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La société civile, acteur essentiel de la réussite de l’ouverture des données

Dans le document MISE EN GARDE (Page 100-103)

Si l’initiative publique apparaît nécessaire, elle ne peut, seule, garantir la réussite d’un mouvement d’ouverture des données : la société civile a un rôle crucial à jouer, à un triple niveau.

En premier lieu, la société civile peut avoir un rôle d’impulsion. L’exemple helvétique est totalement révélateur, puisque c’est la société civile qui a porté l’action publique. En effet, c’est à la suite de deux conférences organisées en 2011(75) qu’a été rédigé par deux associa-tions, ch/open/ et SI, le manifeste pour l’adoption par la Suisse d’une politique en matière de données ouvertes(76). Ce mouvement s’est ensuite rapidement structuré en une association autonome début 2012, l’association Opendata.ch, section suisse de l’Open Knowledge Foundation. La sphère publique s’est ensuite emparée de la problématique, et a lancé fin 2012 un portail provisoire, avant de publier début 2016 le portail définitif. Au Vietnam, une initiative intéressante a été la construction d’un portail privé(77), palliant ainsi l’absence d’un portail public et qui pourrait en être un préalable.

Mais la société civile a d’autres moyens d’action, notamment par l’appropriation, l’utilisation et un retour sur l’action publique, vecteurs de pérennisation de l’ouverture des données : qu’importe le nombre de jeux de données disponibles si ceux-ci ne sont pas utilisés, qu’importe l’organisation d’événements si l’audience est vide. Cela implique que des acteurs prennent le temps d’analyser et de créer un service à valeur ajoutée pour des utilisateurs finaux. Les différentes initiatives à travers le monde laissent toutefois peu de doute quant à la création de valeurs sur la base de données ouvertes(78). Sur ce plan, la société civile peut être à la fois un relais de l’action publique, en incitant à la participation, et un vecteur propre de communication, en organisant ses propres évènements.

Les différentes ramifications de l’Open Knowledge Foundation sont ainsi des associations fort actives dans la promotion de l’ouverture des données et également la discussion politique, comme le montre la richesse de leurs actualités et de leurs interpellations(79). Des associations de moindre ampleur sont également importantes, permettant, par leur proximité, d’atteindre un public moins sensibilisé et de dynamiser des actions plus locales. À ce titre, l’association LiberTIC a récemment montré l’intérêt de l’ouverture des données pour le grand public lors de la pénurie d’essence : grâce au croisement des données disponibles, une cartographie plus fiable que les seules données officielles a pu être établie, aide précieuse pour les automobilistes(80). Cet article a également pointé du doigt les failles de l’administration en la matière, et les axes d’amélioration possibles.

Enfin un dernier rôle de la société civile est la généralisation, par l’ouverture de ses propres données. Comme le citait l’article de l’association LiberTIC, disposer de données ouvertes par une société privée permettait d’enrichir les données publiques moins précises(81). En reprenant un autre exemple helvétique, le magazine « Le Temps » a ouvert ses archives à l’occasion d’une journée marathon de programmation, avec des résultats inattendus et passionnants(82). Si le gain d’une telle initiative est très aléatoire pour l’organisateur, comme tout inves-tissement de recherche et d’innovation, le risque est également faible : la mise à disposition de données non sensibles est faible (coût de sélection, éventuel coût de numérisation), au choix de l’entreprise de déterminer si elle souhaite investir dans un évènement, qui reste un gage de visibilité et ainsi un gain d’image. En revanche, il s’agira toujours d’une contribution précieuse pour l’information et l’innovation de la communauté.

que l’ouverture des données publiques est limitée par le respect du droit en vigueur : « La mise en libre accès de données publiques est autorisée uni-quement si elle ne contrevient pas au droit en vigueur (notamment aux dispo-sitions sur la protection des données et de l’information et sur le droit d’auteur). »

Cette stratégie illustre le passage de l’accès libre aux documents, issue de la loi sur la Transparence du 17 décembre 2004, au « libre-service » des données. Il convient de noter que, quand bien même la Confédération helvétique est hors de l’Union européenne, elle calque ici sa politique sur les objectifs de la Directive européenne 2013/37/UE publiée l’année précédente.

En amont de l’adoption de ce texte, un portail pilote, opendata.admin.ch, avait été mis en place en 2013. Ce portail était disponible en quatre langues, et rassemblant 1 845 jeux de données, ainsi que quelques applications développées sur la base de ces données.

Le portail définitif, opendata.swiss(72), a pris la suite le 2 février 2016(73), toujours sous la forme d’un portail multilingue. Seuls 769 jeux de données publiques(74) sont désormais proposés.

Les raisons de ce changement restent inconnues : publication à venir ou tri ? Le portail ambitionne tout comme son prédécesseur de référencer les applications. À l’heure actuelle, seules neuf applications sont cataloguées, nombre faible probablement dû à la jeunesse du nouveau portail.

MAROC

En matière de politique de données ouvertes, le Maroc a été un des États pionniers et fait figure de leader sur le continent africain(83) avec la mise en place, dès mai 2011, d’un portail d’accès aux données ouvertes de l’administra-tion dans le cadre d’un ambitieux plan Maroc Numéric 2013. Ce programme, adopté en 2009, avait pour objectif de dynamiser le marché des nouvelles technologies au Maroc, et s’est accom-pagné de différentes réformes, adaptant le cadre juridique aux nécessités des activités numériques.

À ce titre, un rapport réalisé sous l’égide du Conseil économique social et environnemental en 2013(84) note la promulgation en 2009 de la loi sur la protection des données personnelles, nécessaire pour l’attractivité du territoire en matière d’échanges d’information, et l’inscription dans la Constitution du prin-cipe d’accès à l’information, soutenant ainsi le développement du portail open data. Le rapport note toutefois la néces-sité de poursuivre les efforts pour lever les blocages pesant encore sur la publi-cation des données, notant notamment la nécessité d’une modification des règles pesant sur les fonctionnaires en matière de secret, et l’instauration d’une politique claire en matière de classifica-tion des documents administratifs.

Le bilan du plan Maroc Numéric 2013 a été très positif en ce qui concerne la dynamique instaurée, inscrivant le Maroc dans la révolution numérique et le rendant attractif pour les entreprises du secteur(85). Toutefois, contrastaient les résultats en demi-teinte, si ce n’est déce-vants, des actions engagées en matière de données ouvertes(86). En réaction, une nouvelle version du portail a été publiée en juin 2014(87). Il est difficile de parler de succès compte tenu du peu de jeux de données accessibles. Cependant, il convient au moins de constater une dynamique positive, puisqu’en un an et demi, le nombre de jeux de données a doublé pour dépasser la centaine(88). BURKINA FASO

Le Burkina Faso est la conjonction de deux politiques publiques, d’une part, la politique de la BAD, qui propose la plateforme http://burkinafaso.opendataforafrica.org, et, d’autre part, la plateforme nationale, http://data.gov.bf.

Comme le notait le précédent rap-port sur l’état de la Francophonie numé-rique, le gouvernement du Burkina Faso s’est engagé dans une démarche volon-taire pour la mise en place d’une plate-forme de données ouvertes. Dans son rapport de 2014, rendu en partenariat avec la Banque mondiale, le gouverne-ment burkinabé remarquait que le cadre législatif existait, mais pouvait être

amé-en place. Depuis lors, l’Agamé-ence nationale des télécommunications a été mise en place, l’ANPTIC, et un portail propre de données ouvertes a été mis en ligne, conformément aux volontés du rapport.

Si toutes les modifications législa-tives ne sont pas entrées en vigueur, il est toutefois possible de remarquer que le Burkina Faso est un pays très actif en matière de données ouvertes. Ainsi les dernières élections ont fait l’objet d’une ouverture des données, dans un objectif de transparence(89). Cette initiative a par ailleurs été nominée, pour sa qualité et son caractère innovant, au WSIS 2016, organisé sous l’égide de l’Union inter-nationale des télécommunications(90). De plus, la société civile s’est remarqua-blement approprié le thème, comme en témoigne le succès de l’Open Data Day du 5 mars dernier(91).

Davantage de coopération entre les deux initiatives publiques serait souhai-table, notamment la synchronisation entre la plateforme de la BAD et la plate-forme nationale. Il convient également de noter qu’à l’heure de la rédaction du présent rapport, on constate une indis-ponibilité des sites soutenus par le gou-vernement burkinabé. On peut espérer leur retour rapide compte tenu du risque de ralentissement de la dynamique dans laquelle ces sites s’inscrivent. 

EN CONCLUSION

À travers ces exemples, il apparaît que l’appui public a bien d’autres enjeux que l’incitation et la garantie des droits des personnes. Notamment, l’exécutif est seul à même de pouvoir adapter le cadre juridique lorsque celui-ci doit être modifié pour permettre l’ouverture des données. L’exemple cité du Maroc est topique, la loi marocaine comportant des incompatibilités avec une action de données ouvertes (open data).

La centralisation par l’administra-tion d’un portail de données ouvertes présente de multiples intérêts : une garantie étatique quant à la qualité

2 ÉDIFIER DES SOCIÉTÉS DE L’INFORMATION OUVERTES, TRANSPARENTES ET DÉMOCRATIQUES EN FRANCOPHONIE

accès par guichet unique facilité, et surtout une disponibilité linguis-tique. Cette étude s’est appuyée sur la consultation de nombreux portails de données ouvertes ; il est apparu de manière claire que les initiatives pure-ment privées étaient bien dans la qua-si-totalité des cas des plateformes en anglais, quand les plateformes natio-nales ou supranationatio-nales sont multilin-gues. L’exemple de l’Union européenne, celui du Canada ou encore de la Suisse méritent ici d’être soulignés.

Sur un autre plan, il faut encore préciser que la sphère publique est la seule à avoir accès aux données de l’administration, or l’ouverture des

données publiques présente un enjeu particulier, s’inscrivant dans le cadre du gouvernement ouvert et du droit à l’information, avec pour corollaire d’assurer une meilleure transparence de la vie publique et une démocratie renforcée. En effet, la disponibilité des données brutes permet de recroiser et vérifier les informations affichées(92). L’exemple burkinabé d’un contrôle via les données ouvertes des dernières élections est tout à fait révélateur de cette puissance de l’ouverture des don-nées publiques.

Si les intérêts et les enjeux des politiques publiques apparaissent clai-rement, un autre point critique repose

ensuite sur la promotion de ces poli-tiques. En effet, un portail qui ne fait l’objet d’aucune publicité ne pourra être approprié par la société civile. Or cette appropriation est bien tout l’objectif de l’ouverture. Suivant le constat effectué notamment pour la Suisse pendant la réalisation de cette étude, un cadre juridique et une infrastructure ne sont pas suffisants pour faire décoller l’open data, encore faut-il une promotion appropriée pour que l’ouverture des données entre dans les mœurs, tant pour l’administration pour un réflexe de publication de toutes données utiles sans enjeu direct, que pour la société civile, pour s’approprier ces données et contribuer à son tour. 

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