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PARTIE III : LES MEDICAMENTS DERIVES DU CANNABIS EN FRANCE

B. La situation actuelle

1) Retard de la mise sur le marché

Alors que l’AMM pour le Sativex® a été délivrée en janvier 2014 et que le produit devait être commercialisé en pharmacie d’officine début 2015, il n’est aujourd’hui toujours pas disponible. En effet, les négociations entre le laboratoire Almirall SAS, qui commercialise le produit, et le Comité Economique des Produits de Santé (CEPS) restent en débat. A la date d’aujourd’hui, le prix et les conditions de remboursement ne sont toujours pas fixés (156).

Cependant, la Commission de transparence de 2014 a rendu un avis favorable à l'inscription du Sativex® sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux et sur la liste des spécialités agréées à l’usage des collectivités dans l’indication et aux posologies de l’AMM. Le taux de remboursement proposé était de 15 % (79).

Selon Christophe Vandeputte, directeur général du laboratoire, Almirall a proposé au CEPS un prix inférieur de 20 % à celui pratiqué dans les autres pays européens (440 euros prix fabricant pour une boîte de trois flacons de 10mL). Mais le CEPS a soumis un prix de vente nettement inférieur, représentant seulement 17 % de celui indiqué par Almirall. Or, selon lui, «les mesures de sécurité sanitaire, de traçabilité et de bon usage représentent déjà 70 % du prix que l'entreprise propose aux autorités françaises ».

En réponse, le Pr Jean-Yves Fagon, vice-président de l'instance du CEPS a répondu : «C'est une négociation comme nous en menons des dizaines chaque année. Le premier prix proposé n'est pas toujours à la hauteur des attentes des laboratoires. Nous avons des critères pour évaluer le médicament qui sont ceux de la commission de transparence. Et l'intérêt pour la santé publique de Sativex ne nécessite pas une arrivée sur le marché urgente» (157).

En octobre 2015, Almirall a fait parvenir à la Direction Générale de la Santé, qui dépend du ministère et fait partie du CEPS, de nouvelles données présentées à l'ECTRIMS (congrès européen pour le traitement et la recherche sur la SEP). Ces éléments recueillis à partir d’études d’observation en Espagne, au Royaume-Uni et en Allemagne, confirment l'utilité du Sativex® dans l'indication retenue, toujours pour certains patients répondeurs. Les résultats montrent également qu'aucun élément ne suggère que le médicament augmente le risque de consommation de cannabis. Mais le dépôt de ce dossier n'a pas été suivi, à ce jour, de réaction des autorités sanitaires (158; 159).

Cette situation exaspère notamment les patients membres de la Ligue française contre la SEP, qui viennent donc d'adresser une lettre ouverte à Marisol Touraine pour l'interpeler sur le sujet.

Ils lui demandent quelles sont « les raisons valables de ce blocage de la part du gouvernement », tout en lui rappelant que la SEP est une maladie incurable, pour laquelle « préserver la qualité de vie est primordial ». Ils lui rappellent aussi à quel point la spasticité est une « contrainte dans chaque geste de la vie quotidienne » (déplacements, habillage, écriture, alimentation, cuisine, toilette,...). Ils soulignent également que les traitements actuellement disponibles sont inefficaces chez des milliers de patients français, et donc que « le Sativex® est un formidable espoir » pour ces patients non

répondeurs aux traitements disponibles, même « s'il n'aura pas les effets escomptés pour tous ». Ils ne comprennent donc pas pourquoi ils en sont privés, alors que la plupart des patients européens y ont accès. Faut-il qu'ils tentent de s'en procurer dans les pays frontaliers, demandent-ils à la ministre ? (158)

Mais la France n’est pas le seul pays où ce médicament a du mal à s’imposer. En mars 2016, il devrait arriver sur le marché belge après 4 ans de procédure. L’Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de Santé (AFMPS) avait pourtant autorisé sa distribution dès août 2012. C’est la modification de la loi, interdisant la délivrance de cannabis sous quelque forme que ce soit, en juin dernier qui a permis cette évolution. Il sera, dans un premier temps, délivré en pharmacies hospitalières, pour un prix d’environ 600 euros et dont le niveau de remboursement est encore en négociation (156).

Même si le coût de ce type de médicament est élevé et qu’une faible proportion de patients y répondent, l’avantage financier de leur emploi face aux frais qu’engendre une complication de la SEP a déjà été prouvé en Espagne, en Italie et en Allemagne (160; 161; 162). En effet, les dépenses sont 2,4 fois plus élevées chez les patients atteints de spasticité sévère que pour ceux qui ont une spasticité plus faible (78).

Alors que certains supposent que le blocage du dossier est du au fait que le SMR du Sativex® est faible et qu’il coûte relativement cher par rapport aux autres antispastiques disponibles et généricables, d’autres pensent qu’il s’agit d’un problème d’ordre idéologique ou même de la peur d’un risque de dépendance au cannabis (158).

2) L’organisation en pharmacie d’officine

Même si le dossier du Sativex® a pris beaucoup de retard, il est nécessaire d’être préparé pour gérer le produit à l’officine, que ça soit pour le stockage, la délivrance ou l’explication de son utilisation aux patients.

(a) La gestion du produit à l’officine

Le Sativex® est un stupéfiant. La gestion du produit répondra à des règles strictes quant au stockage (doit donc être conservé dans un coffre) et à la délivrance aux patients.

Mais face à ce médicament, plusieurs problèmes vont apparaître, comme par exemple la nécessité de conserver le flacon au réfrigérateur avant ouverture, ce qui va compliquer le stockage sécurisé de ce stupéfiant.

Les règles de gestion de stock et les conditions de délivrance aux patients n’ont pas été établies : sera-t-il conditionné par le nombre de boîte ou par le nombre de flacons ? Le délotage sera-t-il possible ?

Comme c’est un médicament listé comme stupéfiant, la quantité délivrée de produit doit être contrôlée et, suivant la dose utilisée par jour, ne doit pas excéder 28 jours.

Nous n’avons pas eu la confirmation par le laboratoire Almirall de quel type de flacon (5,5 ou 10mL), ni de combien par boîte seront commercialisés en France, mais l’ANSM recommande de déconditionner et de ne délivrer que le nombre de flacon requis.

Ce dernier dépendra des besoins du patient, qui peuvent varier d’un jour à l’autre, notamment en début de traitement afin de trouver la dose optimale. Il sera donc compliqué de calculer le nombre de prise nécessaire pour les 28 jours. Le flacon de 5,5mL correspond à 4 à 6 jours de traitement, alors que celui de 10mL à 7 à 11 jours.

(b) L’utilisation du produit

Les principaux conseils pour une utilisation optimale et sure du produit sont résumés dans la fiche pratique que nous avons déjà cité dans la partie précédente [Annexe 8].

Cependant, certains problèmes dus à la présentation du produit sont à connaître et expliquer au besoin.

Le flacon n’est pas muni d’un système permettant d’avoir une période réfractaire entre deux pressions (15 minutes minimum nécessaires) et il ne comporte pas de compteur de doses.

De plus, l’administration de plusieurs pulvérisations par jour est peu commode pour les patients qui ont des problèmes de préhension, voire de force musculaire.

L’influence de l’alimentation sur la biodisponibilité du produit conduit à standardiser le traitement par rapport à la prise alimentaire (107).

Il existe un système de sertissage entre le flacon et l’embout buccal, mais le vaporisateur buccal ne comporte pas de bouchon-sécurisé permettant d’éviter les risques d’intoxications accidentelles chez l’enfant (79). Cependant, le laboratoire, interrogé par l’ANSM, affirme que le risque n’est pas mortel et que la dose de Δ9-THC reste inférieure aux doses évaluées chez l’animal (163). Mais attention, ces intoxications ne sont pas négligeables pour autant.

Le pharmacien pourra également informer les patients susceptibles de se rendre à l’étranger qu’il est illégal d’emporter ce médicament dans certains pays. Il convient de les inciter à vérifier le statut juridique du produit avant de voyager (108).