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Chapitre 3-Politiques, sociétés, et échanges: les populations Européennes établies dans l'Amérique

III- Des sociétés toujours très hiérarchisées

Les sociétés coloniales de l'Amérique Septentrionale impressionnent les voyageurs par leur nouveauté tout en rappelant celles du pays d’origine par l'émergence de nouvelles élites au sein de la population.

Partout où il passe, Peter Kalm est reçu par ceux qui exercent le pouvoir. Il remarque qu'au Canada, comme en France, la domination de la société, le pouvoir et la richesse sont entre les mains de la noblesse et du clergé :

La terre est possédée par le clergé et la noblesse. La totalité de la partie cultivée du Canada a été donné par le roi au clergé et à des nobles, mais les partis qui ne sont pas cultivées lui appartiennent, tout comme les lieux sur lesquels Québec et Trois Rivières sont construits156 .

La société canadienne n'offre en ce sens, pas d'originalité par rapport à la métropole : les pouvoirs sont entre les mains d'une minorité. D’après Gilles Havard et Cécile Vidal, ceux-ci ne représentent pas plus de 3 % de la société canadienne157. La présence de cette élite, qui comme en France gouverne, s'explique par la volonté royale de contrôler la colonie mais aussi par la volonté d'établir une société absolutiste sur le modèle de la métropole, ainsi que nous le verrons plus loin.

Il peut être intéressant d’établir une comparaison entre les colonies sous influence françaises et britanniques. L'originalité de ces dernières tient au fait qu’elles ne sont pas des entreprises royales, situation qui permet l'émergence de nouvelles élites, différentes de l'Aristocratie au pouvoir dans la vieille Angleterre. C’est ce que nous fait savoir Eric Foner :

L'Amérique n'avait pas d'aristocratie titrée comme en Bretagne. Il n'y avait pas de système de rang social légalement établi, ou de familles dont la généalogie remontée à l'époque médiévale. Excepté De Lanceys, Livingstons, et Van

155 FONER Eric, Give me Liberty, an American History, New York, Seagul Edtition, (1 ère ed 2005), 2009, p 147:

“The most powerful assembly was Pennsylvania's, where a new charter, adopted in 1701, eliminated the governor's council, establishing the unicameral (one-house) legislature in the colonies. Controlled until mid-century by an elite of Quaker merchants, the assembly wrested control of finance, appointments, and the militia from a series of governors representing the Penn family.

156 KALM Peter, Peter Kalm's travels in North America, the English Version of 1770, New York, Dover Publications,

INC, (1ère ed 1937), 1964, p 531: “Land Owned by Clergy and Noblemen. The whole cultivated part of Canada has

been given away by the king to the clergy and some noblemen; but all the uncultivated parts belong to him, as likewise the place on which Quebec and Trois Rivières are built.”, Annexe 71

157 HAVARD Gilles, VIDAL Cécile, Histoire de l'Amérique Française, Paris, Champs Flammarion, (1ère ed 2003),

2006, p 538 : « Des élites canadiennes dominées par la noblesse : « La société canadienne était dominée par quelques centaines d'individus, ne constituant pas plus de 3% de la population. […]. Il faisait ainsi un seul groupe des élites ecclésiastiques, militaires et administratives, d'une part des négociants, d'autre part. »

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Rensselaers de New York, la famille Penn en Pennsylvanie, et quelques planteurs du Sud, il n'y avait personne dont la propriété foncière, en valeur monétaire, rivalisait avec celles de l'aristocratie britannique. Mais partout dans l'Amérique britannique, des hommes proéminents contrôlent les gouvernements coloniaux158.

A la différence des colonies de la Nouvelle-France, où les élites sont les mêmes qu'en métropole et souvent issues de familles nobles, donc supposées légitimes pour dominer et gouverner la société, les espaces anglais voient émerger de nouveaux dirigeants qui tirent leur pouvoir de richesses et de propriétés nouvellement acquises. Comme la relation de John Josselyn nous l’a montré avec le cas de la Pennsylvanie et de la famille de William Penn à la fin du XVIIe siècle, les sociétés coloniales de Nouvelle-Angleterre ne font pas exception : une poignée de religieux puritains, notables ou nobles, se partage les différentes provinces et s'y établissent comme dirigeants à la faveur d’une charte royale :

Le douze juillet de l'anno Domini 1630, John Wintrhop; et ses assistants, arrivèrent avec le brevet du Massachusetts […]. Le brevet fut octroyé au Sir Henry Rosewell, au Sir John Young Knight. A Thomas Southcoat, John Humprey, John Endicot et Simon Whirecom, ainsi qu'à leurs héritiers, assistants et associés pour toujours. [Etc.]159.

Cette charte royale accordée aux membres d’une compagnie de marchands puritains porte cette élite au pouvoir dès les premières années de la colonie160. Même si, comme le dit Eric Foner, il

n'y a pas d'aristocratie dans les colonies anglaises, on peut parler d'autorité seigneuriale, puisque les terres sont réparties entre différents propriétaires qui exercent une domination sur les autres habitants. C'est le cas en Nouvelle-Angleterre, c'est aussi le cas en Pennsylvanie, où les marchands Quakers se partagent la plus grande partie des richesses exploitées ainsi que l'observe Gottlieb Mittelberger: « [...] la terre et la plupart des revenus appartiennent à un Quaker du nom de Penn

158 FONER Eric, Give me Liberty, an American History,New York, Seagul Edtition, (1ère ed, 2005) 2009, p 118 :

“America had no titled aristocracy as in Britain. It had no system of legally established social ranks or family pedigrees stretching back to medieval times. Apart from De Lanceys, Livingstons, and Van Rensselaers of New York, the Penn family in Pennsylvania, and a few southern planters, it had no one whose landholdings, in monetary value, rivaled those of the British aristocracy. But throughout British America, men of prominence controlled colonial government.”

159 JOSSELYN John, An Account of two voyages to New-England, Boston, Library of Havard College, (1ère ed 1675)

1865 , p 132-133: “The Twelfth of July Anno Dom, 1630. John Wenthorp Efq ; and the affiftants, arrived with the Patent of the Maffachufets […]. The Patent was granted to Sir Henry Rofewell, Sir John Young Knight. Thomas Southcoat, John Humprey, John Endicot, and Simon Whirecomb, and to their Heirs, Affigns, and Affociats forever. [etc.]”,Annexe 28 et 28

160 BERENGER Jean, DURAND Yves, MEYER Jean, Pionniers et Colons en Amérique du Nord, Paris, Armand

Colin, 1974 : « La charte du 14 mars 1629 accordait au comte de Warwick et à ses associés un territoire de 3 miles autour de la baie avec droit d'exploiter les mines et les pêcheries. Il serait dirigé par un gouverneur, ou un lieutenant- gouverneur, aidé d'un conseil de 18 membres qui devrait réunir une assemblée quatre fois l'an au moins. (…) John Winthrop, avocat londonien très connu, fut nommé gouverneur et bientôt le siège de la compagnie (laquelle?) fut établi en Amérique, à la différence de ce qui se passait pour la plupart des autres compagnies coloniales Ainsi le gouverneur et son conseil eurent ils plus grande et plus complète autorité sur les colons. »

62 […]161 ».

Eric Foner précise qu’en Nouvelle-Angleterre, à New York ou en Pennsylvanie, la prospérité économique des marchands permet l'émergence d'une société de commerçants dès le XVIIIe siècle. Ainsi, à la différence de l'Angleterre, où la même noblesse domine la société depuis des siècles, de nouvelles richesses contribuent à l’établissement de nouveaux dirigeants162.

Les colonies américaines sous influence anglaise et la Nouvelle France reproduisent le modèle de leur métropole respective. On retrouve des traces de l’organisation sociale du pays d’origine. La population doit se soumettre à l’autorité des élites de la métropole imposées par le pouvoir royal. Les colonies britanniques quant à elles produisent leurs propres élites politiques qui reposent sur la richesse et la religion.

IV-Des rivalités et des conflits militaires et européens exportés dans ces nouveaux