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Le secteur problématique ou « problématisateur » de la philosophie de la libération a été principalement préoccupé par la dimension épistémologique de la philosophie et la remise en question radicale du discours lui-même. Les principaux penseurs qui ont développé cette philosophie sont Horacio Cerutti, José Severino Croatto et Manuel Ignacio Santos. Ce groupe de philosophes de la libération est également connu comme le « groupe de Salta » (« grupo

salteño ») car ils se réunirent dans la ville de Salta en 1975 de manière indépendante aux

autres secteurs de la philosophie de la libération vis-à-vis desquels le groupe de Salta se sentait discriminé. La réunion fut l’occasion d’exposer les particularités propres de ce groupe ainsi que leurs divergences avec les autres secteurs de la philosophie de la libération. Le Document de

Salta7est le résultat de cette réunion.

La préoccupation principale du secteur problématique de la philosophie de la libération est d’analyser épistémologiquement la philosophie elle-même. L’analyse des conditions de production d’un discours scientifique est devenue centrale pour les membres de ce secteur de la philosophie de la libération. En d’autres termes, il s’agissait pour ce secteur « de savoir dans quelle mesure la constitution d’une philosophie libérée et de libération était possible et tolérable, ainsi que la manière dont on devrait l’élaborer [« l’architecturer »] ou si au contraire elle était déjà structurée8 ».

L’influence des théoriciens du soupçon et plus spécialement, du structuralisme de Louis

7. CERUTTI, op. cit., pp. 301-310. 8. Ibid., p. 203.

Althusser caractérise de manière singulière ce secteur préoccupé principalement de l’analyse épistémologique de la philosophie. L’influence du structuralisme althussérien est décisive car elle marque la distinction définitive entre le secteur problématique et les courants populiste et populaire plus fortement préoccupés par les dimensions ontologique, métaphysique et éthique de la philosophie.

Le secteur problématique considère également la praxis historico-politique comme l’objet réel de considération à partir duquel le philosophe doit élaborer la réflexion philosophique. Il s’agit donc de « casser la dichotomie classique entre théorie et pratique, en insérant la théorie comme un moment dialectique de la praxis totale humaine9 ». À partir de cette mise en relief de la praxis par rapport à la théorie, le groupe problématique de la philosophie de la libération préfère parler de « philosophie pour la libération » que de « philosophie de la libération ». En ce qui concerne le sujet de la philosophie, le secteur problématique se distingue des courants populiste ou populaire de la philosophie de la libération et critique la notion de peuple en faveur de celle de « classe prolétaire ».

Comme le groupe précédent, le secteur problématique recouvre de validité la tradition de pensée latino-américaine. Cependant, si les auteurs du secteur historique se sont fondamentale- ment penchés sur l’analyse de la relation entre la philosophie de la libération et la tradition de pensée latino-américaine précédente, les membres du secteur problématique ont mit l’accent sur le présent : ce qui est décisif pour ce secteur est la problématique actuelle de l’Amérique latine autour de laquelle pivote toute la tradition. Par ailleurs, les penseurs du secteur problématique de la philosophie de la libération considèrent que la tradition philosophique mondiale doit en Amérique latine être appliquée en fonction de ses propres problématiques.

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L’influence de Xavier Zubiri dans la philosophie latino-

américaine et la philosophie de la libération d’Ignacio El-

lacuria

La philosophie de Xavier Zubiri a influencé différents penseurs latino-américains de la libération, surtout en ce qui concerne ses affirmations sur le primat de la réalité sur l’être, la

9. Manuel Ignacio SANTOS. « Anteproyecto de plan de estudios filosóficos de la Universidad Nacional de Salta (UNAS) ». Dans : Revista de Filosofía Latinoamericana t. 1, n1 (1975), p. 130.

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« substantivité » de la réalité et le dépassement du dualisme âme-corps à travers sa proposition d’une intelligence sentante10. Nous y reviendrons. Dussel a entre autres exprimé son estime pour cet auteur à différentes reprises, au passage mais aussi dans des articles spécifiques, et tou- jours de manière manifeste. Se lamentant que la pensée zubirienne passe inaperçue en Amérique latine, Dussel écrivit déjà en 1973 qu’il était « nécessaire de prendre en charge la métaphysique de ce grand penseur contemporain11 ». L’intérêt de Dussel pour cet auteur vint premièrement de sa défense d’une éthique matérielle ou de la réalité au sens fort12. Cependant, si bien nous

trouvons des influences de la pensée zubirienne dans certains philosophes latino-américains et particulièrement chez Dussel, ce fut le théologien et philosophe Ignacio Ellacuría qui as- suma de manière spécifique la pensée de Zubiri, l’utilisant comme base principale sur laquelle développer son propre projet de philosophie de la libération face à la réalité de l’Amérique latine13. Cette influence de la pensée zubirienne situa les travaux d’Ignacio Ellacuría dans une

place particulière dans le contexte de la théologie et de la philosophie latino-américaines de la libération14.

Ellacuría posa la question des caractéristiques d’une théologie latino-américaine et donc, selon lui, nécessairement de la libération. Cette question se posa également comme nous l’avons vu dans le domaine de la philosophie. Cependant, les travaux philosophiques d’Ellacuría res- tèrent longtemps méconnus car à la différence de sa production théologique, la plupart de sa production strictement philosophique resta inédite jusqu’à la publication posthume de sa

Philosophie de la réalité historique en 199015. Le lien et l’unité de sa réflexion théologique et

philosophique furent à partir de ce moment manifestes. Dans cet ouvrage écrit en 1976 Ellacuría

10. Germán MARQUÍNEZARGOTE. « Zubiri visto desde Latinoamérica. Aportes a la filosofía de la liberación ». Dans : Estudios Centroamericanos (ECA) vol.345 (1977).

11. Enrique DUSSEL. Método para una filosofía de la liberación : superación analéctica de la dialéctica

hegeliana. Salamanca : Sígueme, 1974, p. 168, n. 241.

12. Enrique DUSSEL. Ética de la liberación : en la edad de la globalización y de la exclusión. Madrid : Trotta, 1998, p. 127.

13. Cf. Héctor SAMOUR. « La propuesta filosófica de Ignacio Ellacuría ». Dans : Estudios Centroamericanos

(ECA) n697-698 (2006) ; Héctor SAMOUR. « Zubiri y la filosofía de la liberación ». Dans : Realidad n87 (2002).

Publicado también en : Anthropos, n201 (2003), pp. 190-202 y en : J. A. Nicolás, O. Barroso (ed.), Balance y

perspectivas de la filosofía de X. Zubiri, Granada, Comares, 2004, pp. 599-622. ; Héctor SAMOUR. « Filosofía y liberación ». Dans : Estudios Centroamericanos (ECA) n637-638 (2001)

14. Carlos BEORLEGUI. « La filosofía de Ignacio Ellacuría en el contexto filosófico latinoamericanos ». Dans :

Ignacio Ellacuría 20 anos después. Actas del Congreso Internacional. Sevilla : Instituto Andaluz de Administración

Pública, 2010.

assuma les thèses épistémologiques, anthropologiques et métaphysiques de la philosophie de Zubiri, à partir desquels il fonda sa proposition d’une philosophie de la réalité historique qui située dans le contexte de l’Amérique latine devait selon lui être une philosophie à intention libératrice. En ce sens, la pensée d’Ellacuría fut une réponse engagée aux problèmes de la réalité historique latino-américaine. Il partage ainsi avec les philosophies de la libération précédem- ment présentées une compréhension politique de la philosophie selon laquelle la philosophie a une responsabilité dans la transformation de la réalité et du monde, c’est-à-dire une compréhen- sion de la philosophie comme philosophie libératrice ou de la libération (de l’Amérique latine et de l’humanité dans son ensemble). Or si les travaux philosophiques d’Ellacuría eurent toujours comme objectif de se constituer comme une authentique philosophie de la libération, l’auteur n’entra à peine en contact direct avec les groupes impliqués dans la naissance et postérieure projection sociale de la philosophie de la libération, gardant de ce fait une originalité qui permet de le situer dans une place spécifique dans l’ensemble de la philosophie de la libération16. Il s’agit en effet d’un projet intellectuel propre dans lequel Ellacuría, à la différence des autres courants de la philosophie de la libération, interprète la pensée de Zubiri pour la mettre au service des besoins concrets des peuples latino-américains et du Tiers-Monde en général17.

L’accomplissement principal de Zubiri fut la création d’un système métaphysique entier à partir de sa compréhension de l’homme comme « intelligence sentante » situé en réalité. Zubiri critique la notion classique de la réalité en tant qu’autonome et indépendante de son contexte. À la notion de substance comme ce qui est en soi, une réalité permanente qui sert de support aux attributs changeants, il oppose le concept de « substantivité » : pour Zubiri, ce qui change ce ne sont pas seulement les attributs de la chose, c’est-à-dire les accidents, mais aussi la chose elle-même, c’est-à-dire ses notes ou éléments essentiels18. L’enjeu de l’approche zubirienne de la réalité est donc l’aspect dynamique de son structure : rien n’est absolument permanent puisque le changement peut intervenir aussi dans les éléments essentiels, que Zubiri appelle « constitutifs », de la réalité. La réalité, comme essence, est une structure constitutive, mais dont les moments et les ingrédients constitutifs sont actifs et dynamiques par

16. BEORLEGUI, op. cit., p. 100.

17. Ignacio ELLACURÍA. Introducción crítica a la antropología de Zubiri. Madrid : Realitas II. Sociedad de Estudios y Publicaciones, 1976, p. 52.

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eux-mêmes. De ce fait, la réalité n’est pas seulement ce qu’elle est actuellement. Les choses deviennent, la réalité devient19. Par ailleurs, le métaphysique n’est pas au-delà du physique comme une véritable vérité idéale face à l’apparence empirique. Au contraire, le métaphysique est le physique considéré comme réel mais sans pour autant impliquer une transcendentalité

a priori et close mais ouverte et dynamique. Zubiri propose également une nouvelle idée de

l’intelligence. Tant la philosophie grecque que la philosophie médiévale ont compris intelliger et sentir comme les actes de facultés essentiellement distinctes. À cette opposition entre penser et sentir, qui suit finalement l’opposition entre l’esprit et le corps, Zubiri oppose l’idée d’une intelligence fondamentalement « sentante »20 selon laquelle l’intelligence n’est pas séparable des sens. Dans la vision zubirienne, le sentir humain et l’intellection ne s’opposent pas, ils ne sont pas non plus deux actes numériquement distincts, chacun complet dans son ordre. L’auteur s’oppose ainsi à la thèse selon laquelle l’intelliger vient après le sentir. Au contraire, pour Zubiri le sentir et l’intelliger se constituent dans leur intrinsèque et formelle unité dans un seul et unique acte d’appréhension de la réalité ; « ils constituent deux moment d’un seul acte d’appréhension sentante du réel, l’intelligence sentante21». En ce sens, l’objet du savoir n’est pas l’objectivité

ni l’être, l’objet du savoir est la réalité.

Ellacuría découvre dans la philosophie zubirienne les bases pour développer sa propre réflexion philosophique et fonder l’intrinsèque caractère matériel, praxique et historique de l’intelligence et de la connaissance humaines. Ainsi, dans les méthodes théologique et philo- sophique que propose Ellacuría, le caractère sensoriel et biologique de l’intelligence implique l’affirmation de l’unité constitutive de l’intelligence et de la praxis : la théorie n’est pas opposée à la praxis ; elle est un de ses moments. À partir de l’intelligence sentante zubirienne, Ellacuría se situe contre le dualisme traditionnel entre l’âme et le corps, ce que l’amène à fonctionnaliser la connaissance. L’activité cognitive, qui est au service de la vie humaine, est activée par la réalité même, appréhendée de manière sentante. D’où Ellacuría conclut le besoin de prendre en charge la réalité. L’activité cognitive, même la plus abstraite et universelle, est donc toujours élaborée à partir de la praxis historique et donc conditionnée par le contexte historique dans lequel elle se situe. Il y a donc une priorité du réel sur le sens théorique, de l’action sur la

19. Ibid., p. 13.

20. Xavier ZUBIRI. L’intelligence sentante. Paris : L’Harmattan, 2005. 21. Ibid., p. 12.

contemplation.

À partir de la pensée zubirienne, Ellacuría considère la réalité historique comme une totalité de caractère ouvert qualifiée par ses éléments ou moments constitutifs, c’est-à-dire une totalité complexe et plurielle. Contre les conceptions téléologiques et fixées de l’histoire, Ellacuría insiste sur le caractère ouvert de la réalité historique : l’histoire humaine n’est qu’une création successive de nouvelles possibilités, et l’obturation ou la marginalisation d’autres. En ce sens, l’histoire ne se prédit pas, elle se produit et se créé sur la base d’un système de possibilités donné. La réalité historique peut donc être principe d’humanisation mais elle peut aussi être principe d’oppression et d’aliénation. Dans une perspective globale et à partir des peuples opprimés et des majorités populaires, Ellacuría constate la réalité historique du mal dans l’ordre mondial actuel car :

Si le comportement voire l’idéal de certains ne peut pas devenir le comportement et la réalité de la plupart de l’humanité, alors l’on ne peut pas dire que ce comportement et cet idéal soient moraux, ni même humains : encore moins si la jouissance de quelques uns se fait aux dépens de la privation de la plupart. Dans notre monde, l’idéal pratique de la civilisation occidentale n’est pas universalisable matériellement, étant donné qu’il n’y a pas de ressources naturelles sur la terre pour que tous les pays atteignent le même niveau de production et de consommation, dont les pays dits riches ont aujourd’hui l’usufruit22.

Dans la conception d’Ellacuría le mal ne s’intègre pas dans une explication rationnelle téléo- logique ; son dépassement dépend alors d’un changement du système de possibilités à travers la mise en marche d’une praxis historique de libération qui tienne compte des possibilités réelles. Il s’agit donc de retourner le signe principal qui configure la civilisation mondiale, de construire une nouvelle totalité historique sans pour autant rejeter totalement le passé. Cette nouvelle société mondiale est pour Ellacuría l’affirmation utopique d’une « civilisation de la pauvreté », c’est-à-dire d’une civilisation capable de garantir de manière stable les besoins basics et la richesse culturelle de l’humanité. Dans ce contexte, la philosophie a un rôle primordial, avec d’autres disciplines, pour fomenter et susciter une conscience collective qui permette la trans- formation et la création de nouveaux modèles économiques, politiques et culturels plus justes. La philosophie comme savoir théorique possède une certaine autonomie et indépendance vis-à- vis de la praxis sociale. Cependant, si elle veut déplier toutes ses possibilités et son originalité,

22. Ignacio ELLACURÍA. « Utopía y profetismo desde América Latina : un ensayo concreto de soteriología histórica ». Dans : Revista Latinoamericana de Teología n17 (1989), pp. 152-153.

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elle doit se comprendre comme un moment de la praxis historique globale qui la conditionne et lui donne un sens. Dans un contexte historique d’oppression et de déshumanisation, le potentiel de la philosophie ne se réalisera pleinement que si elle se situe explicitement à faveur d’une praxis libératrice23. Cette praxis historique de libération peut acquérir des formes diverses

selon le moment du processus historique et la nature de l’oppression prédominante dans chaque région, peuple ou dans l’humanité au niveau global. Les processus oppressifs ne sont donc pas nécessairement de caractère socio-économique ou politique, ils peuvent également avoir un caractère ethnique, religieux, écologique, technologique, de genre, etc. La fonction libératrice de la philosophie est donc toujours, selon Ellacuría, concrète à chaque moment et à chaque situation de sorte qu’il ne peut pas avoir une seule philosophie de la libération abstraite et a-historique. L’activité cognitive a par conséquent une inévitable dimension sociale : Ellacuría pose ainsi à partir de la pensée zubirienne le besoin de l’apport de la philosophie pour le développement d’une conscience pour la transformation historique et sociale et au service de la vie humaine.

23. Ignacio ELLACURÍA. « Función liberadora de la filosofía ». Dans : Estudios Centroamericanos (ECA) n◦435-436 (1985), p. 46.

Deuxième partie

Enrique Dussel et l’éthique de la

libération : dialogues

Chapitre 5

Enrique Dussel et l’éthique de la libération

Nous étudions l’universalisme des énoncés que certaines traditions de pensée considérées comme périphériques – en philosophie mais aussi d’un point de vue plus large, en sciences humaines et sociales – formulent actuellement dans un esprit de dialogue sud-sud et sud-nord. Concrètement, nous étudions l’affirmation d’un universalisme plus authentique, concret et pluri- versel. En ce sens, l’intérêt que nous portons aux philosophies latino-américaines trouve son ori- gine dans les contributions de ces courants philosophiques au « projet mondial analogique d’un

plurivers transmoderne (qui n’est pas simplement "universel" ni "postmoderne")1 ». Comme

le souligne Capucine Boidin dans l’introduction conjointe au numéro 62 des Cahiers des Amé-

riques latines sur la Philosophie latino-américaine de la libération et le tournant décolonial :

Certes, l’articulation de cette « communauté d’argumentation » en tant que latino-américaine tient, en partie, à ses interactions avec le système universitaire nord-américain qui crée une place spécifique aux intellectuels « représentant » leur communauté. Cependant, reprendre l’étiquette latino-américaine [. . . ] n’est pas ici répondre à « l’idée fallacieuse que la voix des natifs serait plus autorisée, porteuse d’on ne sait trop quelle vérité intrinsèque au titre de l’autochtonie ou de l’indigénisme2 ». [Il] rend plutôt compte d’une volonté ancienne, de la part des chercheurs latino-américains et caribéens en sciences humaines et sociales de réfléchir selon une généalogie de pensée sui generis sur la réalité économique, sociale et politique du continent comme du monde. Volonté qui s’affirme d’abord dans un dialogue avec plusieurs pays d’Europe (Espagne, France, Allemagne en particulier) et entre plusieurs pays du sud du continent américain3.

1. Enrique DUSSEL. « Pour un dialogue mondial entre traditions philosophiques ». Dans : Cahiers des

Amériques latines n62 (2009/3), p. 125.

2. Jackie ASSAYAGet Véronique BÉNÉÏ, « À demeure en diaspora », L’Homme, 156 | octobre-décembre 2000, [En ligne], mis en ligne le 18 mai 2007. URL : http ://lhomme.revues.org/index152.html.

3. Capucine BOIDINet Fátima HURTADOLÓPEZ. « La philosophie de la libération et le courant décolonial ». Dans : Cahiers des Amériques latines n62 (2009/3), p. 18.

Ce projet se consolide en particulier dans les années 1960 avec la philosophie de la libéra- tion, entre autres. Dans ce travail, nous nous centrons sur la proposition philosophique d’Enrique Dussel, un des fondateurs de la philosophie de la libération en Amérique latine, car cet auteur a d’une manière particulière, développé sa pensée dans un objectif d’élargir l’universalisme vers la pluriversalité.

Depuis les années 1965, les travaux d’Enrique Dussel ont été écrits avec entre autres, l’in- tention de situer l’Amérique ibérique et relativiser la centralité de l’Europe dans l’Histoire Universelle4. Mais relativiser n’est pas nier les apports de la culture occidentale. Il s’agit au

contraire, de les situer dans un contexte plus large, celui de l’Histoire Universelle.

« Démythifier » en histoire est détruire les particularismes qui empêchent la compréhension authentique d’un phénomène qui ne peut être et ne doit être compris qu’en prenant en considération les horizons qui le limitent à savoir, l’Histoire Universelle. [...] Séparées de leur passé et non mises en relation avec les autres communautés de l’Histoire Universelle, les « histoires » que les étudiants reçoivent souvent en cours semblent plutôt être un recueil d’anecdotes qu’une « Histoire » avec du sens. [...] Autrement dit, expliquer l’histoire d’un peuple est impossible sans une Histoire Universelle qui montre son contexte, ses propor- tions, son sens [...]. Cette ouverture permanente empêche la « mystification »5.

Dans le projet de Dussel, relativiser la centralité de l’Europe et situer l’Amérique dans l’Histoire Universelle n’implique pas un retour culturaliste ou traditionnaliste. Autrement dit, « provincialiser » la philosophie européo-occidentale ne signifie pas nier la valeur universelle de ses questionnements et de ses réponses. En ce sens, la proposition de Dussel n’est pas un renoncement ou une négation totale de la modernité ni des savoirs occidentaux. Elle n’est pas non plus un retour culturaliste aux accents fondamentalistes. Il s’agit au contraire, d’un pari pour