• Aucun résultat trouvé

L’histoire du développement des filières lait en Algérie, Maroc et Tunisie est particulièrement instructive et fait du Maghreb un véritable laboratoire des politiques laitières. Rappelons qu’à l’amorce des indépendances, donc au début des années « soixante », l’industrie laitière proprement dite n’existe pratiquement pas au Maghreb (quelques usines

privées de faible capacité dans les grandes villes, les Centrales d’Alger et Casablanca, la CLO à Oran, etc…).

D’une façon générale les colons, qui avaient peu investi dans le secteur de l’élevage, n’avaient pas trop réussi dans le secteur laitier malgré des tentatives d’importation de races pures (Normandes, Jerseyaise, Tarentaise…). En milieu rural traditionnel, l’autoconsommation est la règle et on déclare volontiers que « le lait s’offre mais ne se vend pas » ! Aussi, les responsables politiques nationaux, confrontés à la forte poussée démographique et à l’impérieuse nécessité de nourrir les villes, vont rapidement élaborer des plans laitiers qui vont être effectifs au début des années 70.

2. Etat de situation des flux

En Algérie :la consommation croît de 950 millions de litres en 1970 à 3700 millions de litres en 1985 pour redescendre à 3380 millions en 2000. C'est-à-dire que la consommation par habitant/an est passée de 90 à 170 puis revient à 115 litres.(106)l’algérien est donc devenu en peu de temps un fort consommateur malgré la régression conjoncturelle des dernières années.

Au Maroc : la consommation totale va dans le même laps de temps 1970-2000 simplement doubler (de 990 millions de litres à 1860 millions), de sorte que la consommation par habitant/an stagne autour de 65 litres par le simple fait de la pression démographique.

En Tunisie : la performance est intermédiaire car la consommation totale triple dans la période 1970-2000 (de 275 millions à près de 800 millions). La consommation par habitant/an augmente certes, mais pas spectaculairement (de 55 litres à 83 litres).

Ces chiffres cachent en vérité des politiques très différentes. La stratégie la plus logique vise à nourrir les villes en collectant le lait dans les fermes pour le transformer dans les usines…et de compléter les déficits par les importations. Donc, deux indicateurs sont à considérer, les importations et le lait dit « usiné ». En principe la production nationale devrait être canalisée dans la mesure du possible vers le circuit industriel contrôlé (le lait usiné) mais

159 le circuit présente de nombreuses « fuites » car une partie de ce lait ne quitte pas les exploitations agricoles (autoconsommation par le veau et par la famille), une autre partie étant commercialisée par le biais du colportage et des ventes en directe.

L’indicateur « lait usiné », qui évoque la capacité du pays à nourrir les villes, est donc important à considérer (tableau).

Tableau 45: Production et importation du lait et dérivées en 2000 (En millions de litres d’équivalent lait)

Algérie Maroc Tunisie

Production nationale Dont lait usiné

1 140 110 900 485 670 390 Importations 2 240 960 75 Consommation 3 380 1 860 745 Taux de couverture 34% 48% 90% Prix du lait à la consommation (en FF) 2,20 3,50 3,20

Source : résumé sur www.lavieeco.com , de la conférence de Alain BOURBOUZE ; le développement des filières lait au Maghreb, donnée à Agropolis Museum le 5 Mars 2003.

3. Diagnostic

Trois images très différentes se désignent ainsi :

En Algérie : la politique suivie a délibérément privilégié la consommation par l’importation de poudre de lait et de matière grasse en grandes quantités (2.240 millions de litres). Les usines construites à travers le pays (« entreprise GIPLAIT ») se contentent alors de mettre sur le marché du lait reconstitué par la combinaison de poudre et d’eau, et ce à un prix assez faible (2,20 FF) ce que permet le prix de la poudre de lait importée qui reste assez bas sur le marché mondial, malgré une forte remontée. Dès lors, les industriels font très peu d’efforts pour favoriser la production locale et la collecte de lait cru. Ils n’en collectent que 110 millions de litres qu’ils destinent aux productions sensibles (yaourterie…), laissant s’échapper vers les circuits courts le lait de colportage pour des consommateurs qui acceptent de payer le lait cru-de qualité non certifiée- à un prix plus élevé. Les élevages laitiers spécialisés ont donc beaucoup de mal à s’implanter sur le territoire algérien ailleurs que dans les ceintures périurbaines. Mais en marge de colportage, une nouvelle corporation d’artisans

laitiers s’installe et s’organise par le biais de laiteries urbaines (minilaiteries) qui se montrent très actives et s’équipent progressivement pour collecter le lait cru. En fait, les circuits informels…se formalisent.

Au Maroc : les options furent différentes. La taxation aux frontières de la poudre de lait dès 1972, la mise en place d’un dispositif d’aide à la production locale et de collecte du lait, a permis aux usines laitières de s’approvisionner sur place en lait cru (485 millions de litres usinés) auprès de petits producteurs intéressés par un prix de vente à la production attractif. Par contre, le prix à la consommation est resté relativement élevé, freinant les niveaux de consommation qui sont très bas. Les importations restent fortes mais ne concernent que des produits dérivés (beurre, fromages). La production nationale n’assure ainsi que la moitié des besoins totaux (taux de couverture de 48%). Comme en Algérie, des minilaiteries se multiplient en ville et commencent à concurrencer sérieusement les circuits industriels dans certaines régions.

En Tunisie :la politique a d’abord emprunté la voie algérienne de la recomposition du lait par importation de poudre. Mais progressivement des mesures furent adoptées pour favoriser l’émergence de la production nationale qui, à partir de 1990, a véritablement décollé, assurant en 2001 la totalité des besoins de consommation grâce à la multiplication de petits élevages laitiers intégrés dans une filière dynamique. Succès évident donc d’une politique, confrontée à présent aux problèmes des excédents laitiers et des contrôles de qualité. Toutefois, le niveau de consommation reste assez modeste (831) du fait de prix à la consommation assez élevés. Le système tunisien souligne ainsi qu’on peut produire beaucoup, mais il reste à retrouver les moyens de produire moins cher pour faire consommer plus.