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Chapitre 1 : L'expression de l'homophobie

1.2. Le harcèlement scolaire

Le respect d'autrui s'apprend avec les parents, mais également à l'école. Les établissements scolaires et les enseignants ont en effet un rôle à jouer dans la sensibilisation à l'homophobie et dans l'appel au respect et à l'acceptation des différences. La formation des enseignants ayant évolué depuis plusieurs décennies, le bien-être de l'enfant et la pédagogie sont devenus des enjeux primordiaux de cette profession. Ainsi, il est difficile d'observer des comportements homophobes venant des enseignants dans les romans de jeunesse contemporains. Cependant, cela n'était pas le cas il y a 30 ans. Nous pouvons prendre comme exemple le roman de Jonas Gardell :

Au lycée Solberga, Rasmus avait un professeur de musique qui avait un jour fait écouter à la classe un ballet de Piotr Tchaïkovski en expliquant que, si cette musique était pathétique, elle l’était aussi parce que le compositeur avait été homosexuel et obligé de se suicider à cause de ses penchants.1

Un tel discours serait très improbable de nos jours, et il serait impensable que des enseignants soient témoins de violences physiques entre élèves sans intervenir. Quand Rasmus, alors lycéen, est forcé par d'autres élèves à manger de la neige pleine d'urine de chien, les enseignants qui sont témoins de la scène se contentent de dire « ah ben les garçons n'y vont pas de main morte »2. Nous ne savons pas si les enseignants laissent faire car ils pensent, tout comme les agresseurs, que Rasmus est homosexuel et que donc il mérite ce qu'on lui inflige, ou s'ils laissent faire car ils pensent qu'un garçon doit se défendre lui-même. Dans tous les cas, un tel manque de réaction serait inimaginable de nos jours, montrant ainsi que le corps enseignant a radicalement changé, même si cela ne veut pas dire que certains comportements ou propos subsistent. De plus, nous pouvons voir, notamment avec I spegeln finns jag till que le corps enseignant peut soutenir l'enfant. Le professeur de musique accepte qu'Alex soit un garçon, et c'est d'ailleurs pour cette raison que le père d'Alex le fera renvoyer. Ainsi, le corps enseignant est passé de harceleur homophobe à soutien moral encourageant le respect des différences. En revanche, le harcèlement scolaire entre élèves lui est toujours bien présent, mais sous de nouvelles formes. Si nous constatons moins d'affrontements physiques, nous pouvons voir une pratique se

1Jonas Gardell, op. cit., p. 60 2Ibid., p. 41.

développer dans les cours d'école : le outing.

Le outing est une pratique utilisée depuis longtemps, mais que l'on a théorisé que très récemment. Ce terme, encore peu connu en France, désigne le fait de faire le coming out d'une personne à sa place. Le plus souvent dans le but de nuire à la personne concernée, le outing est aussi utilisé par certains militants LGBT+ extrêmes pour donner de la visibilité aux LGBT+, favorisant ainsi la normalisation de l'homosexualité et de la trans-identité1. Utilisé comme une arme par les homophobes pour faire du chantage, se venger d'une personne ou tout simplement par pure haine, cette pratique s'est énormément développée chez les adolescents notamment à travers les réseaux sociaux, pratique que nous appelons le cyber-harcèlement. Quand il est pratiqué par des adolescents au collège ou au lycée, l'on peut considérer le outing comme une forme de harcèlement scolaire, même si cela se passe sur les réseaux sociaux, donc en dehors du bâtiment scolaire. Nous pouvons observer ce phénomène dans Proforma de Sanne Søndergaard et dans Ung, bög och jävligt kär de Johannes Sandreyo. L'élément déclencheur du récit dans Proforma est le outing de Lukas, qui marque un grand tournant dans l'amitié entre Siv et ce dernier et dans le parcours d'acceptation des deux personnages. Les deux meilleurs amis prétendaient être en couple pour faire taire les rumeurs sur l'homosexualité de Lukas. Un vendredi soir, ce dernier se rend dans un bar gay et en sort, main dans la main, avec un autre homme avant de l'embrasser dans la rue. Malheureusement pour Lukas, il y avait « trois gars du même lycée armés d'un smartphone et d'un compte Youtube »2. Le dimanche, tout le lycée avait vu la vidéo de Lukas en train d'embrasser l'homme devant le bar gay. Personne ne l'a vu pendant près d'une semaine, y compris Siv. Ils étaient amis depuis 11 ans, et pourtant, le outing est assez destructeur pour mettre Lukas dans une situation de honte de soi et Siv dans une situation de peur de subir le même sort. Le outing est donc montré tel qu'il est : très néfaste, et dont l'impact est décuplé par les réseaux sociaux. Cependant, le roman donne également les armes aux adolescents pour lutter contre le outing sur internet. En effet, Emma réconforte Siv et lui explique que le outing est illégal :

– Ma pauvre Siv, ça va aller, Nicolai est en train de faire retirer la vidéo de Youtube. – Comment ça ?

– Ben, c'est illégal d'afficher les gens comme ça, alors il l'a signalé et là il cherche à savoir qui a posté la vidéo pour qu'ils puissent la retirer.3

1Louis-Georges Tin (dir.), Dictionnaire de l'homophobie, Presses universitaires de France, 2003, p. 300.

2Søndergaard, op. cit., p. 78, « […] var to 3. g’ere fra skolen bevæbnet med mobilkameraer og et YouTube-

login. » (notre traduction du danois).

Ce qui paraît le plus choquant dans ce outing, c'est que les deux lycéens qui ont publié la vidéo ne sont pas des connaissances de Lukas. Ils ne sont pas ennemis, ils vont seulement dans le même lycée, et c'est la gratuité de cette action qui démontre une homophobie profonde. Nous pouvons voir avec Ung bög och jävligt kär que le outing peut être une arme redoutable dans les cas de harcèlement scolaire déjà établit. Ainsi, dans ce roman, le outing n'est pas gratuit, il est fait par Hampus, un lycéen qui tourmente Filip depuis un certain temps. Lors d'un voyage scolaire, Emilio et Filip s'embrassent, à l'écart des autres élèves, mais Hampus les a pris en photo. Il diffuse les photos dans tout le lycée, et Emilio fait alors face à une descente aux enfers. Lui qui était si respecté est devenu la cible de moqueries et d'insultes dans les couloirs du lycée. La discrimination atteint son apogée quand il entend des garçons parler de lui dans les couloirs en disant : « ‘Putain de tapettes […]. On devrait les tuer’ »1. Emilio veut les frapper, mais il y a

des professeurs non loin, il se contente alors de passer son chemin. En partant, Hampus lui lance : « Hé attend un peu ! Je peux t'enculer dans les toilettes si tu veux. Ou tu peux me branler jusqu'à ce que je te jouisse au visage »2. Après cette altercation, Emilio se coupe encore plus de

Filip et retourne voir ses anciens amis et frôle les activités criminelles. Il avait arrêté de côtoyer Farid et Nikolaj depuis qu'il s'était rapproché de Filip. Il voulait laisser tomber sa vie de futur criminel qui l'attendait, mais quand la moitié du lycée le méprise et ose s'en prendre à lui, il retombe dans les mauvaises fréquentations pour pouvoir regagner un peu de respect. Nous pouvons voir également que le outing pour Filip n'est pas aussi destructeur que pour Emilio car il était sur le chemin de l'acceptation, tandis qu'Emilio était au tout début de son parcours d'acceptation.