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SOUS-SECTION B: ARTICLE 287 LP

§ 1. But

L'article 287 LP a la teneur suivante:

«Sont pareillement nuls les actes suivants, lorsqu'ils ont été faits par un débiteur insolvable dans les six mois avant la saisie ou l'ouverture de la faillite:

<207

·1>Voir à ce propos supra, note (146.1 ).

<'0'> Voir les articles 286 al. 1 et 287 de l'avant-projet de la commission d'experts chargée de réexaminer

globalement la LP, adressé au Département fédéral de justice et police en décembre 1981. A ce propos, voir infra. pp. 264s.

]0

tout gage constitué pour garantir une dette existante, sauf le cas où le débiteur s'était engagé précédemment à fournir une garantie;

2°. tout paiement opéré autrement qu'en numéraire ou valeurs usuelles;

3°. tout paiement de dette non échue.

L'action révocatoire n'est pas recevable lorsque celui qui a profité de l'acte établit qu'il ignorait la situation du débiteur.»

Cette disposition a pour but de faire prononcer la nullité de certains actes, limitati-vement énumérés par la loi, lorsque ceux-ci ont été accomplis par un débiteur surendetté dans les six mois qui ont précédé sa faillite (209l. Le principe d'équité sous-jacent à 1' article 287 LP est que certains types de comportements sont inacceptables de la part d'un débiteur, quelle que soit son intention, dès lors que celui-ci est sur-endetté.

§ 2. Trois conditions objectives

L'article 287 LP énonce trois conditions d'application: le délai (infra, a.), le surendettement (infra, b.) et des conditions spécifiques alternatives (infra, c.). Ces conditions sont toutes objectives. Ce caractère purement objectif est toutefois tempéré par la preuve libératoire subjective qu'instaure l'article 287 al.3 LP (infra, §3).

a. Le délai

Comme l'article 286 LP, l'article 287 LP ne vise que les actes accomplis par le débiteur dans les six mois qui précèdent le jugement de faillite (210l. Nous ne revenons pas sur 1~ caractère inadéquat de ce délai, aussi bien quant à sa durée qu'en ce qui concerne son dies a quo (2lll. Rappelons seulement que dans les groupes de sociétés la direction unique a souvent la faculté de décider le principe et la date de la faillite des sociétés qu'elle domine. Par un certain nombre de moyens il lui est en effet possible de prolonger la survie des membres du groupe qui sont en proie à des difficultés financières (212l. Or, c'est également la direction unique qui décide l'acte révocable. Il lui suffit en conséquence de laisser s'écouler plus de six mois entre ces deux événements (2l3J pour que soit périmée l'action basée sur l'article 287 LP. Il est

<209>GILLIERON Pierre-Robert, op. cit. note (136), p. 372.

<210>Délai prolongeable dans certains cas. Voir à ce propos supra, note (175).

<211> Voir à ce propos supra, Section Il, § 2, pp. 82ss.

<212> Voir à ce propos supra, Section Il, § 2, pp. 82ss.

<'13> Par exemple en assumant les paiements du débiteur pendant plus de six mois dès l'acte révocable.

Pour des exemples, voir les affaires COMSTOCK et MID-TOWN citées supra, pp. 82s.

vrai que dans cette hypothèse le bénéficiaire de l'acte révocable pourra être entre-pris sur la base de l'article 288 LP. Toutefois, ainsi que nous le verrons <214l, le demandeur supporte alors le fardeau de la preuve d'éléments de fait subjectifs, preuve difficile à apporter, de sorte qu'elle met souvent le bénéficiaire à l'abri de toute condamnation.

b. Le surendettement

A la différence des articles 286 et 288 LP, l'article 287 LP érige en condition d'application le fait que le débiteur ait été «insolvable» au moment de l'acte révocable. Selon la jurisprudence et la doctrine unanimes, il y a «insolvabilité» au sens de l'article 287 LP lorsque le passif du débiteur dépasse son actif <215l. Il ne s'agit par conséquent pas à proprement parler d'insolvabilité, mais de surendettement<216l. Le texte allemand de l'article 287 LP, qui parle d' «Uberschuldung», s'avère donc ici plus exact que la version française <217l.

S'agissant d'une société anonyme, la réalisation de cette condition signifie qu'au moment de la commission del' acte révocable le débiteur se trouvait dans la situation visée par l'article 725 a1.3 CO, sans cependant que le juge en ait encore été informé <218l.

Cela étant, la solvabilité (stricto sensu) du débiteur entre également en ligne de compte. A y regarder de plus près en effet, l'article 287 al.l ch. 2° et 3 °LP nous permet de formuler l'alternative suivante. Etant entendu que le débiteur est surendetté: soit il est solvable et il peut valablement payer ses dettes en valeurs usuelles dans la mesure où elles sont échues (287 al. 1 ch. 2° et 3 ° a contrario) ; soit il est insolvable et il ne peut valablement payer ses dettes, même échues. En effet, s'il est insolvable le débiteur ne peut par définition payer ses dettes en valeurs usuelles. Tout paiement sera dès lors nécessairement fait d'une autre manière, c'est-à-dire en valeurs non usuelles, et tombera en conséquence nécessairement sous le coup de 1' article 287 al.l ch. 2° LP.

La preuve du surendettement incombe au demandeur. Il est superflu d'insister sur les difficultés pratiques considérables qu'une telle démonstration peut

compor-(214

> Voir infra, pp. 115ss.

(215> JT 1943 II, p. 75 n° 35, et la jurisprudence citée.

(2l•> Pour la définition de ces termes et leur distinction, voir supra, pp. 58ss.

(2l1> JT 1943 II, p. 75 n° 35; FRITZSCHE Hans, op. cit. note (106), vol. II, p. 280; JAEGER Charles, op.

cit. note (106), vol. III, p. 24.

(218

> A moins que l'on ne se trouve dans une des situations exceptionnelles de l'article 725 al. 4, 2'm' et

3'm' phrases CO.

ter, d'autant plus lorsque, comme en l'espèce, elle intervient a posteriori <219l.Ici aussi nous pensons cependant que le juge pourra judicieusement tenir compte de cette difficulté en faisant bon usage de la liberté d'appréciation que lui confère l'article 289 LP <220l.

On rappellera à cet égard qu'il existe aujourd'hui des moyens d'analyse financière qui permettent de prédire objectivement et assez précisément la surve-nance de la faillite. Aux Etats-Unis ont en effet été élaborées des méthodes de calcul extrêmement sophistiquées qui permettent- selon les constatations faites par leurs auteurs- de prédire la faillite dans environ 95% des cas un an avant qu'elle ne survienne effectivement <221). Ces calculs sont basés sur les données à disposition à l'époque envisagée et donnent donc les mêmes résultats ex ante (comme moyen de prédiction de la faillite) qu'ex post (comme moyen de savoir si la faillite était pré-visible). Certes ces méthodes sont-elles destinées à prédire la faillite et non pas à établir le surendettement. Mais, six mois avant qu'elle n'intervienne, la faillite certaine et prévisible doit, à n'en pas douter, influencer les évaluations figurant au bilan (estimation des actifs, amortissements, provisions, etc.) et donc l'état d' endet-tement effectif du débiteur <222l. Nous suggérons en conséquence que le demandeur à l'action révocatoire et le juge s'aident en 1' occurrence de ces nouveaux moyens d'analyse <223l pour déterminer si, au moment de 1' acte révocable, le débiteur était ou non surendetté.

c. Les conditions spécifiques alternatives

L'article 287 LP énonce trois conditions spécifiques alternatives. A la différence de l'article 286 LP, qui regardait l'équilibre du contrat, les actes visés par l'article 287 LP concernent l'exécution d'obligations préexistantes <224l. Nous ne passerons pas en revue le détail de ces actes: constitution d'un gage (287 al.l ch.l0 LP),

l219> Voir à ce sujet la jurisprudence relative à l'action en responsabilité des organes auxquels l'on reproche den' avoir pas déposé le bilan en conformité avec l'article 725 al. 3 CO. Cette remarque suggère d'ailleurs qu'il existe un lien entre l'aTI:icle 287 LP et l'action en responsabilité des organes basée sur l'article 725 al. 3 CO.

l220> Pour la liberté d'appréciation conférée au juge par l'article 289 LP, voir supra, pp. 77ss.

tm> Voir notamment: ALTMAN Edward, Financial Ratios, Discriminant Analysis and the Prediction of Corporate Bankruptcy, 23 J. Fin. 589 (1968) ; ALTMAN, HADELMAN and NARA Y ANAN, ZETA Anal y sis: New Mode! to Identify Bankruptcy Risk of Corporations, 1 J. Banking & Fin. 29 (1977); voir aussi les références citées infra, note (333).

l222>Dans ce sens, mais dans la perspective du droit étasunien, voir BEN-DROR Yoav, An Empirical Study of Distribution Rules under Califomia Corporations Code § 500: Are Creditors Adequately Protected?, UC Davis Law Rev. 1983, vol. 16, pp. 375ss, en particulier 395 et sa note (86).

l223> Nous revenons plus en détail sur ces méthodes d'analyse financière à propos de l'article 288 LP (infra, pp. 126ss).

<224> Cela est vrai aussi pour l'article 287 al. 1 ch.l0 LP, la constitution d'un gage étant destinée à garantir l'exécution d'une obligation préexistante.

paiement en valeurs non usuelles (ch.2°) et paiement d'une dette non échue (ch.3°) car ils ne nous paraissent pas relever spécifiquement des groupes de sociétés.

Le fait que 1 'un de ces actes survienne entre membres d'un groupe n'est toutefois pas sans pertinence. La structure de groupe constitue en effet un terrain particuliè-rement propice à la commission des actes visés par l'article 287 LP. Ceux-ci s'y trouvent en effet facilités par la perméabilité des patrimoines caractéristique des sociétés de groupe <225> et plus sollicités car ils sont un moyen de promouvoir 1 'intérêt du groupe. Or, nous 1 'avons vu <226>, il est certain que lorsque la faillite d'un membre du groupe devient inéluctable, son intérêt propre devient opposé à celui du groupe dans son ensemble <227>. Dès ce moment, en effet, la direction unique sera naturelle-ment tentée de faire usage de sa faculté d'obtenir l'exécution, en faveur des autres membres du groupe, des actes visés par l'article 287 LP. Elle cherchera ainsi à obtenir le paiement de toutes les dettes du débiteur à 1 'égard des autres membres du groupe, même si celles-ci ne sont pas échues. Si ce paiement n'est pas possible, elle cherchera à faire en sorte que toutes les dettes internes du débiteur soient garanties.

Ce faisant, elle ne se heurtera à aucune résistance. D'une part en effet, les créanciers externes n'ont pas voix au chapitre avant la faillite. D'autre part, les organes sociaux du débiteur- qui, dans l'idéal du législateur, devraient s'opposer à tout acte qui n'est pas conforme à 1 'intérêt propre du débiteur considéré (et donc à 1 'intérêt de ses créanciers)- obéissent aux ordres de la direction unique.

Les conditions spécifiques de l'article 287 LP sont alternatives. Etant admis que le débiteur est surendetté et que l'action n'est pas périmée, la démonstration de la réalisation de l'une seule d'entre elles suffit à entraîner le succès de l'action. Le demandeur n'a pas à prouver que 1 'acte attaqué lui a été préjudiciable, ni à établir un lien de causalité entre cet acte et l'insolvabilité du failli <228>. Ce dommage et ce lien de causalité sontirréfragablement présumés par la loi. Il n'estpas non plus nécessaire d'établir que l'acte a été dicté par une direction unique souvent évanescente.

Le demandeur est ainsi soulagé d'une partie du fardeau de la preuve qui lui incombe dans le cadre de l'article 286 LP <229>. Cet état de chose évite notamment de devoir entrer en matière sur le problème extrêmement délicat de ce que nous avons appelé la «compensation indirecte» <230>. Rappelons encore une fois qu'ils' agit de la question de savoir si le dommage immédiat subi par la victime de l'acte révocable est ou non compensé par les éventuels avantages que celle-ci retire d'autres

1225l Voir supra, pp. 5lss et 54ss.

1226l Voir supra, p. 17 et, pour une analyse des trois intérêts en présence, pp. 23ss.

1227l Voir supra, p. 14.

i228

l JAEGER Charles, op. cit. note (106), vol. III, p. 24.

1229l Voir supra, pp. 84ss.

1230J Voir à ce propos, pour une défmition, p. 54 et p. 92 en relation avec l'ruticle 286 LP.

opérations internes au groupe, voire même de sa seule appartenance à ce dernier.

Cela dit, il faut bien admettre qu'à l'orée de la faillite et s'agissant des actes visés par l'article 287 LP, une telle démonstration paraîtrait assez peu réaliste.

§ 3. Une condition subjective?

On peut voir une sorte de condition subjective dans la preuve libératoire qu'offre au défendeur 1' article 287 a 1.2 LP. Cet alinéa, très analogue à ce qu'est 1' art. 291 al.

3 LP par rapport à l'art. 286 LP, permet au bénéficiaire de l'acte révocable de faire obstacle à l'action en démontrant qu'il ignorait la situation du débiteur. Cette preuve libératoire présente un double intérêt dans le cadre des groupes de sociétés. En premier lieu, le fardeau de la preuve de cette exception incombe au défendeur. Pour établir sa bonne foi ce dernierpouna ainsi être contraint à dévoiler un certain nombre de faits auxquels le demandeur n'a pas accès. Il devra par exemple révéler l'identité de ses actionnaires, l'organigramme du groupe, le jeu des participations internes, etc. Cette situation procédurale ne préjudicie en rien le bien-fondé de 1 'exception en tant que telle, mais rend tout simplement le procès plus équitable.

Secondement, s'agissant de la preuve d'un fait négatif (l'ignorance), le juge jouit d'une latitude d'appréciation qu'il pounait ici aussi judicieusement exercer <231l.

Selon le caractère plus ou moins insolite del' acte révocable, selon l'attitude plus ou moins loyale et coopérative du défendeur au procès, selon la structure décisionnelle plus ou moins centralisée du groupe en question, l' «exception d'ignorance» devra être écartée et l'action- pour le reste objective- déclarée bien fondée.

§ 4. Conclusion

Par ses conditions d'application presque casuistiques, l'article 287 LP apparaît d'une portée relativement limitée. Mais on ne peut ignorer que les groupes de sociétés favorisent la survenance des actes que cette disposition énumère, par l'unité décisionnelle qui les caractérise et parce qu'ils sont un moyen d'assurer la préva-lence de l'intérêt du groupe, en particulier à la veille de la faillite du débiteur.

L'article 287 LP acquiert dès lors une importance moins négligeable, surtout si l'une de ses principales entraves, son délai de péremption, devait être prolongé par notre législateur <232l.

<231> Voir dans ce sens FAVRE Antoine, op. cit. note (125), p. 377. Cette latitude d'appréciation rejoint

celle que lui confère J'article 289 LP dont il a déjà été question à plusieurs reprises, voir en particulier supra, pp. 77ss.

<'32> Les auteurs de 1 'avant-projet de révision de la LP ont en effet prévu de prolonger substantiellement

ce délai. Voir à ce propos infra, pp. 264ss, les articles 286 al. 1 et 287 de l'avant-projet de la commission d'experts chargée de réexaminer globalement la LP, adressé au Département fédéral de justice et police en décembre 1981.