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Le rapport intime avec la langue française

mérite qu’on s’y attarde. Sa passion pour elle «n’est pas née d’une quelconque curiosité pour les langues», mais d’un amour de la littérature et qui comble sa curiosité «de découvrir toutes les histoires». Car il fut le fils «d’un extraordinaire conteur qui très tôt m’a raconté, quotidiennement, des histoires, des vraies, non des contes pour enfants… je connaissais l’histoire de Saladin, celle de Dâhis et d’al-Ghabra – une épopée mettant aux prises deux tribus de l’Arabie dont les champions sont un cheval et une jument – des Trois mousquetaires, des Misérables... bien avant d’avoir commencé à les lire » ...

(1) Trois sources ont été retenues pour ce chapitre : Dictionnaire amoureux de la Palestine; Le bien des absents et Notre France, op.cit.

4.1- Naissance d’une passion

« J’ai trois ans... Nous sommes en classe et on nous enseigna durant la matinée le A de l’alphabet français, avant d’attaquer l’après-midi, le Alif arabe. Je me souviens encore comment, littéralement ébloui, je décidai que j’allais conquérir le A, vu que le Alif était déjà mien... J’eus le sentiment de vouloir prendre, pas seulement apprendre, de vouloir séduire cette langue inconnue. Ma passion de la littérature est née, confuse, ce jour-là... Elle déboucha bientôt sur une folie, celle de l’accumulation de livres... Je devais avoir sept à huit ans… j’utilisais la moitié de mon argent de poche pour m’abonner à une sorte de club de lecture où l’on pouvait emprunter les romans par quatre…

sauf qu’au bout du premier mois, le libraire m’accueillit avec ces mots: Toi, c’est non, tu ne peux plus t’abonner, car tu lis trop et trop vite… Ce n’est pas rentable ».

4.2 Être un écrivain et passion des livres

A l’adolescence, Elias reçut un cadeau, l’Anthologie thématique de la poésie française de Max-Pol Fouchet. «Un beau livre alternant poèmes et reproductions de tableaux avec le Nu bleu de Matisse en couverture. J’apprends un jour que Max-Pol Fouchet donnera une conférence sur la poésie à Beyrouth. J’y vais avec mon livre. La conférence tout en musiques, senteurs et parfums est brillante et tourne autour de Baudelaire. Comblé, je m’approche de l’auteur

pour faire dédicacer mon exemplaire. Il me dit: ‘’Comment vous appelez-vous?’’ je lui dis mes prénom et nom. Alors, tout en dédicaçant l’ouvrage, il me dit: ‘’Si vous devenez un jour écrivain, ne prenez pas de pseudonyme, vous avez un beau nom.’’ Ça m’a quasiment convaincu, j’y ai vu comme un signe que je serai un jour écrivain ».

Les librairies de Beyrouth furent un lieu idéal pour la quête des livres. «Je me souviens par exemple d’avoir acheté les œuvres complètes du Marquis de Sade dans l’édition de Pauvert, non dans une librairie mais sur un trottoir sur lequel un jeune Arménien amoureux de livres...

exposait son fonds à même le sol...

Je suis depuis l’enfance un lecteur affamé de littérature et de poésie, mais j’ai mis du temps à oser me dire ce que je savais au plus profond de moi, que le romanesque était supérieur à l’essai. Qu’ils disaient infiniment plus de choses que les essais les plus pointus. La littérature est, c’est indéniable, plus efficace. Et la poésie? plus que tout ! »...

Cette soif de lecture a débouché sur une volonté de conquête, puis se transformée en une passion amoureuse.

Ainsi, une image va lui coller à la peau, celle d’un « lecteur maladif ... doublé d’un curieux pathologique ... ». Il y a là un registre relevant avant tout du plaisir, de ‘’la jouissance littéraire’’. «On imagine dès lors ma douleur lorsque les soldats israéliens, en 1982, mirent le feu à Beyrouth, à ma bibliothèque de près de sept mille ouvrages. »

Après un premier voyage en France qui naissait d’un désir puissant de se frotter à la culture française et « de connaître le pays d’où ‘’venaient’’ ces mêmes livres »... E.

Sanbar s’installa à Paris en 1969 pour y suivre ses cours de doctorat. A ses yeux, « la France est une librairie et des livres ». Il était heureux de vivre pleinement la vie culturelle parisienne dans laquelle il était déjà à l’aise(1).

«Mon bilinguisme a commencé dès l’âge de deux ans. Je n’ai pas eu l’impression de sortir d’une langue pour être encerclé par une autre. Je n’ai pas eu besoin de me justifier d’une trahison éventuelle que j’aurais commise par rapport à ma langue maternelle d’origine. »

Le jeune militant, déjà membre de la résistance palestinienne, arrive dans le Paris de son rêve. Il repère, dès le premier jour, la librairie Maspero située à quelques mètres de son hôtel de passage. Là, il rencontre au lendemain de son arrivée, Farouk Mardam-Bey un camarade syrien résistant, avec qui il va partager une amitié qui traversera le temps et qui est « née à partir de notre passion pour les livres ».

Dans un de leurs livres en commun, Notre France, E.

Sanbar souligne sa «conviction, bien ancrée, qu’il y avait là un pays avec lequel nous étions en osmose, la France de la Révolution et de la littérature, et une autre avec laquelle nous étions des fois fâchés à cause de sa politique coloniale.»

(1) https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cdLqjgz/rbaMo6, consulté le 04/08/2019

Enfin Sanbar n’a pas l’angoisse de la page blanche. « Je me souviens d’une rencontre d’écrivains où j’avais subi quatre heures de réflexions sur l’angoisse de la page blanche. Elle doit exister, mais en faire le ressort unique et exclusif de l’écriture, c’est quand même un peu court. Je n’ai pas cette angoisse-là, j’ai d’autres inquiétudes, l’obsession de la contraction, par exemple. C’est l’effet Jean Racine, Jean Genet me l’a enseigné plus tard. »

Un modèle d’écriture semble l’attirer. Celui qui a été formulé par un certain Abû Hayyân al-Tawhîdî(1): ‘’la plus belle parole est celle qui se situe entre une poésie qui ressemble à la prose et une prose qui ressemble à la poésie’’.