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Dans le secteur MCO, l’inégalité des contraintes externes pesant sur les praticiens

1. L ES FUSIONS S ’ INSCRIVENT DANS UN PROCESSUS CONTINU DE RESTRUCTURATION QUI PERMET

1.2. Dans le secteur MCO, l’inégalité des contraintes externes pesant sur les praticiens

restructuration des services de court séjour

[52] Si les personnels de direction, plus ou moins incités par la tutelle, sont souvent moteurs dans les projets de rapprochements inter-hospitaliers, pour les personnels soignants et notamment pour les médecins, le regroupement et la fusion des hôpitaux ou des services ne sont pas des démarches naturelles. Quand un problème de mésentente ou de succession se produit, la tendance est plutôt à la division des services, car la mobilité est faible. Le partage du pouvoir entre administration et praticiens pousse ces derniers à adopter des comportements de repli. Il faut donc que les contraintes soient fortes pour les inciter à adopter une démarche contraire.

1.2.1. Les déficits de la démographie médicale jouent fortement sur certaines disciplines et dans certaines régions

[53] A l’exception de la stomatologie (spécialité chirurgicale en voie de disparition), tous les effectifs de spécialistes ont augmenté sans discontinuer jusqu’à maintenant, le coefficient multiplicateur se situant au moins au-dessus de 2 en 25 ans. Mais la croissance relative a été différente d’une spécialité à l’autre et leur proportion finale a changé.

Tableau 4 : Evolution des effectifs de certaines spécialités

1985 1990 1995 2000 2005 2011 Total chirurgiens * 4050 5000 5800 7050 8550 9720

Chirurgiens orthopédistes 2620

Chirurgiens généralistes 3694

Gynécologues obstétriciens 2240 3800 4400 4800 4900 5537 Anesthésistes réanimateurs 4200 7000 7850 8400 9500 10313

Cardiologues 2500 3900 4600 5100 5700 6281

Neurologues 240 650 1050 1300 1650 2016

Gastro-entérologues 1250 2050 2500 2850 3150 3412

Source : DREES12 En italique : certaines spécialités médicales

[54] Certaines spécialités médicales cliniques ont ainsi augmenté plus vite que la moyenne, comme l’endocrinologie, la néphrologie, la neurologie ou le radiodiagnostic ; certaines ont augmenté plus lentement, et parmi elles l’anesthésie, la dermatologie, la pédiatrie (surtout en exercice libéral), la rhumatologie et la gynécologie médicale. Enfin d’autres ont suivi la courbe de croissance moyenne, comme la cardiologie, la gastro-entérologie et la pneumologie (annexe 8).

[55] S’agissant de la démographie des chirurgiens, les effectifs globaux ont fortement augmenté ces 25 dernières années, dépassant largement la moyenne des spécialités. Toutefois la gynécologie-obstétrique, l’ophtalmologie et l’ORL ont connu une baisse relative notable et la stomatologie est la seule spécialité dont le nombre absolu se soit effondré (annexe 7).

12 D. Sicart, Les médecins au 1er janvier 2011, DREES Documents de travail, n° 156 mai 2011, partie 2, détail par spécialités.

Tableau 5 : Effectifs de certains chirurgiens hospitaliers ou non hospitaliers en 2011

Hopital Public Total

Chirurgie générale 2042 3694

Chirurgie orthopédique et traumatologique 846 2620

Ophtalmologie 668 5656

Stomatologie 138 1228

ORL 657 2919

Total des effectifs chirurgicaux (comprenant gynéco-obst., stomato, Orl et ophtalmo)

7982 25494 Source : DREES13effectifs des médecins par spécialité et secteur d’activité

[56] Aujourd’hui, les jeunes médecins ont une préférence pour l’exercice salarié et collectif (hôpital public mais aussi clinique privée) et se dirigent moins vers l’exercice libéral en cabinet (annexe 8). Les effectifs d’internes en obstétrique sont en nette augmentation depuis la création au concours de l’internat 1999 d’une filière spécifique. La démographie des sages-femmes augmente de 3% par an depuis 1990 (annexe 6). Les projections de la DREES montrent qu’entre 2006 et 2030 les effectifs de chirurgie devraient augmenter globalement de 40 %, mais ceux d’ophtalmologie diminuer de -36 % et ceux d’ORL de - 19 %, ce qui ne correspond pas, pour ces deux domaines, à l’évolution des besoins prévisibles.

[57] C’est donc la répartition des spécialistes qui devrait poser problème, plus que leur nombre global. En effet les jeunes internes ne se dirigent pas nécessairement vers la spécialité ou la région qui en a le plus besoin. Certaines régions dans leur ensemble (Picardie, Champagne-Ardenne, Centre…) ou certains départements au sein de régions bien fournies (Ardèche, Lot, Seine et Marne), peinent à assurer la relève minimale. Pour autant, l’effet de recomposition n’est pas toujours en cohérence avec ces constats : les fermetures et les fusions ne se produisent pas mécaniquement là où les effectifs périclitent (voir par exemple les régions Picardie ou Champagne-Ardenne, cf. annexe 10).

1.2.2. La permanence des soins pèse sur une fraction seulement des praticiens des établissements de santé

[58] Les gardes et les astreintes opérationnelles réellement actives (i.e pendant lesquelles le travail est important) touchent avant tout les obstétriciens dans leur ensemble (public, privé, ESPIC) et les chirurgiens viscéraux et orthopédiques des établissements publics ou PSPH. Ce poids peut devenir difficile à supporter lorsque les gardes reviennent trop souvent et/ou sont trop chargées et pousser ainsi les professionnels à se regrouper pour mutualiser les charges.

[59] A l’inverse de leurs collègues chirurgiens ou obstétriciens, et mis à part la question des anesthésistes, les médecins hospitaliers spécialistes supportent peu de gardes ou d’astreintes opérationnelles14, car ce sont les urgentistes pour les urgences externes et les réanimateurs pour les malades les plus sévères en interne, qui assurent le plus lourd de la permanence des soins. Ces dernières disciplines sont organisées sous forme d’emplois postés fonctionnant 24 h sur 24, par équipes.

13 D. Sicart, « Les médecins au 1ier janvier 2011 », DREES Document de travail n° 156 mai 2011, p 21 ; les ophtalmologistes et ORL ayant souvent des exercices mixtes (cabinet et clinique) n’ont pas été classés.

14 Et quand ils en ont celles-ci sont peu chargées et/ou réparties sur un grand nombre de têtes.

[60] Jusqu’en 2004, la médecine d’urgence n’était pas reconnue en tant que spécialité. Les urgentistes provenaient d’horizons divers et occupaient souvent des emplois précaires médecin faisant fonction d’interne (FFI, contractuels, praticien associé contractuel PAC…). Depuis 2004, l’instauration d’un diplôme d’étude spécialisé complémentaire (DESC) de deux ans permet progressivement d’homogénéiser leur niveau. Par ailleurs, des maisons médicales de garde fonctionnant avec les médecins libéraux se sont ouvertes aux portes d’un certain nombre d’établissements, et avec leur concours, pour accueillir les malades les moins sévères. Quant aux services de réanimation qui se chargent des malades les plus sévères, ils étaient conduits soit par des réanimateurs médicaux (cardiologues d’unité de soins intensifs cardiologiques (USIC), pneumologues, spécialistes des accidents vasculaires cérébrales (AVC) et depuis 2002, spécialité à part entière), soit par des anesthésistes réanimateurs qui fournissent les plus gros bataillons (9930 en 2011). La pression en garde sur les autres médecins hospitaliers n’est donc pas de même nature que celle que subissent les anesthésistes, les obstétriciens et certains chirurgiens.

[61] S’agissant de ces derniers, la spécialisation de plus en plus poussée – la France reconnaît un nombre plus élevé de spécialités (46) que ses voisins – contribue à multiplier le nombre d’équipes et ne facilite pas la mutualisation des gardes. Dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) notamment, il peut y avoir des gardes spécialisées en urologie, chirurgie infantile, neurochirurgie, chirurgie cardiaque, transplantation, chirurgie de la main, chirurgie vasculaire, etc. Les chirurgiens spécialisés ne veulent ni ne peuvent participer à une garde plus générale, ce qui renchérit la permanence des soins.

1.2.3. Le risque juridique est concentré sur certaines têtes

[62] Parmi les arguments qui contribuent à pousser aux restructurations, l’existence d’un défaut de la sécurité sanitaire est souvent évoquée. A l’occasion d’un accident, le directeur de l’ARH – le directeur de l’ARS depuis le 1er avril 2010 – peut proposer une fusion d’un établissement de faible taille avec un autre établissement et vouloir fermer le petit service mis en cause15. En obstétrique par exemple, cet argument a permis dès les années 70 la fermeture des petites maternités qui ne répondaient pas à des normes minimales d’effectifs.

[63] L’observatoire des risques médicaux (abrité par l’office national d’indemnisation des accidents médicaux ONIAM) a analysé en 2010 le bilan de 4 000 dossiers d’accidents médicaux survenus entre 2006 et 2009. Malgré la part minoritaire des chirurgiens parmi les docteurs en médecine, ce sont les dossiers de dommages chirurgicaux (2 418 dossiers soit 59 % des dossiers déposés) qui sont les plus nombreux16 (annexe 8).

Tableau 6 : Accidents médicaux déclarés en France en 2010 selon la discipline en cause Dossiers

d’accidents Montant moyen

(en K€) Nbre de praticiens (chiffres 2011 CNOM)

Anesthésie 260 159 9 956

Disciplines chirurgicales 2418 116 18 186 dont 4351 à l’hôpital public Disciplines med (sauf anesthésie) 502 142 179 932 dont 93 394 généralistes Obstétriciens (+ sages-femmes) 172 (+7) 97 (+ 1 79917) 1869 obst (+ 18000 sages-femmes)

Source : Observatoire des risques médicaux rapport 2010, CNOM atlas démographie 2011

[64] Si l’on ramène ces données aux effectifs de praticiens, on trouve 13,3 accidents médicaux déclarés par an pour 100 chirurgiens ; 9,2 accidents pour 100 obstétriciens ; 2,6 pour 100 anesthésistes et seulement 0,3 accidents médicaux déclarés pour 100 médecins.

15 Par exemple : rapport de contrôle sur le CH de L’Aigle IGAS 2011, rapport de contrôle sur la Réole IGAS 1996, etc.

16 Non compris ORL, ophtalmologie et stomatologie.

17 Le nombre d’accidents impliquant des sages-femmes est très faible (7 cas en 2010) mais ceux-ci ont été très coûteux.

[65] Le rapport annuel de la MACSF (mutuelle d’assurance qui couvre 338 523 professionnels de santé dont 118 485 médecins) permet d’avoir une analyse plus fine des risques de sinistres (sinistralité) par spécialité (annexe 8). La sinistralité moyenne est de 1,66 déclarations/100 praticiens/an. Les chirurgiens se situent au-dessus, avec une sinistralité de 10,9 déclarations/100 chirurgiens/an, suivis par les obstétriciens (8,4). Les spécialités médicales les plus exposées sont la gastro-entérologie (sinistralité 4,7), la cardiologie (2,2) du fait de leur activité interventionnelle (cathétérismes, endoscopies…) ainsi que la dermatologie (2,8) du fait de l’incidence esthétique des actes pratiqués. Dans les autres cas, la sinistralité est faible (entre 0,8 et 1,6).

[66] Les gynécologues-obstétriciens paient les cotisations d’assurances les plus élevées (20 à 30 000 euros/an). Selon la fédération française des sociétés d’assurance, le nombre de plaintes n’est pas en hausse, mais le montant des indemnités versées pour la naissance d’un enfant handicapé, pourrait dépasser 6 M€. Plusieurs tentatives ont été faites pour régler ce problème, la dernière en date remontant au vote du PLFSS 2012, les parlementaires ayant proposé le principe de création d’un fonds couvrant les accidents médicaux de plus de 8 M€18. Mais cette disposition a été rejetée pour des raisons budgétaires, au titre de l’article 40 de la Constitution.

[67] Plus qu’à un différentiel de sécurité sanitaire, cette inégalité tient au fait que les accidents en obstétrique et en chirurgie sont directement visibles du malade ou de sa famille alors que les disciplines médicales – si on met de côté l’anesthésie19, dont les accidents suivent le sort des accidents de chirurgie – comportent des effets négatifs ou des accidents beaucoup moins faciles à différencier des évolutions pathologiques « naturelles » ou des pathologies associées. Là encore, la crainte de l’accident pousse les professionnels vers de grandes structures mieux à même de les protéger.

1.2.4. La concurrence entre secteur public et privé est vive en chirurgie, où elle suscite de ce fait des stratégies défensives de la part des EPS [68] La concurrence entre le secteur public et parapublic d’un côté et le secteur privé commercial

d’un autre côté s’est exercée différemment :

- en obstétrique, elle a diminué, par recul du secteur privé : les exigences d’effectifs plus étoffés, les nouvelles normes d’équipements et de matériels, les nouveaux tarifs d’assurance ont renchéri fortement les coûts de fonctionnement des maternités ; le secteur privé commercial qui possédait il y a trente ans une majorité de maternités de petite taille (niveau 1) a désinvesti progressivement ce domaine, considérant qu’au-dessous de 1 200 à 1 400 accouchements, la rentabilité n’était plus assurée (annexe 6) ;

- en chirurgie, le secteur privé occupe une place majoritaire, mais le secteur public regagne des parts de marché : le secteur privé commercial assure 56 % des séjours en chirurgie (3,3 millions) avec une activité plus homogène que le secteur public, une durée de séjour moyenne plus courte mais pour une population globalement moins sévère ; la DREES a pu constater en 2011 que la chirurgie publique avait récupéré des parts de marché relatives par suite de la baisse du nombre de séjours en clinique privée (notamment dus aux appendicectomies, amygdalectomie et drains transtympaniques) ; le secteur privé reste largement majoritaire en chirurgie ambulatoire, où il continue à se développer malgré un rattrapage du secteur public ;

18 Pour empêcher la ruine du praticien, lors d’une condamnation par un tribunal ou lors d’une action récursoire de l’ONIAM en cas de faute avérée pour un sinistre dépassant le plafond de garantie de l’assureur.

19 L’accident d’anesthésie le plus fréquent est le bris de dent lors de l’intubation.

- en médecine, le secteur privé commercial progresse, mais reste minoritaire : le secteur public domine l’offre de soins médicale avec 82 % des lits et 70 % des places de médecine ; l’activité des cliniques privées se concentre sur des activités relativement techniques, notamment interventionnelles, en gastro-entérologie (endoscopies), néphrologie et cardiologie (cathétérismes, poses de stent, pace maker…) ; par ailleurs, elles s’intéressent de plus en plus à la cancérologie ; à l’inverse, les séjours en pneumologie, endocrinologie, hématologie et neurologie sont presque l’apanage du secteur public et/ou PSPH20 ; il y a donc peu de concurrence sur une majorité des activités médicales.

[69] Au total, depuis plus de trente ans, les contraintes ont été très fortes en obstétrique où les besoins de sécurité étaient imparables ; elles ont été plus ambivalentes en chirurgie, et quasiment inexistantes en médecine, à quelques exceptions près (cancérologie). On verra plus loin que ce phénomène n’est pas sans incidence sur l’importance des mouvements de restructuration, et notamment de fusions et de fermetures, dans chacun de ces secteurs d’activité.

2. LES FUSIONS HOSPITALIERES SONT PRESENTEES COMME DES