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SN 1993J : une supernova emblématique

2.3 L’accélération de particules dans les supernovae détectées en radio

2.3.1 SN 1993J : une supernova emblématique

SN 1993J a été découverte le 28 mars 1993 dans la galaxie M81, qui est située à la distance D = 3, 63 ± 0, 34 Mpc. Elle est classée de type IIb, car son spectre optique initial présentait une faible raie d’hydrogène (ce qui caractérise les supernovae de type II), laquelle a disparu par la suite. Elle résulte vraisemblablement de l’explosion d’une étoile supergéante rouge, qui était initialement dans un système binaire. Les images obtenues à plusieurs fréquences entre mai 1993 et novembre 2005 par la technique d’interférométrie à très longue base sont specta-culaires (Bartel et al., 2007; Martí-Vidal et al., 2011). Elles révèlent l’expansion régulière d’une source en coquille. L’émission radio étant vraisemblablement produite entre le choc principal se propageant dans le milieu circumstellaire et le choc en retour progressant dans les éjectas de la supernova, ces images permettent de déterminer avec une grande précision la vitesse de l’onde souffle et la morphologie globale du rémanent en fonction du temps.

Weiler et al. (2007) ont présenté un ensemble de mesures de densité de flux réalisées avec le Very Large Array(VLA) et d’autres radiotélescopes sur une période de ∼5000 jours après l’ex-plosion. Ils ont bâti à partir de ces données des courbes de lumière à huit longueurs d’onde, de 0,3 à 90 cm. Celles-ci montrent une augmentation relativement rapide de la brillance de l’émis-sion jusqu’à un maximum dépendant de la longueur d’onde, puis une diminution régulière jusqu’au ∼3100ejour après l’explosion où le déclin s’accélère brutalement. L’interprétation de cette chute rapide du flux radio ∼8,5 ans après l’explosion est que le choc principal a atteint à cette date la limite d’une région circumstellaire particulièrement dense, qui a été remplie par les vents de l’étoile massive pendant ∼9000 ans avant l’explosion. Weiler et al. (2007) ont montré que l’allure des courbes de lumière dans la phase ascendante témoignait de deux phénomènes d’absorption concomitants : l’auto-absorption synchrotron dans la région émettrice et l’atté-nuation libre-libre dans le milieu circumstellaire sur la ligne de visée. Le premier processus permet d’estimer l’évolution du champ magnétique dans la région de propagation des élec-trons relativistes. Le second nous renseigne sur la densité du gaz dans le milieu circumstellaire et donc sur le taux de perte de masse de l’étoile supergéante ˙MSGR. Pour contraindre le modèle, nous nous sommes servis de l’ensemble des données à 0,3, 1,2, 2, 3,6, 6 et 20 cm, enregistrées entre les jours 5,3 et 2996,0 après l’explosion. Nous avons également utilisé le profil radial de la brillance de surface de l’émission à 8,4 GHz mesuré par Bietenholz et al. (2003) ∼2500 jours après l’explosion.

Les principaux ingrédients de notre modèle sont les suivants.

(i) La production des rayons cosmiques au choc principal est décrite avec le modèle non linéaire d’accélération diffusive par onde de choc de Berezhko et Ellison (1999). La forme des fonctions de distribution des protons et des électrons sur le domaine p ≤ mpc est déterminée par l’efficacité d’injection des protons ηp

inj. Etant donnée l’intensité du champ magnétique ambiant, ce sont des électrons de cette gamme de quantité de mouvement qui émettent un rayonnement synchrotron dans le domaine des ondes radio. Le rapport du nombre d’électrons et de protons accélérés au choc dépend également de l’efficacité d’injection des électrons ηe

inj.

(ii) A tout instant, une fraction des électrons accélérés est transportée par advection loin du front de choc avec le fluide thermique en aval. Les électrons non thermiques subissent

L’accélération de particules dans les supernovae détectées en radio

trois principaux processus de perte d’énergie au cours du temps : perte adiabatique due à l’expansion du rémanent, perte synchrotron dans le champ magnétique et refroidissement due à leur diffusion Compton inverse sur des photons ambiants. La densité d’énergie du champ de photons derrière l’onde de choc est dominée par la contribution des éjectas. On montre par ailleurs que les pertes d’énergie coulombiennes et celles dues au rayonnement de freinage (Bremsstrahlung) peuvent être négligées en bonne approximation.

(iii) L’évolution hydrodynamique du fluide thermique en aval du choc est calculé avec le mo-dèle autosimilaire présenté par Chevalier (1982a). Ce momo-dèle ne tient pas compte de l’effet de la pression des rayons cosmiques PCR. On peut montrer a posteriori que cette approxi-mation est suffisante dans le cas de SN 1993J, car la pression PCRdemeure toujours bien inférieure à celle exercée par le gaz thermique post-choc. De plus, l’évolution du réma-nent observée par la technique d’interférométrie à très longue base est compatible avec une faible modification du choc par les rayons cosmiques.

(iv) L’intensité du champ magnétique derrière le front de choc résulte essentiellement de la compression du champ turbulent amplifié par les instabilités de faisceau induites par les rayons cosmiques dans la région du précurseur. Une étude paramétrique préalable des courbes de lumière radio nous a permis d’établir l’évolution temporelle du champ ma-gnétique dans cette région : B1(t) = B10× (t/1 jour)−bavec b = −1, 16 ± 0, 20 (remarquons que B0

1 est noté Bu0dans Tatischeff 2009). Dans le modèle détaillé, nous avons fixé b = 1, ce qui correspond à la dépendance temporelle attendue si le champ magnétique est am-plifié par le mécanisme d’instabilité de faisceau non résonante proposé par Bell (2004). (v) Nous avons testé deux hypothèses pour l’évolution du champ magnétique turbulent dans

le milieu aval : l’une où il est simplement transporté par advection loin du front de choc et l’autre où il est rapidement amorti au travers d’une cascade d’ondes plasma vers des échelles spatiales de plus en plus petites. Cette dernière hypothèse a été proposé par Pohl et al.(2005) pour expliquer les filaments observés en rayons X dans de jeunes rémanents de supernova galactiques.

(vi) Une fois déterminés le champ magnétique et la distribution en énergie des électrons non thermiques à tout instant et à toute position dans le milieu choqué, l’intensité du rayon-nement synchrotron de ce milieu est obtenue de manière rigoureuse par un calcul de transfert radiatif à partir des coefficients d’émission et d’absorption. On détermine tout d’abord le profil de brillance de surface, lequel est ensuite intégré sur la coordonnée ra-diale pour obtenir le flux de densité (voir Tatischeff, 2009, annexe B).

(vii) Finalement, le rayonnement synchrotron produit derrière l’onde de choc est atténué dans le gaz circumstellaire par le processus d’absorption libre-libre. Diverses observations en radio, optique et ultraviolet montrent que la matière des vents stellaires n’est générale-ment pas distribuée de manière homogène, mais plutôt constituée de grumeaux et de fila-ments. Pour tenir compte de cela, nous avons utilisé un facteur d’atténuation de la forme [1 − exp(−τCSM)]/τCSM, où τCSM est l’épaisseur optique. En adoptant vw = 10km−1 et TCSM = 105 K pour la température du gaz circumstellaire devant l’onde de choc (voir Fransson et al., 1996), l’atténuation libre-libre ne dépend finalement que du taux de perte de masse de la supergéante ˙MSGR.

Le modèle ne possède au bout du compte que quatre paramètres libres : ˙MSGR, la norma-lisation du champ magnétique B0

1, et les efficacités d’injection ηp inj et ηe

inj. Le code de simula-tion que nous avons réalisé permet de comparer aisément les résultats du modèle aux don-nées en fonction de la valeur de ces paramètres. Nous avons obtenu le meilleur accord pour

˙

MSGR = 3, 8 × 10−5 Myr−1, B0

1 = 50G, ηp

inj = 10−4et ηe

inj = 1, 1 × 10−5, et avec l’hypothèse d’un transport advectif du champ magnétique turbulent dans le milieu aval. L’hypothèse d’un

L’accélération de particules dans les ondes de choc des explosions stellaires

amortissement rapide de la turbulence MHD derrière l’onde de choc n’est pas compatible avec les données. Plusieurs remarques s’imposent à la suite de ces résultats.

(i) Comme pour l’éruption de la nova symbiotique RS Oph (2006), nous avons trouvé qu’une injection constante de protons avec ηp

inj ≈ 10−4 (l’incertitude étant d’un facteur environ deux) rendait bien compte des données. Avec cette valeur, la pression exercée par les rayons cosmiques derrière le front de choc augmente régulièrement avec le temps, mais elle reste toujours inférieure à 20% de la pression post-choc totale. La modification du choc principal de SN 1993J demeure donc relativement faible.

(ii) Néanmoins, l’énergie cinétique totale acquise par les rayons cosmiques pendant cette phase initiale (i.e. pendant ∼8,5 ans après l’explosion) est importante. Elle s’élève à 7, 4×1049erg, ce qui est comparable à l’énergie moyenne que chaque supernova galactique doit fournir en particules accélérées pour maintenir la population de rayons cosmiques dans la Voie lactée (voir Eq. 2.1). Mais la plupart des rayons cosmiques accélérés au cours de cette phase vont demeurer dans le rémanent jusqu’à ce qu’il se dissolve dans le milieu interstellaire de M81. Ils vont alors subir une perte d’énergie adiabatique ininterrompue, de sorte que ceux qui seront relâchés au bout de quelques dizaines de milliers d’années ne contribueront sans doute pas de manière significative à la population de rayons cos-miques de cette galaxie. Mais les ions les plus énergétiques s’échappent continûment de la zone d’accélération vers le milieu interstellaire. De plus, quand le choc principal a at-teint la limite du milieu circumstellaire dense, ∼3100 jours après l’explosion, une bouffée supplémentaire de rayons cosmiques de haute énergie a pu être libérée16.

(iii) L’intensité du champ magnétique au choc est contrainte par deux phénomènes : l’auto-absorption synchrotron et les pertes d’énergie des électrons qui émettent en radio. La prise en compte de ce dernier processus est nécessaire pour rendre compte correctement à la fois des courbes de lumière et de la morphologie de l’émission radio. Le résultat ob-tenu, B1(t) = (50 ± 20) × (t/1 jour)−1G, suggère que le champ magnétique est fortement amplifié dans le précurseur, vraisemblablement par le mécanisme d’instabilité de faisceau non résonante proposé par Bell (2004). Avec la pression PCRdéduite de la modélisation, le champ magnétique turbulent prédit par la théorie de Bell est proche de la valeur mesu-rée. L’amplification du champ magnétique par les rayons cosmiques augmente leur taux d’accélération (voir Eq. 2.9), de sorte que dans SN 1993J des protons ont pu être accélérés jusqu’à une énergie >

∼ 1016eV en seulement quelques jours après l’explosion. Des atomes de fer totalement ionisés (Z = 26) ont pu atteindre à ce moment ∼1017–1018eV, s’appro-chant ainsi de l’énergie de la “cheville” dans le spectre des rayons cosmiques galactiques (∼ 3 × 1018eV).

Les résultats obtenus par cette modélisation de l’émission radio de SN 1993J suggèrent que les rayons cosmiques du “tibia” – ceux dont l’énergie est située entre le “genou” et la “cheville” du spectre des rayons cosmiques galactiques (Fig. 2.1) – sont produits dans la phase très pré-coce de la vie des rémanents de supernova, lorsque l’onde de souffle interagit avec la matière des vents émis par l’étoile massive peu de temps avant son explosion. Mais à la fois le nombre et l’énergie maximum des rayons cosmiques accélérés pendant cette phase augmentent avec la densité du milieu circumstellaire. Les supernovae de type IIb comme SN 1993J résultent de l’explosion d’étoiles supergéantes rouges, qui perdent à la fin de leur vie des quantités impor-tantes de matière dans des vents relativement lents (vw ∼ 10 km s−1). Ces supernovae sont donc particulièrement propices à une accélération efficace de rayons cosmiques de haute éner-gie (voir également Ptuskin et al., 2010). Mais elles sont rares : d’après Smartt et al. (2009), seul 16La longueur de diffusion des rayons cosmiques en amont du choc a en effet rapidement augmentée à ce mo-ment, étant donnés que ldiff∝B−1

1 (Eq. 2.13) et que le champ magnétique amplifié B1∝ρ1/21 (voir Bell, 2004).

L’accélération de particules dans les supernovae détectées en radio

5,4% de l’ensemble des supernovae à effondrement de cœur sont de type IIb17. Il apparaît donc nécessaire d’étudier d’autres types de supernovae avant de pouvoir conclure quant à l’origine des rayons cosmiques de haute énergie.