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VI- La grande cause de la culture et de l’identité

1- Que signifie une identité en devenir?

Déraciné palestinien du fait d’Israël, E. Sanbar ne se vit néanmoins pas comme un exilé. Car, « tout être humain est en exil, même dans son propre pays, mais tous les pays sont les siens et tous les êtres humains ses frères ». Et, s’il ne vit pas comme exilé, il ne se vit pas non plus comme

‘’sans identité’’. Sanbar décrit son identité personnelle dans pratiquement tous ses livres et interventions publiques: La vie m’a appris que j’habitais davantage une identité multiple qu’un lieu géographique, un territoire au sens étroit... Moi qui suis et me sens arabe, je peux dire que, je ne me suis jamais autant senti comme tel depuis que je suis parfaitement immergé dans la culture française et la langue française, le monde français. Aucune contradiction là-dedans, rien de centripète, que du centrifuge... Je me sens extrêmement français, non pas francophone, mais français... Je me sens étranger quand je vais aujourd’hui en Palestine bien qu’il ne se passe pas une seconde sans que je me sente Palestinien... Je me souviens de ma première visite à ma maison natale, quarante-huit ans après notre départ forcé en 1948. Arrivé chez moi, très ému, dans une sorte de sérénité quasiment mystique, en apesanteur, j’eus la certitude que je ne reviendrais plus y vivre… ce sentiment était libérateur malgré l’incroyable affection que j’éprouvais pour cette maison...

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/l-heure-bleue/l-heure-bleue-27-fevrier-2017 , consulté 15/09/2019

L’exil m’a appris que ma quête ne pourrait aboutir que si elle s’orientait vers ce qui est devant moi et non plus derrière… Je vis une arabité infiniment plus étendue, plus vaste que le sentiment d’appartenance locale palestinienne, de même que ma francité déborde la géographie de la France. Le choc survient lors de ma première visite à une petite ville où je réside désormais chaque fois que je peux quitter Paris: Céret. Venu là, il y a de nombreuses années, pour visiter le musée, j’y ressentis une forte émotion: cette ville inconnue jusque-là me ramenait à notre villégiature annuelle avec mes parents dans une petite ville de la montagne libanaise, Sofar... En un mot comme en mille, je dispose enfin, d’un lieu où je vis l’apaisement...

Faisant sienne une idée chère à la philosophie contemporaine, E. Sanbar refuse la conception d’une identité immuable, donnée une fois pour toute, car il ne peut la comprendre que comme identité en devenir: « Les flux identitaires existent, insaisissables et il convient d’appréhender à certaines périodes privilégiées de leur parcours…

Dire son identité consisterait à identifier, puis noter les positions-figures afin de tracer un parcours, un trajet en permanence cinétique. Les recoupements successifs de ces vecteurs de flux forment alors une succession... Cette chaîne d’identité, je l’appelle identité de devenir». Sanbar l’oppose à l’identité définie par son rapport fixe à l’État-nation. Il dénonce «(ces) esprits (qui) sont marqués,

modelés par la dictature de l’idée de l’État national.

Comme s’il y a une seule forme d’État et de nation ». Car selon lui « nous sommes à une croisée des chemins entre la pérennité de l’État-nation et l’émergence d’un nouveau cosmopolitisme... ». Témoin: l’horizon de la jeunesse n’est plus limité par les frontières nationales.

1.1- Face à une identité fermée, ‘’la pluralité’’

E. Sanbar propose-t-il « de remplacer la question ‘’D’où sommes-nous?’’ par la question ‘’Où sommes-nous?’’ pour se libérer du mythe de l’instant zéro de l’identité ».

Approfondissant la notion d’une identité multiple en devenir, il révoque l’illusion « Quand les gens pensent qu’ils se protègent par rapport à la diversité de la vie. Une communauté, repliée comme un poing fermé, se met en position de défense aveugle, n’a plus d’yeux pour voir hors d’elle-même...» Car quand l’identité se confond à tort avec la définition des origines, il «fait le lit de tous les fascismes (et) ne peut mener qu’au comportement tribal, chauvin et raciste. On l’a vu avec le nazisme, avec le franquisme, avec tous les fondamentalismes, et ils ne sont pas l’apanage du seul islam... Cette posture est typique d’une certaine politique israélienne qui fonctionne en circuit fermé sur le mode d’une fixation infantile».

Triste, il constate amer: «J’ai reconstruit graduellement moi-même une signification de ce qu’est la pluralité. J’ai

découvert petit à petit à quel point ce qui a été perdu était pluriel, pas monolithique à quel point c’était une multitude de couleurs... Cette pluralité est aujourd’hui menacée, puisque le sionisme comme le fondamentalisme musulman essaient de donner au pays une seule couleur. Mais la Palestine est un projet de plusieurs couleurs. Cette ‘’polychromie’’

a-t-elle encore une chance de survivre dans une région qui se fragmente en identités religieuses?»

1.2 Le projet du Musée national d’art moderne et contemporain

C’est une initiative-défi qui illustre le rôle que joue E.

Sanbar en tant que médiateur culturel. Le projet du Musée, inspiré de l’expérience des «artistes contre l’apartheid», pensée par l’artiste Ernest Pignon-Ernest, et porté par Jacques Lang, le président de l’institut du Monde Arabe (IMA) et E. Sanbar. C’est donc un «projet franco-palestinien pour l’instant itinérant(1), en attendant de prendre racine en Palestine... un musée actuellement en exil, non pas un musée sur l’exil. Il sera construit à Jérusalem-Est.»

L’IMA abrite la collection dans ses réserves. Aux quelques œuvres offertes par des artistes s’ajoute actuellement à un afflux de dons des grands artistes «à une vitesse surprenante. Cela atteste d’une générosité magnifique». La

(1) https://www.franceculture.fr/personne-elias-sanbar.html , consulté 04/08/2019

collection de gravures et de peintures s’ouvre à la photographie et la bande dessinée. Jean-Luc Godard a offert un film qui sera diffusé lors des expositions.

Il est envisagé, le moment venu, «le transfert des œuvres en un unique voyage, avec la participation des artistes...»

Les réactions chaleureuses des jeunes Palestiniens qui ont visité l’exposition d’une partie des œuvres, furent pour E. Sanbar comme un baume. «Quelques-uns sont bouleversés de pouvoir lire que la collection appartient au Musée national palestinien d’art moderne et contemporain.»

‘’L’art véhicule du beau, des idéaux’’, disait la journaliste Olivia Gesbert dans son interview avec E. Sanbar. Lui rappelle que « l’art ne peut être qu’un territoire de paix sinon, il tourne à un lieu de propagande... A l’arrivée, le Musée sera celui de la réconciliation ».

2- La Palestine à l’Unesco, histoire d’une admission