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Chapitre 1 : Dimension(s) urbaine(s) et spatiale(s) de la ville

2. La question de la variation : entre changement linguistique et conduites

Nous évoquons ici la question de la variation linguistique et surtout l‟apport de l‟Ecole « Variationniste » pour voir quelle place est accordée au facteur de la localisation géographique (le quartier) comme élément déterminant (ou pas d‟ailleurs) dans le changement linguistique et dans l‟explication de ce changement.

Nous rappelons ici que trois notions clés s‟articulent autour de l‟approche Labovienne : changement, variation et communauté. Il s‟agit pour résumer de répondre à trois questions relatives au changement linguistique : d‟où vient la variation ? Comment se diffuse-t-elle ? Quelle régularité a-t-elle ? C‟est-à-dire quelle durée a-t-elle ? (J.M. Prieur, H. Boyer, 1996). La preuve « de nombreuses variations ne se produisent qu‟une fois, d‟autres se diffusent et finissent par devenir régulières, et c‟est cette régularité qu‟il faut motiver socialement, référer à la vie sociale de la communauté » (Boyer, 1996 : 39).

Cette théorie du changement linguistique, Labov va la vérifier sur le terrain par le biais d‟une enquêté qu‟il va mener sur l‟île de Martha‟s Vineyard (1961- 1962), et reliant des variables d‟ordre phonétique à des motivations et surtout à des implications sociales d‟où cette interrogation qu‟il pose : « Pourquoi Martha‟s Vineyard a-t-elle tourné le dos à l‟histoire de la langue anglaise ? » (Labov, 1976 :73).

Il pose ainsi en vue d‟expliquer sa théorie, une hypothèse fondamentale : « la variation observée en synchronie est en fait le changement linguistique, en observant ce trait linguistique à travers « les différences de comportements entre des locuteurs d‟âge divers » (Labov, Idem : 76). L‟enquêté menée par Labov appréhendait la variante d‟un point de vue sociologique à travers les différentes catégories qui sont l‟âge, la localisation géographique, la profession, l‟appartenance ethnique et la mobilité. Mais ces catégories seules n‟expliquaient pas les facteurs du changement social, puisque le trait de centralisation des diphtongues /ay/ et

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/aw/ observées fonctionne comme une marque d‟appartenance à la communauté de l‟île par opposition aux habitants qui ne centralisent pas ses diphtongues et au « Continent » à qui on opposait ainsi une résistance linguistique qui est en fait une résistance identitaire.

Ainsi pour Labov, la variation s‟explique beaucoup plus en termes de pressions (et d‟appartenances) sociales qu‟en termes uniquement phonologiques ou bien psychologiques. Ces pressions sont nommées par lui « une force sociale immanente au changement » (Labov, Ibid. : 47).

Ce qui ressort des travaux de Labov sur l‟île de Martha‟s Vineyard est que la variation linguistique trouve toujours une explication sociale. Cette explication sociale à le plus souvent une implication identitaire (je parle de telle ou de telle façon pour dire que je suis de tel endroit ou de tel autre : le cas des insulaires Vineyardais), mais aussi que cette revendication identitaire traduit plus une appartenance communautaire qu‟une appartenance nationale (J.M. Prieur, 1996).

Peut être que l‟Ecole Variationniste (qui analyse primordialement la variation comme facteur de changement linguistique) à davantage mis l‟accent sur les catégories sociologiques (traditionnelles de l‟âge, du genre) en vue d‟expliquer et de légitimer le changement linguistique, en plus du facteur de la fréquence que relève Françoise Gadet dans l‟approche Labovienne, et dont nous reprenons à notre compte ici les propos :

« (Qu‟) il y a une stratification de l‟usage de la langue dans la société, dont il a pu établir qu‟elle était à la fois régulière et extrêmement fine. Elle ne peut toutefois se saisir qu‟à travers des considérations de fréquence, puisque ce n‟est guère la présence ou l‟absence d‟une variante qui est en cause, mais des taux d‟occurrences comparés » (Gadet, F, 1992 b, p.6).

Mais cette approche basée sur la variation n‟a pas beaucoup tenu compte de la catégorie de la localisation géographique comme facteur déterminant dans l‟explication sociale de la variation linguistique, à titre d‟exemple, le quartier

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pris comme espace unifiant et les divers sentiments d‟identification et de revendication qu‟il peut alimenter.

En fait, il existe au moins cinq types de variations (Boyer : 1996) selon : 1-L‟origine géographique (l‟appartenance à tel ou tel espace).

2-L‟appartenance socio-culturelle (stigmatiser une langue dite « populaire ») 3-L‟appartenance générationnelle (parler des jeunes/parler des adultes)

4-La situation de parole (changement, statut et position des locuteurs, moment de la communication).

5-Le sexe qui conditionne le rapport à une langue (utilisation fréquente ou pas de tel ou tel trait linguistique ; le parler des femmes à titre d‟exemple).

Un des points forts de l‟analyse variationniste demeure l‟élément de la fréquence mais aussi l‟échange et son contexte.

Aussi l‟enquête menée par Labov sur la stratification sociale de la langue à New York visait à mettre en évidence une représentation de la variation sociale de la langue dans les différentes strates de cette communauté. Il s‟agit en fait de variantes de prestige et de variantes stigmatisées « ayant ainsi une fonction de discrimination sociale » (J. M. Prieur, 1996 : 44).

En gros, l‟approche variationniste s‟appuie essentiellement comme son nom l‟indique sur la variation et ses implications sociales, mais aussi sur la fréquence de présence (d‟utilisation) par les locuteurs pour définir la revendication sociale qui est en fait une revendication identitaire. Mais cette approche Labovienne semble ne pas accorder davantage d‟importance à la localisation géographique, c'est-à-dire à l‟espace de vie comme marqueur tout autant déterminant dans le changement linguistique et son explication.

L‟enquête sur le quartier populaire de Harlem, prise aussi ici comme exemple ne visait pas l‟impact de l‟espace (ici quartier populaire) sur la production linguistique mais bien comment est-ce que la variation sociale de la langue (la

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variable du /r/ qu‟elle soit présente ou absente) est représentée par ceux qui l‟emploient.

Il faut également dire que la plupart des études variationnistes qui ont portées sur des quartiers, l‟ont été sur des quartiers « populaires », et même le courant qui a suit la tendance variationniste Labovienne, la « urban dialectologie » (cf. La Sociolinguistique et la ville) avec notamment les travaux de Trudgill (sur les femmes 1974) et Beth Milroy (avec Caroline Andrew sur les interrelations entre le genre (gender) et les structures urbaines (1988)), ont montré que l‟appartenance sociale et l‟espace de vie n‟étaient pas les seuls facteurs déterminants dans le changement linguistique et que l‟on voyait bien que tous les individus d‟un même quartier ou classe sociale n‟avaient pas des réalisations similaires, d‟où l‟intérêt par la suite pour les concepts de réseau et de contexte d‟énonciation.

Mais aussi d‟autres concepts (comme espace, territoire, etc.) font leur entrée parmi les préoccupations d‟une sociolinguistique qui se dit aujourd‟hui « urbaine » et qui au passage tend à s‟éloigner de plus en plus de la sociolinguistique variationniste telle que posée par Labov (en fait depuis une trentaine d‟années), c‟est-à-dire axée sur la dimension urbaine de la production linguistique. Mais cette sociolinguistique tournée vers l‟urbain a d‟abord puisé dans certains axes de réflexion de la sociologie urbaine (Rémy et Leclerc, 1998/ Rémy et Voyé, 1992) qui a montré « l‟efficience conceptuelle et descriptive de l‟urbanisation comme la valorisation de la mobilité spatiale » (Bulot, 2001 :03).

On citera au passage les modèles proposés par Trudgill (1986) et Anderson (1988) qui tentent d‟expliquer « l‟émergence des dialectes urbains et qui résolvent partiellement la question autour de la densité des rapports sociaux facilitant le changement linguistique » (Bulot, 2001 : 03).

Mais aussi Bautier (1995) qui proposait une entrée vers l‟étude de la co- variance entre langue et société via les pratiques langagières et les

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représentations sociolinguistiques urbanisées, c'est-à-dire de « mener des recherches sur les espaces discursifs qui sont l’essence sociolinguistique des

territoires urbains » (Bulot, 2001, 03).

Cette perception (nouvelle) de l‟espace urbain en termes d‟espaces discursifs et de territoires (exprimés en discours) constitue un des challenges de la sociolinguistique urbaine d‟aujourd‟hui sur le quel nous allons revenir dans la chapitre qui suit et que nous intitulons donc : La sociolinguistique urbaine et la notion de territoire : une nouvelle lecture des lieux de la ville.

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3. La sociolinguistique urbaine et la notion de territoire : une nouvelle

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