2.2 De l’identité à la supplétion : les différents cas de figure observés
2.2.9 sel ∼ saler et pierre ∼ lapider
Les paires sel∼saler et pierre∼lapider ne peuvent au premier abord être considérées comme des cas de conversion dans la mesure où, dans ces deux paires, le nom et le verbe ne sont pas phonologiquement identiques, et dans le cas de pierre∼lapider ils sont mêmes radicalement distincts. Cette section va néanmoins montrer qu’il est possible de les considérer comme des conversions.
Ces paires présentent des variations au niveau formel qui sont généralement considérées comme relevant de deux types de phénomènes différents : allomorphie dans le cas de sel∼saler, et supplétion dans le cas de pierre∼lapider.
La supplétion est une variation non régulière de la forme phonique d’un lexème lors d’une opération morphologique. Cette variation n’est pas régulière car la forme
supplétive ne peut être déduite de règles phonologiques productives en synchronie. A l’inverse l’allomorphie est une variation régulière de la forme d’un lexème dans la mesure où elle peut être déduite de règles phonologiques productives. Toutefois, comme le fait remarquer Boyé (2006), les différents types de variations formelles que peut connaître un lexème forment une échelle dont la supplétion constitue une extrémité et l’allomorphie réduite à des alternances purement phonologiques l’autre extrémité. Entre ces deux extrémités existent de nombreuses situations où les deux allomorphes sont proches formellement, mais ne sont pas reliables en synchronie par des règles phonologiques. Plusieurs types de critères ont été avancés pour distinguer entre ce qui relève de la supplétion et ce qui relève de l’allomorphie.
Un premier critère de nature étymologique consiste à étudier la relation histo- rique entre des unités considérées en synchronie. Selon ce critère il y a supplétion lorsque des unités reliées sémantiquement proviennent d’étymons différents comme par exemple les différents thèmes du verbe aller en français : /al/ (cf. allons, al- lez . . . ) issu du latin ambulare, /iK/ (cf. irai, irions. . . ) du latin ire et /v/ (cf. vais, va. . . ) du latin vadere sont donc des thèmes supplétifs. Si en revanche les deux unités proviennent du même étymon il s’agit d’une allomorphie comme pour clair et clarté tous deux issus du latin clarus, le premier directement, le second via claritas dérivé en latin de clarus. Outre le fait que le recours à des informations de nature historique est contestable pour définir certains phénomènes étudiés syn- chroniquement, la non pertinence de ce critère a été démontrée par Mel’čuk (1976) pour deux raisons. D’une part il existe des unités issues du même étymon qui ont évolué de manière tellement différentes qu’elles sont considérées actuellement comme des cas de supplétion. C’est le cas par exemple du latin sum ‘je suis’ et eram ‘j’étais’ les deux formes du radical (respectivement s- et er-) étant dérivées d’une racine commune es-. D’autre part il existe des unités issues d’étymons différents mais qui, intégrées dans des séries sémantiques, ont subi un rapprochement phonétique par analogie. Mel’čuk donne l’exemple de much, more et most en anglais. Ainsi le critère étymologique n’est pas pertinent pour déterminer si deux unités entretiennent une relation de supplétion ou d’allomorphie.
Un second critère est l’appartenance des unités à une même langue ou au contraire à des langues différentes. La supplétion est en effet généralement considérée comme hétérolexicale contrairement à l’allomorphie. Ainsi, puisque /lyd/ dans ludique est emprunté au vocabulaire du latin et que /Zø/ auquel est sémantiquement relié ludique appartient au français, /lyd/ peut être considéré comme une base supplé- tive, et non allomorphique, de /Zø/. Ce critère fonctionne relativement bien pour la morphologie dérivationnelle en français mais ne résout pas toujours la question car il existe de nombreux cas difficiles à départager : /maKZin/ dans marginal ou /miKwat/ dans miroiter appartiennent-ils davantage au latin que /miKakyl/ dans
miraculeux ou /sal/ dans salière ? Ainsi, s’il peut fournir un bon indice ce cri- tère n’est néanmoins pas suffisant pour permettre de départager entre supplétion et allomorphie.
Un troisième critère est la distance formelle entre les unités considérées. Ainsi selon Mel’čuk (1976) la supplétion peut être comprise comme l’absence de partie commune entre deux unités reliées sémantiquement. Dressler (1985, p.42) parle éga- lement d’ “alternance de tout le radical”. Tandis que pour Corbin (1985, p.58) “il est en effet nécessaire qu’il y ait des segments communs” pour parler d’allomorphie. Selon ce critère /pjEK/ et /lapid/ (cf. lapidaire) entretiennent donc un rapport de supplétion puisque les deux formes ne partagent aucun segment commun. A l’in- verse /flœK/ et /floK/ (cf. floral) constituent un cas d’allomorphie puisque les deux formes ont /fl/ et /K/ en commun et ne divergent que sur la voyelle. Une fois encore ce critère fonctionne bien pour les cas extrêmes : les formes n’ayant aucune partie commune sont des cas de supplétion tandis que celles ne variant que sur un point sont des cas d’allomorphie. Mais comment considérer /am/ et /anim/ (cf. ani- misme) qui ont /a/ et /m/ en commun, /sufK/ et /sylfyK/ (cf. sulfurique) qui ont /s/, /f/ et /K/ en commun ou encore /paZ/ et /paZin/ (cf. paginer) ? Il semble qu’il faille quantifier la partie commune entre deux formes reliées sémantiquement pour départager s’il s’agit de supplétion ou de dérivation. Corbin (1985) propose ainsi de prendre en compte le nombre de phonèmes alternants entre deux formes reliées sémantiquement. Toutefois elle souligne que ce critère n’est pas suffisant et qu’il est nécessaire de prendre en compte des informations qualitatives sur l’alter- nance observée. L’auteur donne l’exemple des paires /naZ/-/nat/(cf. natation) et /adeK/-/adez/(cf. adhésion) dans lesquelles les deux formes reliées n’alternent que par un seul phonème, respectivement /Z/∼/t/ et /K/∼/z/, mais le type d’alternance n’est pas le même puisque nager/natation est la seule paire à présenter une al- ternance /Z/∼/t/ tandis que l’alternance /K/∼/z/ est selon Corbin présente dans d’autres paires comme cohérer-cohésion et tous les dérivés en -eur/-euse. C’est pourquoi Corbin propose un autre critère : la reproductibilité.
Pour qu’une alternance formelle entre deux unités relève de l’allomorphie et non de la supplétion l’alternance considérée doit être reproductible, c’est-à-dire ob- servable dans d’autres paires de lexèmes reliés sémantiquement mais présentant une variation formelle. Ainsi l’alternance /Z/∼/t/ observée entre nager et na- tation n’étant pas reproductible, /nat/ est, selon Corbin, une base supplétive, et non allomorphique, de /naZ/. A l’inverse dans la paire sel∼saler l’alternance /E/∼/a/ est considérée comme allomorphique car elle est présente dans d’autres paires, par exemple dans mer∼marin. Comme dans les cas précédents ce critère fonctionne relativement bien mais ne résout pas tous les cas d’alternances rencon- trées. Ainsi l’alternance /EK/∼/atEKn/ dans frère/fraternel, mère/maternel
et père/paternel peut-elle être analysée comme relevant de l’allomorphie puisque l’alternance est reproductible, mais également comme de la supplétion dans la me- sure où seuls les trois lexèmes frère, mère et père présentent cette variation formelle. Là aussi la question de la quantification de la variation observée se pose. Corbin (1987) fixe à deux le nombre d’occurrences nécessaires pour considérer qu’une alternance est allomorphique et non supplétive. Mais ce chiffre est contestable car même trois occurrences comme dans le cas de frère/fraternel, mère/maternel et père/paternel semblent être peu pour justifier la régularité d’un procédé. Par ailleurs il semble difficile de fixer arbitrairement un seuil au-delà duquel il s’agirait d’allomorphie et en-deça duquel ce serait de la supplétion.
Ainsi, l’établissement de critères permettant de faire le partage entre la supplé- tion et l’allomorphie n’est pas évident. Hormis le critère étymologique qui ne paraît pas pertinent, les trois autres critères (appartenance ou non à une autre langue, dis- tance formelle entre les bases considérées et reproductibilité de l’alternance) doivent être étudiés conjointement pour déterminer si une variation formelle est une allo- morphie ou une supplétion. La supplétion comme l’allomorphie semblent donc être des prototypes, dont les alternances observées peuvent être plus ou moins proches ou éloignées. Selon ces différents critères, l’allomorphie prototypique est donc définie en 4, tandis que la supplétion prototypique est présentée dans la définition 5.
Définition 4 : Allomorphie prototypique
Un radical est allomorphique par rapport à un autre radical si : a. les deux radicaux appartiennent à la même langue
b. les deux radicaux sont minimalement différents
c. la variation formelle entre les deux radicaux est reproductible
Définition 5 : Supplétion prototypique
Un radical est supplétif par rapport à un autre radical si :
a. il appartient à une autre langue que le radical concerné, comme le latin ou le grec pour le français
b. les deux radicaux sont maximalement différents
c. la variation formelle entre les deux radicaux n’est pas reproductible Dans le corpus de paires nom∼verbe issues des deux dictionnaires les trois cri- tères énoncés ci-dessus ont donc été étudiés conjointement afin de faire le partage entre celles relevant de la supplétion et celles relevant d’une allomorphie . Les paires qui ont été considérées comme présentant un cas de supplétion sont celles qui sont le plus proche de la définition 5, tandis que celles considérées comme de l’allomorphie
sont celles qui sont le plus proche de la définition 4. Ce partage des paires nom∼verbe entre supplétion et allomorphie est donc discutable. Toutefois il ne semble pas que le fait de considérer une paire comme présentant une supplétion ou une allomorphie ait une conséquence sur le fait de considérer qu’il s’agit d’une conversion ou non.
2.2.9.1 Allomorphie
Les paires nom∼verbe considérées comme des conversions avec allomorphie ont donc été celles pour lesquelles la variation formelle entre le nom et le verbe était la plus proche du prototype de l’allomorphie défini en 4. Le tableau 2.21 présente l’ensemble des 118 paires considérées comme telles en fonction du type d’allomorphie qu’elles présentent entre la forme du nom et la forme du verbe.
Allomorphie Conversions
Cl ∼ Cyl fable∼fabuler, miracle∼miraculer, triangle∼trianguler E ∼ a fantaisie∼fantasier, sel∼saler
EK ∼ aKi salaire∼salarier, vicaire∼vicarier
f ∼ v adjectif∼adjectiver, motif∼motiver, siccatif∼siccativer, substan- tif∼substantiver
il ∼ij babil∼babiller, brésil∼brésiller, cil∼ciller, grésil∼grésiller, gril∼griller
o ∼@l agneau∼agneler, anneau∼anneler, bourreau∼bourreler, car-
reau∼carreler, ciseau∼ciseler, couteau∼couteler, créneau∼ créneler, fuseau∼fuseler, grumeau∼grumeler, marteau∼mar- teler, morceau∼morceler, museau∼museler, niveau1∼niveler1, niveau2∼niveler2, oiseau∼oiseler, peau∼peler, râteau∼râteler, renouveau∼renouveler, ruisseau∼ruisseler
o∼ El sceau∼sceller, veau∼vêler
ø ∼ u aveu∼avouer, désaveu∼désavouer, jeu∼jouer, noeud∼nouer,
voeu∼vouer
œ∼ u épreuve∼éprouver, preuve∼prouver, saveur∼savourer
œ ∼o couleur∼colorer, déshonneur∼déshonorer, honneur∼honorer,
moteur∼motorer, odeur∼odorer K ∼ t miroir∼miroiter, velours∼velouter
s ∼z iris∼iriser
Allomorphie Conversions
V ∼ Ø frotti∼frotta∼frotti∼frotter, golgotha∼golgother, gomina∼
gominer, mazurka∼mazurker, muleta∼muleter, polka∼polker, razzia∼razzier, visa∼viser, arc-boutant∼arc-bouter, sobriquet∼ sobriquer, graffiti∼graffiter, laurier∼laurer, picolo∼picoler, trémolo∼trémoler, fac-similé∼fac-similer, mélopée∼méloper, péché∼pécher
Ø ∼ i bénéfice∼bénéficier, char∼charrier, circonstance∼circonstan- cier, différence∼différencier, disgrâce∼disgracier, distan- ce∼distancier, domicile∼domicilier, étude∼étudier, extase∼ extasier, grâce∼gracier, hypostase ∼hypostasier, indulgence∼in- dulgencier, injure∼injurier, justice∼ justicier, licence∼licencier, maléfice∼maléficier, négoce∼négocier, octave∼octavier, office∼officier, orthographe∼orthographier, phonographe∼ phonographier, plancher∼planchéier, préjudice∼préjudicier, privilège ∼privilégier, quintessence∼quintessencier, refuge∼ré- fugier, remède∼remédier, sentence1∼sentencier1, sentence2∼sen-
tencier2, supplice∼supplicier, tartufe∼tartufier, vice∼vicier
Ø ∼ j fourmi∼fourmiller, fusil∼fusiller, habit∼habiller, outil∼outil- ler, persil∼persiller, pou∼pouiller, sourcil∼sourciller, toupie∼ toupiller, verrou∼verrouiller
Ø ∼ y accent1∼accentuer1, accent2∼accentuer2, acte∼actuer, tumulte ∼tumultuer
Table 2.21 – Allomorphies observées entre noms et verbes en relation de conversion
Ces alternances observées entre la forme du nom et la forme du verbe sont toutes reproductibles. Exceptées les alternances /il/∼/ij/ et /K/∼/t/ elles sont en outre toutes présentes dans la langue ailleurs que lors de conversions comme le montre le tableau 2.22.
L’alternance V∼Ø semble être davantage un ajustement phonologique dû au fait que la base se termine par une voyelle qu’une allomorphie à proprement parler, mais cet ajustement lié aux propriétés phonologiques des noms n’empêche pas de voir dans ces paires des cas de conversion. Il est notable que parmi ces verbes frotti- frotter, golgother, mazurker, muleter, sobriquer, graffiter, tré- moler, fac-similer et méloper sont absents de Frantext. Polker, razzier, viser et laurer y sont attestés mais rares : respectivement 8, 17, 5 et 32 oc- currences. Seuls arc-bouter, pécher et picoler sont fréquents, mais pour ce
Allomorphie Exemples
Cl ∼Cyl angle>anguleux, ongle>ongulé, spectacle>spectaculaire E ∼a sel>salin, mer>marin, réel>réalité
EK ∼ aKi commissaire>commissariat, notaire>notariat
f ∼ v actif>activité, agressif>agressivité, chétif/chétive o∼ @l agneau>agnelet, chapeau>chapelier, tonneau>tonnelier o∼ El beau/belle, nouveau>nouvellement
ø ∼u queue>couette, preux>prouesse, veux/voulons
œ∼ u douleur>douloureux, rigueur>rigoureux, vigueur>vigoureux œ∼ o docteur>doctorat, fleur>floral, heure>horaire
s ∼z anis>anisette, six>sixième
waK ∼oKi gloire>glorieux, mémoire>mémoriel V ∼ Ø mafia>mafieux, Tarantino>tarantinesque
Ø ∼ i grâce>grâcieux
Ø ∼ j boue>bouillasse, persil>persillade, pou>pouilleux
Ø ∼ y tumulte>tumultueux
Table 2.22 – Allomorphies observées en flexion et en dérivation
dernier le lien avec le nom picolo désignant un vin rouge de mauvaise qualité est ténu.
Quant aux allomorphiesØ∼/i/,Ø∼/j/ etØ∼/y/, elles pourraient être considérées comme des suffixations ou des épenthèses dans la mesure où il y a un ajout de matériel phonique sur le verbe. Toutefois, le /i/ le /j/ et le /y/ ne peuvent être considérés comme des suffixes puisque dans certains cas les dérivés suffixaux de ces noms présentent également ce /i/ ce /j/ ou ce /y/ devant le suffixe, comme le montrent les exemples du tableau 2.23.
Ces segments n’ont pas non plus été considérés comme des épenthèses car le terme d’épenthèse a été reservé dans cette étude aux segments consonantiques. Il est notable que ces /i/, /j/ et /y/ ne peuvent être dû à des contraintes purement phonologiques. En effet, en ce qui concerne /i/ et /y/, tous les noms présentant cette allomorphie excepté plancher (et accent mais ce dernier possède tout de même une latente) se terminent par une consonne et pourraient donc être convertis ou suffixés directement. L’allomorphieØ-/j/ quant à elle pourrait être conditionnée par des contraintes purement phonologiques dans la mesure où les noms présentant une telle allomorphie se terminent tous par une voyelle. Toutefois le fait que ces noms se terminent par /i/ ou /ø/ ne semble pas constituer une contrainte suffi- sante puisque certains noms ayant les mêmes finales ont des dérivés sans /j/ : pho- tographie>photographier, clou>clouer, boue>boueux. Ainsi ces noms semblent bien posséder une base allomorphique à finale /j/ qui sert également à former les dérivés suffixaux comme le montrent les exemples du tableau 2.23.
Nom base Suffixé Convert
accent1 accentuel accentuer1
acte actuaire actuer
adjectif adjectival adjectiver
agneau agnelet agneler
armoiries armorial armorier
bénéfice bénéficiaire bénéficier
circonstance circonstanciel circonstancier
carreau carrelage carreler
différence différentiel différencier
disgrâce disgrâcieux disgracier
fable fabuliste fabuler
grâce grâcieux gracier
histoire historien historier
injure injurieux injurier
licence licencieux licencier
miracle miraculeux miraculer
museau muselière museler
outil outillage outiller
persil persillade persiller
pou pouilleux pouiller
râteau râtelier râteler
ruisseau ruisselet ruisseler
salaire salarial salarier
saveur savoureux savourer
sel salin saler
sentence2 sentencieux sentencier2
sourcil sourcilleux sourciller
substantif substantival substantiver
triangle triangulaire trianguler
tumulte tumultueux tumultuer
vice vicieux vicier
vicaire vicariat vicarier
Table 2.23 – Dérivés suffixés et convertis de base allomorphique
L’ensemble des allomorphies rencontrées lors de conversion entre nom et verbe sont donc plus ou moins fréquentes selon les cas. Mais il est notable que dans la plupart des cas si le nom présente une allomorphie lors d’une conversion, la même allomorphie est observée dans les dérivés suffixaux, comme le montrent les exemples du tableau 2.23. Cela semble bien indiquer que ces noms ont un thème 2 allomor- phique sur lequel sont formés leurs différents dérivés, que ce soit par conversion ou par suffixation. Ainsi, on peut considérer que sel par exemple possède deux thèmes différents /sEl/ et /sal/ comme le montre la figure 2.10. Sur le thème 2 (/sal/) peuvent alors être construits les dérivés suffixés salin, salière, salifère. . . et le
convert saler.
sel t1 : sEl
t2 : sal
Figure 2.10 – L’espace thématique de sel
2.2.9.2 Supplétion
La définition de la supplétion donnée en 5 a permis de considérer 18 paires comme des cas de verbes construits par conversion sur des bases supplétives. Ces paires sont présentées en (57).
(57) air∼aérer, âme∼animer, arbre∼arborer, eau∼hydrater, hiver∼hiberner, in- ventaire ∼inventorier, marge∼marginer, mère∼materner, nom∼nominer, ordre1
∼ordonner1, ordre2∼ordonner2, page∼paginer, père∼paterner, pierre∼lapi-
der, poids∼pondérer, point∼ponctuer, sel∼sauner, soufre∼sulfurer
Dans chacune de ces paires le nom et le verbe pourraient être considérés comme liés sémantiquement dans le lexique sans que rien de morphologique ne les relie entre eux. Toutefois, plusieurs de ces noms ont des dérivés suffixés formés sur la même base supplétive que le verbe convert correspondant, comme le montre le tableau 2.24.
Nom base Dérivé suffixé Dérivé converti
air aérien aérer
âme animisme animer
arbre arboricole arborer
eau hydrolique hydrater
hiver hibernal hiberner
marge marginal marginer
mère maternel materner
nom nominal nominer
ordre1 ordonné ordonner1
père paternel paterner
pierre lapidaire lapider
poids pondéral pondérer
point ponctuel ponctuer
sel saunerie sauner
soufre sulfurique sulfurer
Ainsi il est permis de penser que les noms et verbes des paires en (57), de même que les noms et adjectifs du tableau 2.24, ne sont pas uniquement reliés sémanti- quement, mais aussi morphologiquement par le biais d’une base supplétive du nom. Dans le cadre des espaces thématiques cela pourrait se traduire pour les noms en (57) par un thème 2 supplétif au lieu d’être régulier, et qui devrait donc être spéci- fié lexicalement au même titre que le thème 1. La figure 2.11, illustrée par pierre, schématise ce que serait l’espace thématique d’un nom à thème 2 supplétif. La figure représente le fait qu’aucun des deux thèmes n’est déductible de l’autre, et que les deux thèmes doivent être spécifiés en même temps dans l’entrée lexicale du nom.
nom pierre
t1 : φ t1 : pjEK
t2 : ψ t2 : lapid
Figure 2.11 – L’espace thématique d’un nom à thème 2 sup- plétif et l’exemple de pierre
Cependant, l’hypothèse d’un thème 2 supplétif dans le cas des noms en (57) rencontre des difficultés. En effet, dans le cas de la paire sel∼sauner par exemple on ne peut considérer que le thème 2 de sel est /son/ puisque dans la section 2.2.9.1 il été montré que sel a pour thème 2 /sal/ qui permet de former le verbe convert saler et les suffixés salière, salin. . . De la même façon, il n’est pas possible de postuler pour point le thème 2 /p˜Okt/ puisqu’un thème 2 /pw˜Et/ a déjà été postulé à la section 2.2.7 afin de rendre compte du verbe convert pointer. Pour pierre également il est impossible de postuler le thème 2 /lapid/ car, même si cela permet de rendre compte de lapider et lapidaire, cela ne permet pas de rendre compte des dérivés comme pierrier, pierreux ou empierrer. Plusieurs des noms listés en (57) posent ce type de problème dans la mesure où ils donnent lieu à la fois à un