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III- Tau, un acteur de l’organisation des microtubules et de l’actine

3. Sites d’interaction et structure de tau sur les microtubules

Les motifs répétés et les régions flanquantes constituant le MTBD ont largement été étudiés pour leur rôle dans la liaison de tau aux microtubules. Tau interagit avec les microtubules via ses 3 ou 4 motifs répétés par l’intermédiaire des 18 aa conservés. De part et

d’autre de ces motifs répétés, la région riche en proline P2 et le domaine R’ ont été également été identifiés comme des éléments clés de la liaison de tau aux microtubules (Trinczek et al., 1995 ; Goode et al., 1997 ; Mukrasch et al., 2005 ; Mukrasch et al., 2007 ; Mukrasch et al., 2009). Le modèle dit « en mâchoire » (« jaws » model) propose que les domaines répétés permettraient l’activité catalytique de tau sur le microtubule et que les régions flanquantes P2 et R’ constitueraient les régions d’ancrage initial de la MAP (Gustke et al., 1994 ; Goode et al 1997 ; Mukrasch et al., 2007 ; Sillen et al., 2007) mais ne stabiliseraient pas les polymères (Preuss et al 1995). Il existe également un autre modèle, le « core model » (Goode et Feinstein, 1994 ; Goode et al., 2000), dans lequel tau se lierait directement au microtubule via les répétitions (principalement les deux premières) et les zones flanquantes joueraient uniquement un rôle régulateur « isoforme-dépendant ». Des études récentes en RMN sur la protéine tau entière ou des fragments en présence de microtubules ont permis d’identifier les acides aminés (« hot spots ») directement impliqués dans la liaison de tau aux microtubules : 168-185 (dans le P1), 224-253 (dans le P2), 245-253 (début du R1), 269-284 (début du R2), 300-313 (début du R3), 375-398 (R’) (Kadavath et al., 2015a et b ; Mukrasch et al., 2009) (Figure 33A). Ces régions de forte affinité pour les microtubules sont séparées par des séquences peu structurées qui ont une affinité moindre pour les microtubules et peuvent expliquer la conformation flexible de tau (Butner et Kirschner, 1991 ; Trinczek et al., 1995 ; Mukrasch et al., 2005). De façon importante, Kadavath et al (2015b) ont révélé que les deux hexapeptides localisés au début de R2 et de R3 et impliqués dans la formation de feuillets β s’ancreraient très fortement dans la paroi des microtubules et serviraient de pivots au reste de la protéine (Mukrasch et al., 2005 ; Mukrasch et al., 2009). Chaque hexapeptide, entouré par quelques acides aminés, adopterait une configuration en épingle à cheveux qui agirait comme un « crochet » se fixant dans une poche entre les dimères de tubuline et permettant ainsi d’ancrer tau aux microtubules (Kadavath et al., 2015b) (Figure 33B). Par ailleurs, les résidus concernés par cette conformation en épingle à cheveux sont importants pour l’agrégation pathologique de tau (Mukrasch et al., 2005). Ces résultats montrent donc que lorsque tau est liée aux microtubules, les résidus nécessaires à l’agrégation pathologique de tau sont stabilisés dans une conformation qui doit être déstabilisée pour pouvoir initier la formation de feuillets β.

Figure 33. Interaction de tau avec les microtubules. (A) Rapports de signal d’intensité de RMN entre les signaux observés lorsque tau est incubé avec les microtubules par rapport à son état libre. Les régions interagissant fortement avec les microtubules (« hot spots ») sont représentées en bleu (d’après Mukrasch et al., 2009). (B) Structures formées au sein des motifs répétés lorsque tau est liée aux microtubules. Conformation des résidus 269-284 (à gauche) et 300-311 (à droite). Ils forment une structure en épingle à cheveux qui peut s’ancrer entre les hétérodimères de tubuline. Les séquences flexibles PGGG au début de chaque épingle permettent leur conformation en boucle. Les tracés représentent les dix conformères d’énergie les plus faibles (d’après Kadavath et al., 2015).

La conformation globale de tau et les sites précis de fixation de tau sur le microtubule restent difficiles à analyser car tau demeure très flexible lorsqu’elle est liée aux microtubules.

Des études initiales en cryo-EM de complexes entre des microtubules stabilisés au taxol et la protéine tau ont montré que tau se liait le long et entre les protofilaments (Al-Bassam et al., 2002 ; Santarella et al., 2004). Cependant, une autre étude structurale par cryo-EM de liaison de tau sur des microtubules non stabilisés au taxol mais co-polymérisés en présence de tau propose l’existence de deux sites de fixation de tau sur les microtubules : un site sur la surface interne du microtubule (identique au site de fixation du taxol), et un site sur sa surface externe (Kar et al., 2003). Les motifs répétés se fixeraient latéralement le long des hélices latérales formés par les monomères de tubulines et stabiliseraient ainsi les interactions latérales entre protofilaments (Figure 34E et F). D’autres études ont également mis en évidence l’existence de deux sites d’interaction de tau avec les microtubules, présentant des affinités différentes (Makrides et al., 2004 ; Tsvetkov et al., 2012). En particulier, Makrides et al. en 2004 suggèrent l’existence d’un site irréversible à l’intérieur du microtubule et un site réversible à l’extérieur. Plus récemment, des études par RMN et FCS (Corrélation de fluorescence par spectroscopie) sur des complexes tubuline/tau ont montré que tau favorise à la fois les interactions longitudinales et latérales entre les dimères de tubuline (Gigant et al., 2014 ; Li et al., 2015). Des expériences par pontage et spectrométrie de masse sur des complexes tau/tubuline et tau/microtubules ont également identifié un site majeur de liaison de tau sur la sous-unité α de la tubuline à l’interface des hétérodimères (Kadavath et al., 2015a). Le domaine de projection de tau n’aurait aucune affinité pour les microtubules. Le rôle des domaines alternatifs codés par les exons 2 et 3 ne sont pas bien connus. Ils pourraient impacter le diamètre axonal, réguler l’interaction de tau avec la membrane plasmique, inhiber la nucléation des microtubules ou limiter l’accès des kinésines aux microtubules (Chen et al., 1992 ; Brandt et Lee, 1993 ; Brandt et al., 1995 ; Dixit et al., 2008).

En conclusion, la connaissance des mécanismes de liaison de tau aux microtubules a beaucoup avancé ces dernières années, notamment grâce aux études récentes par RMN, mais il reste des questions ouvertes : quelle elle la conformation globale de tau sur les microtubules ? Quels sont les sites précis de fixation de tau aux microtubules ?

Figure 34. Modèles de liaison de tau aux microtubules. (A) Reconstruction 3D de microtubules stabilisés au taxol et décorés ou non avec tau (en orange) obtenues par cryo-EM. La tête de flèche montre la crête d’un protofilament et la flèche la vallée entre deux protofilaments. Le microtubule est observé de profil (à gauche) ou de son extrémité (à droite) (d’après Al-Bassam et al., 2002). (B) Reconstruction 3D obtenues par cryo-EM de microtubules co-polymérisés en absence ou en présence de tau. Le microtubule est observé de son extrémité (à gauche). A droite, la structure 3D du microtubule a été superposée à la structure atomique d’un dimère de tubuline. L’interaction possible de tau avec le microtubule est schématisée en bleu. Les séquences flexibles PGGG présentent au sein des répétitions représenteraient le site majeur d’interaction avec le microtubule. T, Taxol, N, nucléotide, Lα, boucle sur la tubuline α similaire au site occupé par le taxol sur la sous-unité β. L’astérisque montre la région « inter-repeat » (d’après Kar et al., 2003). (C) Site de fixation de tau sur la tubuline (Kadavath et al., 2015a). Structure atomique de deux hétérodimères de tubuline complexés à la vinblastine (en rouge) (Gigant et al., 2005). Les deux lysines 336 et 338 localisées dans le domaine C-terminal de la sous-unité α de la tubuline ont été identifiées comme interagissant avec tau par des expériences de pontage et de spectrométrie de masse (d’après Kavadath et al., 2015a).