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Chapitre 3-Politiques, sociétés, et échanges: les populations Européennes établies dans l'Amérique

II- La Liberté en Pennsylvanie : mythe ou réalité?

voir tableau Foner p 107: Orignins and status of Migrants to British North American Colonies, 1700-1775 tableau dans André Kaspi sur esclavage

Gottlieb Mittelberger, après avoir averti ses lecteurs de la mauvaise expérience qu'il a subi en sa qualité d' « engagé », donne une description de la Pennsylvanie comme une colonie où les habitants jouissent d'une grande liberté. Nous avons déjà vu certains éléments de cette liberté comme la diversité culturelle et religieuse, mais le migrant allemand ne s'arrête pas là. Il poursuit en affirmant que tout le monde en Pennsylvanie peut entreprendre et tenter de créer une entreprise ou un artisanat lui rapportant de l'argent ou devenir propriétaire :

Aucun commerce ni profession n'est lié à des guildes; tout le monde peut exercer chaque activité, selon qu'il le veut ou le peut, et si quelqu'un peut effectuer dix commerces différents, personne n'a le droit de l'en empêcher; par exemple, si un jeune, en tant qu'apprenti, ou par ses propres efforts, sans aide, apprend son art en six mois, il peut devenir un maître, et épouser la carrière qu'il choisit200.

not fail earnestly to ask God that they might remain good Christians, because that be the highest degree of a true religion that a moral could find.”, Annexe 54

200 MITTELBERGER Gottlieb, Gottlieb Mittelberger's journey to Pennsylvania in the year 1750 and return to

Germany in the year 1754, Philadelphia, John Jos, Mc Vey, (1ère ed 1756) 1898, p 56: “No trade or profession in

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Il y aurait donc en Pennsylvanie une grande liberté liée au travail et au commerce selon le migrant allemand. Mittelberger décrit également la colonie comme un lieu dans lequel les femmes jouissent de grandes libertés et privilèges sur les hommes, comme par exemple celui d'être soutenues financièrement et d'être mariées aux hommes qui leur ont fait des enfants201.

Mais la Pennsylvanie n'est pourtant pas une colonie où règne une totale liberté pour tous les habitants. Il ne faut d'ailleurs pas oublier que Gottlieb Mittelberger, lors des premières années de son séjour en Pennsylvanie, est, comme beaucoup de gens de l'époque, un « engagé » (un servant sous contrat) et non un homme libre. De plus, il explique qu'il existe une hiérarchie entre les différents habitants:

Selon leur couleur les habitants de la Pennsylvanie sont divisés en quatre classes. Ils y a, I. Les BLANCS, par exemple les Européens qui ont migré et les natifs engendrés par des pères et des mères européens; 2. Les NEGRES, par exemple des noirs amenés ici comme esclaves depuis l'Afrique; 3. Les MULÂTRES ou MULATRESSES, par exemple ceux qui sont engendrés par un père noir et une mère blanche, ceux-là ne sont ni blanc ni noir, mais jaunâtres ; 4. Les Bruns-Sombres, ceux-là sont les Sauvages ou les Indiens, les vieux habitants du pays202.

Nous pouvons donc voir ici que la « liberté » culturelle et religieuse, ne signifie pas pour autant l'égalité entre tous les habitants. Ce classement nous montre aussi la présence de « nègres » venus d'Afrique. La Pennsylvanie, malgré la volonté de Wiliam Penn de créer une société garantissant la liberté à tous les hommes souhaitant y vivre, est donc aussi une société esclavagiste. Mittelberger explique qu'il y a bien un commerce d'esclave noirs en plus de celui d' « Engagés », mais il ne semble pas en être étonné ni même offusqué203.

Kalm consacre aussi une partie de sa relation aux servants et aux esclaves de Pennsylvanie. Il affirme que dans chaque colonie anglaise d'Amérique du Nord, les serviteurs sont de trois sortes : des « servants libres », des « Engagés » ou « servants sous contrat » et les esclaves noirs204. Ces derniers n'ont pas de droit et peuvent servir comme esclaves tout au long de leur vie. Il montre bien que la Pennsylvanie ne fait pas exception et que même les Quakers ont des esclaves. En revanche, il

would carry on ten trades, no one would have a right to prevent him ; and if, for instance, a lad as an apprentice, or through his own unaided exertions, learns his art or trade in six months, he can pass for a master, and may marry whenever he chooses.”, Annexe 19

201 Ibid., p 93, Annexe 29

202 Ibid., p 107: “According to their color the inhabitants of Pennsylvania may be divided into 4 classes. There are, I. WHITES, i.e. Europeans who have immigrated, and natives begotten by European fathers and mothers; 2. NEGROES, i.e. blacks brought over as slaves from Africa; 3. MULATERS or MALATERS (mulattoes), i.e. such are begotten by a black father and a white mother; these are neither white nor black, but yellowish; 4. DARK- BROWN, these are the savages or Indians, the old inhabitants of the country.”, Annexe 34

203 Ibid., p 106, Annexe 33°

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arrive à certains d'entre eux de leur donner la liberté. Il peut, selon lui, arriver de croiser d'anciens esclaves devenus des hommes libres à Philadelphie ou dans d'autres villes de Pennsylvanie : « Il y a

également plusieurs nègres libres en ville, qui ont eu la chance d'avoir pour maître un Quaker zélé qui leur a donné la liberté après qu'ils l'aient fidèlement servi pendant un temps205

».

Ce que Kalm montre ici est aujourd'hui avéré : les Quakers ont été parmi les premiers colons à avoir lutté contre l'esclavage. Les membres de cette secte considèrent, comme nous l'avons vu avec William Penn, que tous les hommes sont frères. Le noir, au même titre que le blanc, ne doit donc pas être esclave selon les principes de l'Ancien Testament. Les mouvements d'affranchissement et de libération d'esclaves par des propriétaires Quakers relèvent donc d'un esprit précurseur de l'abolitionnisme. On peut voir avec Claude Fohlen que, très tôt, les Quakers de Pennsylvanie et du Nouveau Monde ont cherché à lutter contre la traite négrière et l'asservissement des populations noires :

Les Quakers ont toujours été les promoteurs de l'abolition de l'esclavage dans les colonies américaines. Ce sont quatre d'entre eux, Gerrit Hendricks, Derick den Graeff, Abraham den Graeff et Francis Daniel Pastorius qui signent la première protestation contre l'esclavage, au meeting de Germantown, en 1688. Cette protestation est d'ailleurs refusée par l'Assemblée générale, car plusieurs de ses membres sont propriétaires d'esclaves. Le geste n'en est pas moins significatif de la position des Quakers qui, malgré les divisions, demeurent, au XVIIIe siècle, à l'avant-garde de la lutte contre l'esclavage. Cette question revient périodiquement dans leurs assemblées annuelles. Ainsi, en 1696, une proposition est présentée à celle qui se tient à Philadelphie pour la suppression de la traite, sans plus de succès206.

Une proposition de loi pour abolir l'esclavage avait donc été proposée puis rejetée bien avant l'arrivée de Mittelberger et Kalm en Pennsylvanie. Cependant, cette pratique persiste en Pennsylvanie malgré les visées libératrice de la création de la colonie. On peut s'étonner que Mittelberger et Kalm décrivent cette colonie comme celle où les hommes jouissent d'une grande liberté. Le Suédois ne regrette, au sujet des esclaves, que leur ignorance de la religion chrétienne et non pas la persistance de leur exploitation par les colons207.

Malgré les affirmations de Kalm et même de Mittelberger sur l'existence d'une grande liberté dans la province de Pennsylvanie, il semble que tous les habitants ne soient pas libres ni égaux. Nous l'avons vu avec le rappel de la condition servile de Mittelberger et de beaucoup

205 Ibid., p 206: “There are likewise several free negroes in town, who have been lucky enough to get a very zealous Quaker for their master, and who gave them their liberty after they had faithfully served him for a time.”, Annexe 28 206 FOHLEN Claude, Histoire de l'esclavage aux Etats-Unis, Saint-Amand-Montrond Perrin, 1998, p 86

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d'autres individus ainsi qu'à la présence de nombreux esclaves. Il semblerait donc, que la vision de la liberté présentée par les relayeurs ne soient pas la même que la définition actuelle. Celle-ci consisterait, pour eux, en une tolérance religieuse ainsi qu'à une liberté de commercer et d'entreprendre. Si l'on croit ces deux relayeurs, la société de Pennsylvanie serait donc en avance sur ces points par rapports aux autres espaces coloniaux et même aux États européens.