et méthodologique relevant a priori d‟une problématique géographique : les rapports complexes entre espaces et sociétés » (Bulot, 2005 :01)

Nous revenons un peu plus en détail, dans le chapitre qui suit sur ce rapprochement entre ces deux disciplines, mais aussi sur les fondements de ce rapprochement en vue de mieux souligner une construction d‟objets communs de recherche donc pour la Sociolinguistique urbaine dans son rapport à la Géographie sociale.

11 Nous rendons ici en intégralité la présentation que fait Thierry Bulot du projet commun aux

deux disciplines :

Nos deux équipes ont déposé en avril 2004 un projet pour l‟ACI Espaces et territoires. Le projet soumis rassemble des géographes, des sociolinguistes, des historiens. Il est donc fortement marqué par la pluridisciplinarité. Pour l‟étude des articulations entre rapports sociaux et rapports spatiaux, la portée heuristique de l‟entrée par les extrêmes est indéniable. C‟est pourquoi le projet est centré sur les catégories populaires, plutôt que sur les pauvres afin d‟embrasser des figures sociales différentes selon l‟époque et le contexte national. Ces catégories populaires sont envisagées sous l‟angle de leur habitat, soit beaucoup plus que la simple localisation résidentielle, et dans des sociétés urbaines de France, d‟Amérique du Nord, d‟Algérie. Entre démolitions, revitalisation, reconnaissance de l‟auto-construction, l‟actualité de l‟habitat populaire prend des formes variables, mais le poids des traditions orales et les marqueurs spatiaux contribuent toujours à son identification. L‟étude des articulations entre espace, langue et mémoire repose avant tout sur l‟analyse du marquage signalétique et du marquage architectural. Le marquage signalétique est défini comme l‟ensemble des traces qui permettent à un individu de s‟orienter dans l‟espace social ; à travers l‟architecture et l‟urbanisme, c‟est la mémoire, la visibilité, l‟existence sociale des groupes qui sont en jeu.

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1.3. Sociolinguistique urbaine et Géographie sociale : un nécessaire

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