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3. Modélisation thermo-hydraulique

3.2. Simplifications du système pour la modélisation

3.2.1. Simplification géologique du milieu fracturé et hydrogéologique

Du fait de l’activité géologique de la croûte sur laquelle repose le site de Rainbow, le milieu poreux étudié est évidemment un milieu fracturé. Pour autant, afin de modéliser un site hydrothermal océanique aussi actif, adopter une approche mathématique de milieu fracturé prenant en compte les fissures une à une, dont la formalisation mathématique et l’application au

domaine numérique sont complexes, paraît hasardeux, voire contre-productif. En effet, ce type

d’approche implique une certaine connaissance de la localisation et de l’orientation des failles organisant l’écoulement. Or, les indices géologiques de surface (plis, nature des roches extrudées) n’offrent pas de certitudes quant à l’orientation des fissures des roches exposées à l’écoulement hydrothermal, et les quelques failles et crevasses observées en surface ne donnent pas

d’information sur leurs extensions éventuelles en profondeur [Marques et al., 2006; Charlou et al., 2010]. De plus, aucun forage n’a pour l’instant été réalisé à proximité du site de Rainbow, pas même sur les segments de dorsale directement adjacents au site. Enfin, ajouter à la complexité thermodynamique du système une formalisation impliquant une multitude de vitesses caractéristiques reste problématique d’un point de vue numérique. En effet, l’écoulement modélisé subit de forts contrastes de températures. Lors des simulations, son comportement est fortement lié à la prise en compte de tous les paramètres thermodynamiques qui décrivent l’état de l’eau et de son écoulement (dilatabilité, compressibilité, masse volumique, viscosité, capacité thermique) [Wilcock, 1998; Coumou et al., 2006]. Modéliser un tel écoulement nécessite l’emploi d’un maillage fin (de l’ordre du mètre carré à la centaine de mètres carrés, voir Article 1, paragraphe 3.6.2) et de petits pas de temps (quelques milliers de secondes) [Coumou et al., 2006]. Or, cet écoulement possède une grande extension spatiale (plusieurs kilomètres) et temporelle (plusieurs milliers d’années). Un modèle de circulation s’appuyant sur une approche de perméabilité homogénéisée nécessite donc déjà, sous cette forme la plus simple, un schéma numérique précis et stable, dont l’application est coûteuse en temps calculs. L’ajout de la prise en compte des fractures et fissures de la roche n’en compliquerait que plus la mise en place pour un résultat à la fiabilité discutable. Car enfin, il n’existe pour l’instant pas, à notre connaissance, de données issues d’expériences numériques permettant la validation d’un modèle d’écoulement en milieu fracturé pour des systèmes hydrothermaux de dorsale océanique lente.

La modélisation par milieu continu équivalent est, quant à elle, valide tant que l’espacement entre les fissures reste suffisamment petit : le comportement hydraulique du milieu fracturé doit être comparable à celui d’un milieu poreux granulaire [Freeze et Cherry, 1979]. Dans cette approche, pour un volume de roche suffisamment grand – le volume élémentaire représentatif (VER) d’un milieu fracturé est toujours bien plus grand que le VER d’un milieu poreux – on peut déterminer un tenseur de perméabilité équivalent qui permet de reproduire le comportement hydraulique effectif de la roche fracturée (son anisotropie s’il y a lieu) [Oda, 1986; Fourno, 2005]. Ces modèles équivalents sont-ils applicables à la modélisation de la circulation hydrothermale ? Prenons l’exemple du modèle de milieu continu équivalent de Snow (1968). Pour un milieu poreux idéal dont les fissures sont parallèles et planes, cet auteur a proposé une formule reliant les caractéristiques des fissures (nombre par unité de longueur N [1/L], espacement des fissures b [L])

et la perméabilité intrinsèque équivalente du milieu poreux [L2] :

k = N b3 / 12. (3.1)

Cette relation n’est valide que si l’écoulement est laminaire dans les fissures, puisqu’elle procède d’une simplification de la loi de Navier-Stokes en écoulement laminaire. Or, les perméabilités équivalentes généralement estimées lors des simulations d’écoulement hydrothermaux de

dorsales océaniques sont de l’ordre de 10-15 à 10-12 m² [Germanovich et al., 2000; LOWELL et al.,

2004; Coumou et al., 2006; Coumou et al., 2009a; Lewis et Lowell, 2009b], voire 10-10

[Germanovich et al., 2001]. Par ailleurs, les valeurs des porosités le plus souvent employées oscillent entre 0,01 et 0,1 [Coumou et al., 2006; Lowell et al., 2008; Lewis et Lowell, 2009b]. On déduit de la relation (3.1) la largeur b des fissures du modèle de Snow (1968) appliqué à nos simulations :

Le produit N × b est égal à la porosité du milieu poreux équivalent. Dans le cas le plus défavorable pour la validation de l’hypothèse d’écoulement laminaire (perméabilité très grande, la

perméabilité la plus grande que nous utiliserons par la suite est k=10-12 m², et porosité très

petite (" = 0,01)), on obtient :

b = 3,46 × 10-5m. (3.3)

Cette valeur devient donc la longueur caractéristique de l’écoulement, dimension nécessaire au calcul du nombre de Reynolds, noté Re, et défini par :

Re = × U × b / µ, (3.4)

où U est la vitesse au sein de la fissure. Dans nos simulations, la valeur maximale de la vitesse de

Darcy est de l’ordre de 10-5 m s-1, donc de 10-3 m s-1 pour la vitesse réelle du fluide dans la fissure.

Dans les conditions de pressions et de températures des écoulements hydrothermaux étudiés ici,

la valeur minimale de la viscosité cinématique (#=µ/ ) est supérieure à 10-7 m2 s-1 (voir annexe I).

Le calcul du nombre de Reynolds donne :

Re = 0,3. (3.5)

L’hypothèse d’un régime laminaire (Re < 1) traversant les fissures du modèle de Snow (1968) est donc vérifiée. Enfin, on peut aisément calculer l’espacement entre chaque fissure parallèle: dans le cas défavorable où la porosité du milieu poreux est de 0,01, cet espacement est de l’ordre de 1 à 3 mm. Cette valeur d’espacement est encore trente fois inférieure si l’on effectue les mêmes calculs pour une porosité de 0,1, valeur de porosité qui sera utilisée dans toute la suite du manuscrit. Ces dimensions (largeur et espacement des fissures) sont très faibles et, associées au caractère apparemment laminaire de l’écoulement hydrothermal étudié, le modèle de Snow (1968) est donc bien applicable à notre étude, bien qu’extrêmement schématique.

C’est donc l’approche par homogénéisation locale des perméabilités qui a été retenue pour l’étude hydrogéologique du site de Rainbow. Le modèle de Darcy est valable puisque le nombre de Reynolds de l’écoulement est inférieur à 1. Notons qu’au vu des simplifications fortes déjà admises et du manque de données, traiter d’une quelconque anisotropie du champ de perméabilité n’aurait pas de sens.

Enfin, s’appuyant sur l’approche des milieux continus équivalents, certains auteurs ont proposé des relations de dépendance de la perméabilité en fonction de la température [Germanovich et al., 2001], de la profondeur [Anderson et al., 1985], du colmatage des pores lié à la précipitation de carbonate ou d’anhydrite [Fontaine et al., 2001; Lowell et Yao, 2002], ou encore de l’avancée d’un front de serpentinisation au sein des péridotites [Rudge et al., 2010]. Ces dépendances plus ou moins empiriques engendrent par essence des variations temporelles de la perméabilité. Or, le but de notre étude est avant tout de savoir quelles caractéristiques du champ de perméabilité du site de Rainbow sont prépondérantes dans l’obtention des données de terrain actuelles. Les données mesurées sous-entendent une stabilité temporelle des caractéristiques physico-chimiques des fluides de sortie du site, le champ de perméabilité dont les valeurs restent à déterminer est donc ici considéré comme un champ permanent.

3.2.2. Simplifications thermodynamiques

Le site de Rainbow se situe à environ 2300 m de profondeur, ce qui correspond à une pression légèrement inférieure à 235 bars. Le fluide hydrothermal émis par les fumeurs du site est particulièrement enrichi en NaCl dissous. Ceci ne laisse aucun doute sur la présence d’une séparation de phases en profondeur, probablement vers 1400 m, à proximité de la source de

chaleur qui active le site (voir parties 2.2.3 et 3.6.2 pour discussion). Or, à ces pressions et

températures, les modèles décrivant l’état thermodynamique de l’eau de mer montrent que le fluide hydrothermal a dépassé le point critique de l’eau de mer [Geiger et al., 2005; Driesner et

Heinrich, 2007]. Le fluide qui circule serait donc tout à fait comparable à un liquide de composition variant continument et l’écoulement peut donc être considéré comme monophasique. Dans ces conditions, assimiler le fluide circulant à de l’eau pure est une simplification intéressante : au vu de la précision de la calibration de notre modèle, elle ne modifie pas les valeurs de sortie (température et flux) modélisées [Driesner, 2010]. Le comportement général du système n’en semble que peu modifié [Geiger et al., 2005; Fontaine et al., 2007; Fontaine et al., 2008; Coumou

et al., 2009b]. Cette simplification permet de s’affranchir du transport salin coûteux en temps calculs et dont la formulation mathématique reste problématique (Faut-il homogénéiser les paramètres thermodynamiques ? Si oui, comment ?).

L’hypothèse d’un fluide hydrothermal au comportement proche de celui de l’eau pure étant faite, il est important de ne pas pousser trop loin les simplifications. On se gardera, en dehors du cadre de la validation, d’utiliser l’approximation de Boussinesq qui a pourtant longtemps été indispensable à la réalisation de simulations au temps de calcul prohibitif. Il a été montré que la linéarisation des propriétés du fluide tendait à stabiliser la convection [Straus et Schubert, 1977] et que l’utilisation de l’approximation de Boussinesq conduisait à sous-estimer les flux d’énergie et de masse [Wilcock, 1998]. Coumou et al. (2006) ont aussi montré que cette approximation augmentait la diffusion de la chaleur et, en conséquence, surestimait la surface de sortie des fluides.

3.2.3. Simplifications thermiques

Lors de l’établissement de l’équation du transport de la chaleur, on admet l’hypothèse d’un équilibre thermique instantané entre la roche et l’eau au sein d’un petit volume (d’une maille). Bien que cette simplification classique soit justifiée par le fait qu’une roche d’une dizaine de centimètres de long puisse atteindre l’équilibre thermique avec l’eau qui l’entoure en moins de deux heures [Marsily, 2004], i.e. une durée inférieure aux pas de temps des calculs numériques, cette simplification classique favorise la diffusion de la chaleur : elle revient à dire que l’eau qui s’écoule dans les pores et fissures de la roche a échangé complètement la chaleur qu’elle transporte avec

la matrice solide.

équivalent : si on ne considère que les transports thermiques de l’écoulement fluide, l’approche par milieu continu équivalent revient à considérer que le fluide et la matrice solide arrivent à l’équilibre thermique bien plus vite que n’est transportée la chaleur.

Donc, dans le cas le plus général, le modèle de circulation sera donc un modèle faisant intervenir :

- la loi de Darcy pour l’écoulement dans le cas d’un milieu continu (sans fracture),

- l’équation classique de la conservation de la masse,

- l’équation de conservation de l’énergie écrite sous forme d’un transfert de chaleur et

supposant que l’équilibre thermique est vérifié,

- les équations d’état de l’eau pure en domaine monophasique.