• Aucun résultat trouvé

Propriétés prototypiques des catégories lexicales

3.3 Critères sémantiques

3.3.4 Propriétés prototypiques des catégories lexicales

Un dernier type de critère sémantique peut être tiré des propriétés sémantiques et pragmatiques prototypiquement associées aux catégories lexicales selon (Croft 1991). En effet, Croft (1991) a proposé que les catégories du nom, de l’adjectif et du verbe soient définies par une corrélation prototypique entre une classe sémantique et une fonction pragmatique, selon le tableau 3.15. Ainsi, selon Croft, un nom a pour fonction pragmatique prototypique de référer, et dénote un objet, comme véhi- cule. Un adjectif a pour fonction pragmatique prototypique de modifier, et dénote une propriété, comme blanc. Enfin, un verbe a pour fonction pragmatique de pré- diquer, et dénote un procès (une action dans les termes de Croft), comme détruire.

Nom Adjectif Verbe

Classe sémantique objet propriété action

Fonction pragmatique référence modification prédication

Exemple véhicule blanc détruire

Table 3.15 – Catégories lexicales définies comme une corré- lation prototypique entre une classe sémantique et une fonction pragmatique selon Croft (1991)

Cependant, Croft a également établi que c’est le rôle de la morphologie déri- vationnelle de fabriquer des unités ayant une fonction pragmatique qui n’est pas prototypiquement celle de leur catégorie lexicale, comme le montre le tableau 3.16 traduit de (Croft 1991, p.53). Ainsi, blancheur, par exemple, dénote une propriété bien qu’étant un nom. L’adjectif blanc a donc été dérivé morphologiquement pour former le nom blancheur afin de pourvoir référer au lieu de modifier, tout en conti- nuant de dénoter une propriété. De la même façon, le nom destruction réfère à une action tout en étant un nom. C’est donc le signe que le nom est dérivé du verbe détruire. La morphologie constructionnelle permet qu’un mot comme blanc ou

détruire conserve la classe sémantique qui lui est prototypique, mais change de fonction pragmatique, pour référer par exemple, au lieu de modifier ou de prédiquer.

Fonction pragmatique

Classes sem. Référence Modification Prédication

Objet véhicule véhiculaire être un véhicule

Propriété blancheur blanc être blanc

Action destruction détruit détruire

Table 3.16 – Corrélations prototypiques et non prototypiques entre classe sémantique et fonction pragmatique

Selon Croft, les corrélations prototypiques entre classes sémantiques et fonctions pragmatiques sont non marquées dans les langues, tandis que les combinaisons non prototypiques entre une fonction pragmatique et une classe sémantique sont mar- quées par le biais d’un ou plusieurs morphèmes :

« All the marked combinations of semantic class and pragmatic functions are characterized by the presence of an additional morpheme (or morphemes) in- dicating the –marked– pragmatic function. »Croft (1991, p.58)

Ainsi, pour le nom blancheur, l’association non prototypique entre le fait de référer et le fait de dénoter une propriété est effectivement marquée par le suffixe -eur. De la même façon, pour destruction, l’association non prototypique entre le fait de référer et le fait de dénoter une action est marquée par le suffixe -ion. Le problème cependant avec la conversion est justement que les associations non prototypiques entre classe sémantique et fonction pragmatique ne sont pas marquées formellement.

Néanmoins, si l’on applique les principes de Croft à l’orientation de la conver- sion, les corrélations prototypiques entre fonction pragmatique et classe sémantique devraient permettre d’orienter la conversion lorsque le nom et le verbe sont homo- nymes. En effet, dans la mesure où les noms dénotent de manière prototypique un objet, les noms dénotant une action devraient donc être considérés comme les ré- sultats d’une conversion verbe>nom. Ainsi, pour la paire clou∼clouer, comme le nom clou réfère bien à un objet, la paire peut être considérée comme une conver- sion nom>verbe. À l’inverse, dans la paire danse∼danser, comme le nom danse ne réfère pas à un objet mais à un procès (une action pour Croft) alors la paire doit être considérée comme une conversion verbe>nom.

L’utilisation des corrélations prototypiques entre fonction pragmatique et classe sémantique semble donc constituer un bon moyen pour décider de l’orientation de la conversion. Cependant, l’application de ce type de critère donne parfois une

orientation en contradiction avec l’analyse morphologique. En effet, pour la paire réveil∼réveiller où le nom réveil signifie ‘appareil servant à se réveiller’, l’ana- lyse morphologique permet de déterminer que le nom dérive du verbe, le verbe étant lui-même dérivé morphologiquement de éveiller. La paire est donc, du point de vue morphologique, analysée comme une conversion verbe>nom. Or, selon les principes de Croft, la paire réveil∼réveiller devrait être une conversion nom>verbe dans la mesure où le nom dénote un objet, ce qui correspond à la classe sémantique pro- totypique des noms. À l’inverse, la paire aubade∼aubader est analysée du point de vue morphologique comme une conversion nom>verbe dans la mesure où le nom est déjà dérivé morphologiquement de aube. Or, selon l’application des critère de Croft la paire est considérée comme une conversion verbe>nom dans la mesure où le nom dénote un procès, ce qui n’est pas la classe sémantique prototypique des noms. Ainsi, les corrélations prototypiques établies par Croft (1991) entre la fonction pragmatique des mots et leur classe sémantique peuvent servir à déterminer l’orien- tation de la conversion dans la mesure où elles sont généralement en adéquation avec la direction de la dérivation. Toutefois ce n’est pas toujours le cas comme le montrent les paires réveil∼réveiller et aubadeaubader, de sorte que ces corrélations prototypiques ne semblent pas constituer un critère suffisant pour déci- der de l’orientation de la conversion.