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Chapitre 4 : Communication haptique dans un environnement virtuel collaboratif

2 Le sens haptique

2.1

Définition

Le mot haptique provient du grec Haptein (ou encore Haptesthai) qui signifie « toucher et manipuler» (Salisbury, 1999). L’haptique est donc relatif au sens du toucher. Appelle (1991) défini le sens haptique comme étant l'utilisation du comportement moteur en combinaison avec le sens du toucher pour identifier les objets. Le sens haptique englobe donc deux sous systèmes :

• le sens tactile : le contact avec les objets et la réception des informations transmises par les récepteurs de la peau autour de la zone de contact,

• les phénomènes proprioceptifs (kinesthésiques) : la perception du mouvement et de la position des membres dans l’environnement avec les forces associées. Cette perception est acquise à travers la connexion des récepteurs de la peau, des muscles et des tendons.

Le sens haptique résulte donc de la stimulation de la peau par l’exploration active des objets de l’environnement par la main. Il se base sur l’action pour stimuler nos perceptions. La déformation mécanique de la peau (qui résulte du contact avec les objets) est ainsi combinée avec celle des muscles, des tendons et des articulations (qui résulte du mouvement actif des membres). Les informations haptiques peuvent être utiles pour compléter des informations transmises à travers les autres sens.

2.2

Les interfaces haptiques

Les interfaces haptiques sont des dispositifs utilisés comme des interfaces homme-machine et permettant à l’opérateur d’interagir avec son environnement (physique ou virtuel) avec un retour d’effort. Historiquement ces dispositifs ont été utilisés en téléopération pour permettre à un opérateur d’avoir un retour d’effort de l’environnement distant avec lequel il interagit. Dans ce cas, l’opérateur utilise une interface à retour d’effort qu’on appelle bras maître, pour manipuler à distance un robot esclave, et ressentir les efforts subis par ce dernier lorsqu’il entre en contact avec des objets de l’environnement. Depuis quelques années, ces dispositifs sont utilisés par la communauté de la RV comme dispositifs d’entrée/sortie qui permettent d’interagir avec un EV. Ces dispositifs sont maintenant courants en RV, car l’haptique y est reconnu comme un canal important de communication entre l’homme et l’EV. Plus récemment, la conception de ces dispositifs est devenue une problématique de recherche en soit, offrant ainsi une grande palette de dispositifs utilisables dans plusieurs domaines d’application. Ainsi, on peut trouver à présent des interfaces mieux adaptées aux utilisations dans les applications de la RV. Ces interfaces sont conçues, par exemple, en privilégiant le confort de l’utilisateur (au détriment d’un espace de travail important) et la sensibilité (au détriment d’une forte capacité en efforts ; Fuchs & Stergiopoulos, 2006). Par ailleurs, il est à noter que les interfaces haptiques ne sont pas le seul moyen pour appréhender une scène virtuelle par le sens haptique. En effet, une autre possibilité consiste à utiliser une réplique identique de la scène virtuelle sous forme matérielle. Il existe alors une correspondance entre les objets virtuels manipulés et leurs répliques physiques dans le monde réel. Cette méthode est appelée retour haptique passif (Hinckley, Pausch, Goble, & Kassell, 1994). Enfin, on peut utiliser également un retour pseudo-haptique. Dans ce cas, des informations haptiques sont transmises à travers une capture sensorielle en passant par le canal visuel (Bibin, Lécuyer, Burkhardt, Delbos, & Bonnet, 2008).

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2.3

Classification des interfaces haptiques

Cette classification se limite aux périphériques haptiques à retour d’effort. Ainsi les périphériques à retour tactiles ne seront pas abordés dans cette partie.

Les interfaces haptiques commercialisées à l’heure actuelle peuvent être classées en deux grandes familles :

• Les dispositifs à base fixe (ground-based devices) : cette catégorie regroupe les dispositifs qui peuvent être manipulés par l’utilisateur tout en étant posés sur une table ou sur le sol. Elle inclut les manches à retour de force et les bras articulés à retour d’effort (les bras maîtres), les souris à retour d'effort ou encore les systèmes à câbles,

• Les dispositifs « portés sur le corps » (body-based devices) : cette catégorie regroupe les dispositifs portés par l’utilisateur. Elle inclut les gants de données, les combinaisons de données ou encore les exosquelettes.

Les dispositifs les plus utilisés actuellement sont les bras articulés à retour d’effort. Ces derniers se composent généralement d’un bras robotisé fixé à un stylet. Le bras est entraîné par le stylet manipulé par l’utilisateur et peut exercer une force sur celui-ci. Ces dispositifs sont très utilisés en téléopération et dans les applications de RV. On trouve par exemple, le PHANToM Omni de Sensable ou encore le Virtuose 6D commercialisé par la société Haption4

Comme alternative à l’utilisation des bras robotisés, il existe des systèmes à câbles tel que le SPIDAR (Walairacht, Koike, & Sato, 1999). Ces systèmes ont l’avantage d’avoir une mécanique simplifiée et des prix réduits en comparaison avec les bras articulés. Cependant, la présence des câbles peut devenir problématique dans certaines configurations (entremêlement des câbles, encombrement de l’espace).

(dont la version desktop est utilisée dans l’étude expérimentale présentée dans ce chapitre).

Un panorama assez complet des interfaces haptiques à retours d’effort et leurs caractéristiques est présenté dans Fuchs & Stergiopoulos (2006).

2.4

Caractéristiques des interfaces haptiques

Contrairement à d’autres dispositifs, qui sont des périphériques d’entrée uniquement (souris, clavier) ou de sortie uniquement (écran), les périphériques haptiques sont des périphériques d’entrée et sortie à la fois. En effet, ils permettent un transfert bilatéral des données pour restituer avec une bonne fidélité les informations haptiques de l'environnement virtuel vers l'opérateur, et pour transmettre les intentions d'action de l'opérateur vers l'environnement virtuel. Les intentions d’actions de l’utilisateur sont transmises à travers la capture des mouvements de la main. D’un autre coté, le dispositif renvoie de façon active une force dans les doigts de l’utilisateur qui tient l’extrémité de ce dispositif. Restituer une force ou, de manière équivalente, contraindre le mouvement de l'opérateur, nécessite une interface active, c'est à dire motorisée. Les interactions avec l’EV sont alors nombreuses : on peut créer des contraintes de mouvement, des sensations de contact, des déformations d’objets ou encore des sensations de frottement.

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2.5

Quelques exemples d’applications

Les interfaces haptiques sont utilisées dans plusieurs applications qui nécessitent le renvoi d’informations haptiques à l’utilisateur, aussi bien dans le domaine de la RV que dans la téléopération (Srinivasan & Basdogan, 1997). Voici quelques exemples d’applications utilisant les retours haptiques :

• simulateurs de vol, simulateurs de conduite : à travers les volants et manches à retours d’efforts,

• les simulateurs chirurgicaux, la chirurgie minimale invasive, la télémédecine, l'endoscopie : Simulation pour la chirurgie minimale invasive (Basdogan, De, Kim, Muniyandi, Kim, & Srinivasan, 2004), simulation pour la chirurgie de l’os temporal (Morris, Sewell, Blevins, Barbagli, & Salisbury, 2004),

• la Conception Assistée par Ordinateur (CAO) : pour permettre par exemple, à des concepteurs de manipuler librement des pièces lors d’un assemblage mécanique, comme dans l’étude sur le montage et démontage de pièces chez Renault (Arnaldi, 2004),

• aides aux personnes aux besoins spécifiques : par exemple, les interfaces de navigation pour les aveugles (Lécuyer, Mobuchon, Mégard, Perret, Andriot, & Colinot, 2003),

• l’éducation : A travers l’apprentissage de l’écriture manuscrite en utilisant une interface haptique (Palluel-Germain, Bara, Hillairet de Boisferon, Hennion, Gouagout, & Gentaz, 2007) ou encore l’apprentissage de concepts abstraits tels que la structure d’un atome (Harvey & Gingold, 2000),

• sciences : par exemple dans les applications de manipulation de molécules en biologie (Subasi & Basdogan, 2008),

• divertissement : On retrouve les interfaces haptiques dans les jeux vidéo qui utilisent les manches et volants à retour de force, ou dans les visites à distance des musées en ligne (McLaughlin, Sukhatme, Hespanha, Shahabi, Ortega, & Medioni, 2000).

2.6

Utilité des informations haptiques dans les EV

Les interfaces haptiques jouent un rôle essentiel dans l’immersion d’un utilisateur dans l’EV lorsqu’il effectue des tâches physiques (telles que la manipulation d’objets et d’outils ou encore les interactions avec d’autres utilisateurs de l’EV). Mais l’utilisation des interfaces haptiques seules semble être inefficace (Smith, 1997). Elles sont alors souvent couplées avec un dispositif d'affichage et peuvent devenir, dans ce cas, plus efficaces qu’un dispositif d’affichage stéréoscopique seul. La valeur ajoutée du retour haptique réside essentiellement dans la capacité des utilisateurs à sentir l'objet qu'ils manipulent, ce qui rend l'interaction plus rapide et plus précise (Sallnäs & Zhai, 2003). L’étude de Gupta, Sheridan et Whitney (1997) a montré que le retour haptique permet de réduire le temps d’accomplissement d’une tâche de positionnement d’une cheville dans un trou simulant ainsi une tâche d’assemblage de pièces. Dans une autre étude, Sheridan (1992) a montré que sentir et toucher les objets pendant leur manipulation permet d’améliorer les performances de l’utilisateur et permet d’accroitre son sentiment de présence dans l’EV. Une autre étude (Hasser, Goldenberg, Martin, & Rosenberg, 1998) a montré que l'ajout du retour de force à une souris d'ordinateur permet de réduire les erreurs de pointage. On peut donc imaginer que pour effectuer un geste technique fin, dans un EV, d’une manière optimale, il est nécessaire de doter l’utilisateur de ce type de dispositif. Ceci aura pour but d’améliorer les performances de l’utilisateur, d’augmenter son sentiment de présence dans l’EV et son implication pour accomplir sa tâche.

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2.7

Le sens haptique et les gestes techniques fins

L’interaction haptique d’un opérateur avec les objets qui forment son environnement, lui permet d’établir des représentations mentales de la structure physique de cet environnement. L’exploration haptique donne alors à l’opérateur des informations sur son environnement : les forces à déployer pour bouger un objet (outil), les attributs des objets (contraintes, frottement, textures,…etc.), les événements (glissement, contrainte, contact,…etc.). Les modèles construits à partir de ces informations, combinés avec les images mentales construites à partir des retours visuels, lui permettent alors de construire un modèle mental plus précis et plus complet de son environnement. Ainsi, pour accomplir des tâches de manipulation fines, telles qu’un geste technique, ce modèle jouera un rôle primordial pour le contrôle et l’exécution de cette tâche d’une manière optimale (avec une économie d’énergie et de temps).

L’importance de ces informations sur les forces et la proprioception n'est pas négligée par les technologies de la RV. Le développement et l’utilisation des interfaces haptiques décrites précédemment en est la preuve. Ces interfaces privilégient essentiellement le contact avec la main ou les doigts de l’opérateur. Ceci lui permet de ressentir à travers ces périphériques la différence entre un état de contact et un état de non-contact avec un objet virtuel. La structure de ces interfaces semble adaptée à des gestes techniques de manipulation d’instruments. Cependant, la simulation de gestes techniques ne se basant sur aucun instrument semble plus difficile. En effet, dans ce cas, il est nécessaire de se doter de capteurs de positions assez précis pour décrypter avec une grande précision les mouvements des doigts nécessaires à ce type de gestes. L’étude présentée est restreinte aux gestes techniques fins basés sur l’utilisation d’un instrument dans un EV.

Voici quelques exemples d’applications développées dans ce sens : les Gestes Médico-chirurgicaux Assistés par Ordinateur (un simulateur de réalité virtuelle pour le prélèvement de moelle osseuse dans le cadre de greffe en pédiatrique (Machado, Mello, Lopes, Odone Fillho, & Zuffo, 2001), un simulateur pour l'apprentissage de la laparoscopie chez Immersion5

2.8

Synthèse

), la nano manipulation, ou encore la CAO (montage et démontage de pièces chez Renault).

Les gestes techniques fins basés sur la manipulation d’un outil pour accomplir une tâche, nécessitent une grande précision de mouvements. Pour accomplir ces gestes d’une manière optimale, un opérateur doit se baser sur les retours sensoriels de son environnement. Dans ce cadre, le sens haptique semble être une source d’information importante. De même, dans un EV, lorsqu’un utilisateur doit accomplir des gestes techniques, il est nécessaire de lui fournir cette source d’information. Dans ce cas, des interfaces haptiques sont associées à des dispositifs d’affichage pour transmettre des informations de retour d’effort et de retour visuel vers l’utilisateur lorsqu’il interagit avec son environnement. Ces informations lui permettent de construire une image plus précise de la situation et d’accomplir les gestes de façon optimale. Mais que se passe-t-il lorsque l’opérateur doit partager ces informations avec une autre personne ? Ces situations peuvent se manifester dans le cadre d’un apprentissage, d’une transmission de savoir ou encore dans une situation de collaboration où l’opérateur doit partager la manipulation d’un outil avec une autre personne. La section suivante permettra d’aborder les problèmes de communication d’informations autours des gestes techniques dans les situations collaboratives.

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