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Chapitre 1 : Le questionnement de son orientation sexuelle

2.2. Une simple formalité

Dans le roman La fille du Squat de Ragnfrid Trohaug, Ida tombe amoureuse de Linn. Les sentiments que la jeune adolescente développe ne sont pas une surprise pour elle car elle a accepté son homosexualité. Néanmoins, celle-ci est réticente à l'idée de faire son coming out à Thomas, son grand frère, mais cette crainte de le décevoir n'est présente qu'à deux reprises dans le récit : « Si Thomas apprenait pour Linn et moi, ça ne lui ferait peut-être pas pousser des cris de joie ; il n'a sûrement rien contre le principe, mais que sa petite sœur... Non »1 ; « [Thomas] serait peut-être déçu, il n'aurait pas cru ça de moi, de sa petite sœur, il trouverait peut-être ça dégoûtant, pas normal, bizarre. Parce que je suis sa petite sœur, et que les petites sœurs ne font pas ce genre de choses, elles ne font pas l'amour avec des filles »2. Cependant, la peur du coming

out n'est pas au centre du récit comme elle l'est pour les romans du sous-chapitre précédent. Ici,

le récit se concentre avant tout sur les sentiments naissants entre Ida et Linn, et laisse assez peu de place aux inquiétudes que provoque le coming out, sans oublier le fait qu'Ida ne se cache pas

1Ragnfrid Trohaug, op. cit., p. 85. 2Ibid., p. 109.

auprès des amis de son frère. Pour accentuer cette dédramatisation du coming out, nous pouvons observer la réaction du grand frère d'Ida après que celle-ci lui ait écrit qu'elle était amoureuse de quelqu'un :

- Comment il s'appelle ? - Qui ? Dis-je.

- Celui dont tu parlais dans ton mot, celui dont tu es amoureuse. - Le voici.

Linn apparaît sur le pas de la porte, les cheveux mouillés après la douche. - Elle s'appelle Linn, dis-je dans un souffle en baissant la tête.

Thomas ne dit rien, tire sur ses locks de rasta, me regarde, regarde Linn, me regarde de nouveau. Linn rigole. Moi, je me sens épuisée.

- Comme ça vous n'aurez pas besoin de capotes, finit-il par dire.1

Dans ce passage, le coming out se fait avec un peu d'appréhension, ce qui est normal car il n'est pas anodin, mais la réaction humoristique de Thomas dédramatise cette révélation. Cette structure de récit – c'est-à-dire un récit qui se concentre sur la première histoire d'amour d'un personnage, et non sur la perception de son homosexualité comme minoritaire et problématique – se retrouve dans quelques œuvres de Håkan Lindquist.

Regn och åska, de l'auteur susmentionné, a la particularité de montrer le deuxième

coming out d'Oscar, le personnage principal, mais pas son premier. En effet, quand Oscar est en

vacances en Estonie avec sa mère, il fait la rencontre de Rein. Le lendemain, Oscar passe la journée avec Rein, et cela ne semble poser aucun problème à sa mère. Elle est visiblement au courant de l'histoire d'amour naissante entre les deux adolescents, et donne même des conseils à Oscar : «Tu seras prudent. Je sais que tu l'es, mais pense à ce que tu fais, et ne fais rien de stupide ou que tu ne veuilles pas vraiment faire »2. Nous pouvons alors nous demander si Oscar

a déjà fait son coming out à sa mère, ou si c'est elle qui lui en a parlé. De plus, quand Oscar rentre de Talinn, il croise son meilleur ami Arvan, et lui dit au détour de la conversation qu'il a rencontré un garçon là-bas. Arvann est curieux de savoir ce qu'il s'est passé entre eux, mais n'est aucunement surpris par le fait que ce soit avec un garçon. Plus tard, les deux amis retrouvent une autre amie, Lina. C'est surtout à elle qu'Oscar fait son coming out. Il leur dit qu'il pense être amoureux, et Lina est surprise que ce soit avec un garçon. Il est donc possible de conclure qu'Oscar a déjà fait son coming out à sa mère et à son meilleur ami, ou du moins que ces derniers

1Ibid., p. 111.

2Håkan Lindquist, op. cit., p. 38 « Men, du ska vara försiktig. Jag tror att du är det, men ändå... Du ska tänka på

vad du gör, och inte göra något som är dumt, eller något som du egentligen inte har lust med. » (notre traduction du suédois).

s'en doutaient fortement, et qu'il n'y a peut-être même pas eu besoin d'un coming out. En effet, Oscar n'est pas mal à l'aise avec ses sentiments, nous pouvons donc penser que le coming out n'était même pas nécessaire car superflu, et quand il fait son coming out à Lina, celle-ci est surprise mais ne se pose pas de questions sur l'orientation sexuelle d'Oscar, préférant poser des questions sur ce qu'il ressent pour Rein. Dans ce roman, le coming out est dédramatisé en montrant qu'il n'est pas nécessaire, et nous pouvons même nous demander s'il a vraiment eu lieu pour sa mère et son meilleur ami. Oscar ne se pose pas de questions sur comment et quand dire son homosexualité, et quand il le dit à Lina, l'on passe très vite de la brève surprise à la curiosité amicale.

Le roman dédramatisant le plus le coming out dans tout notre corpus est Prinçusse Klura

et le dragon de Tormod Haugen. Ce roman suit le parcours de Prinçusse Klura allant affronter

un dragon pour délivrer le Prünce Rethor. Arrivée à la cellule dans laquelle le prince est retenu prisonnier, Prinçusse Klura se voit désarmée par la réaction du prince.

- Qui t'es, toi ? Demande-t-il en s'accrochant à la grille. - Je suis prinçusse Klura, et je suis venue te délivrer. Il la dévisagea un long moment.

- Nan mais tu rigoles, j'espère ? C'est pas que tu crois que je suis resté trois semaines à poireauter dans ce trou pour qu'une fille vienne me délivrer ?

- Je ne suis pas une fille ordinaire, dit prinçusse Klura, offensée. Je suis une prinçusse ! - Une prinçusse ! Répéta le Prince Rethor sur le ton de la colère. Je veux être délivré par un chevalier. C'est les chevaliers qui sauvent ceux qui ont été capturés par un dragon. - Je croyais que les chevaliers ne sauvaient que les princesses ?

Il n'eut pas l'air d'entendre sa remarque.

- Et voilà que c'est toi qui débarques ! Dit-il, encore plus furieux. Une fille qui, en plus, est sûrement plus jeune que moi. En tout cas, t'es plus petite. Je le vois bien. Tu pourrais pas te tirer d'ici avant que le chevalier arrive ?1

Ici, le coming out, si nous pouvons parler de coming out, est dédramatisé par l'humour et son aspect inattendu. Le roman destiné aux enfants de 8 à 12 ans se voulait novateur en inversant les rôles de la princesse et du prince. C'est ici à une princesse d'aller délivrer le prince du dragon, mais quand celui-ci hurle sa déception et explique qu'il attendait qu'un chevalier vienne le libérer, il y a un retournement de situation inattendu et très humoristique. Le coming out se fait en une simple phrase, et l'homosexualité est alors banalisée.

1Tormod Haugen, Prinçusse Klura et le dragon [Prinsusse Klura og dragen, 2002], traduit du norvégien par Jean-