• Aucun résultat trouvé

Au service du maître (Allégorie)

Dans le document Avançons jusqu à Lui! Georges André (Page 77-81)

« Qu’il renonce à lui-même » (Luc 9.23)

Sur la colline du Rah, aux Indes, les arbres de valeur sont en général marqués du nom de leur propriétaire.

Pour conduire l’eau des montagnes jusque dans les villages de la plaine, on se sert de tuyaux de bambous ajustés bout à bout, après les avoir creusés et complètement vidés.

Un superbe bambou s’élevait parmi beaucoup d’autres sur les pentes de la montagne. Nous l’admirions lorsqu’un léger murmure de son feuillage se t entendre : « Vous admirez ma haute stature et mes branches gracieuses, disait-il ; mais je n’ai pas de quoi m’enorgueillir ! tout ce que je suis, je le dois à mon maître et à ses soins. C’est lui qui m’a planté sur cette colline ; mes racines n’ont qu’à plonger jusqu’aux sources cachées où elles boivent sans cesse l’eau vive qui me nourrit.

Voyez-vous là-bas ces arbres misérables et desséchés ? Leurs racines n’ont pas encore atteint les sources vives ; depuis que les miennes ont trouvé les eaux cachées, je n’ai manqué de rien.

Avez-vous remarqué les caractères tracés sur ma tige ? Regardez de près et vous verrez qu’ils sont taillés dans le vif. Cette opération a été douloureuse et je me demandais parfois pourquoi il me fallait sou rir autant. Mais c’était la main de

mon maître qui tenait le couteau, et lorsqu’il eut ni, j’aperçus, avec un tressaillement de joie, « son propre nom » incrusté sur ma tige… Je compris alors combien il m’aimait ; il voulait faire voir à tous que je lui appartenais en propre. N’ai-je pas de quoi me glori er d’avoir un tel maître ? »

L’arbre parlait encore, que le maître lui-même, une hache tranchante à la main, se tenait debout près de nous. Il regardait avec amour cet arbre qu’il avait planté.

« J’ai besoin de toi, lui dit-il, veux-tu te donner à moi sans réserve ? »

« Maître, répondit l’arbre, je suis tout à toi, mais en quoi pourrais-je bien t’être utile ? »

« J’ai besoin de toi, répéta le maître, oui j’ai besoin de toi pour porter mon eau vive là où le terrain est aride et desséché ».

« Mais comment ferais-je cela ? Je puis vivre de ton eau par mes racines, tendre mes bras vers ton ciel pour boire la pluie, mais comment abreuver les autres, puisque je ne prends que l’eau nécessaire à ma subsistance ? »

La voix du maître, pleine de tendresse, lui répondit :

« Je ne puis me servir de toi qu’à une condition, c’est que tu y consentes joyeusement ; je voudrais dans ce but t’abattre et te dépouiller de tes branches, puis t’emporter loin d’ici sur une colline solitaire où il n’y aura personne pour t’entourer et t’aimer… seulement de l’herbe et des ronces. Je serai obligé de me servir de ce couteau pour enlever de ton cœur tous les

obstacles qui obstruent le passage de l’eau vive qui doit couler en toi et par toi pour parvenir à d’autres. Tu penses que tu en mourras ? C’est vrai, tu mourras, tu perdras ta propre vie, mais ainsi seulement mon eau bienfaisante pourra couler continuellement au travers de ton être. Tu perdras ta beauté, ta grâce, ta parure, ta fraîcheur, mais en retour tu désaltéreras de pauvres âmes assoi ées qui en béniront le maître sans peut-être faire attention à toi… Consens-tu à ce dépouillement, à cette mort ? »

— « Ô Maître, tout ce que j’ai est à toi, je te le dois ! Si tu as besoin de moi, je donnerai joyeusement ma vie pour toi ! Si par ma mort tu peux faire circuler dans d’autres âmes ce euve d’eau rafraîchissante, oui, je consens à mourir. Je suis à toi, fais de moi ce que tu veux ».

L’expression du maître devint plus tendre encore lorsque, prenant en main sa hache, il t tomber à terre l’arbre magni que. Puis il le dépouilla de sa superbe couronne de verdure. Et prenant l’arbre dénudé sur ses épaules, il l’emporta sur la montagne.

Arrivé dans un lieu éloigné et solitaire, le maître s’arrêta et prenant en main un instrument muni d’une lame tranchante, il l’enfonça dans le cœur même du bambou pour y creuser un canal a n que la source d’eau vive puisse couler, sans entrave, jusqu’au terrain desséché. À coups redoublés il frappa le cœur de son arbre, jusqu’à ce qu’il l’ait ouvert d’un bout à l’autre.

Puis il le souleva de terre et le porta à l’endroit où jaillissait une source d’eau claire. Il en plaça une des extrémités dans cette eau

jaillissante, qui put dès lors couler à travers son cœur, couler sans bruit et sans arrêt… Le maître était pleinement satisfait.

Il alla chercher d’autres bambous sur la coltine verte, mais plusieurs, par crainte de la douleur, s’inclinèrent en dehors du chemin ; d’autres au contraire dirent : « Nous nous con ons en toi, fais de nous ce que tu voudras ». Le maître recommença la même opération sur chacun d’eux. À mesure qu’un nouvel arbre était à sa place, la source d’eau vive bouillonnait à travers tous ces cœurs vidés d’eux-mêmes, pour atteindre la terre desséchée où ceux qui mouraient de soif purent en n boire.

La bonne nouvelle se répandit rapidement : « L’eau vive est arrivée, la disette est terminée ; venez tous, venez vite ! » Toutes ces âmes altérées vinrent boire l’eau qui les t revivre. À cette vue le cœur du maître déborda de joie, et se tournant vers son arbre, il lui dit avec tendresse : « Regrettes-tu ta solitude et tes sou rances ? As-tu payé trop cher la joie d’apporter l’eau vive à ces âmes qui se mouraient ? » — « Ô Mon maître, répondit-il, pas du tout, et si j’avais plusieurs vies, je les donnerais toutes pour avoir le bonheur d’être à ton service et de réjouir ton cœur ».

Dans le document Avançons jusqu à Lui! Georges André (Page 77-81)