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Le secrétaire d'État aux Affaires étrangères: un instrument de crise internationale

Section II. – Une crise politique propice à l’avènement de la fonction de secrétaire d'État aux Affaires étrangères

Paragraphe 2. Le secrétaire d'État aux Affaires étrangères: un instrument de crise internationale

93. En succédant à Henri III le 2 août 1589, le dernier représentant de la famille des VALOIS doit encore reconquérir les parties de son royaume tombées entre les mains de la Ligue. N’étant plus le bienvenu dans la capitale depuis le départ précipité d’Henri III, le Roi de France est condamné à mener une diplomatie itinérante 166. Or, dans la France politiquement et religieusement divisée de la fin du XVIème siècle, « [l]a circulation des courriers [est] périlleuse et le pays désorganisé »167. Cependant, ce contexte de crise va servir une fois de plus la cause du Secrétaire d’État aux Affaires étrangères.

juin 1592 l’office de président en la Chambre des Comptes de Dauphiné. Entraînant la suppression de celle créée spécialement par Henri III en 1578, le Roi se réjouit à ce propos du « soulagement de nos subjects en ce qui

touche au nombre excessif de nos officiers, ayant mesmes esgards que le nombre de troys présidents qu’il y aura encore en ladite Chambre est plus que suffisant ». Cette précision peut paraître anodine, voire superfétatoire,

mais elle n’est pas sans préfigurer la portée rationnelle attachée à l’action centralisatrice du ministre des Affaires étrangères à l’époque actuelle (Voir infra, Partie II-Titre II-Chap. I-Sect. III).

165 DU PLESSIS (A.), Cardinal duc de RICHELIEU, Testament politique de Richelieu, Op. cit., p. 234. 166

La diplomatie régalienne itinérante, étroitement liée à l’activité de justice du monarque des Temps Modernes, prendra officiellement fin avec la création du Secrétariat d’État aux Affaires étrangères en 1626 (Voir infra, Partie I-Titre I-Chap. II-Sect. II).

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94. La connaissance acquise par Loys de REVOL des régions du Sud-Est à l’occasion des quelques missions effectuées pour le compte d’Henri III168 va inciter le nouveau souverain à s’attacher durablement les services du Dauphinois, non seulement par l’octroi de privilèges, mais surtout par l’attribution de missions de confiance169. Ainsi, de 1589 à 1594, Loys de REVOL l’accompagne dans ses campagnes et s’occupe principalement du suivi de ses correspondances diplomatiques avec les puissances étrangères, essentiellement protestantes170 – Angleterre, Genève, Provinces-Unies. Recueillant et compulsant méthodiquement, dans son manuscrit éponyme, les échanges épistolaires des agents diplomatiques employés à la résolution du conflit entre Catholiques et Protestants, Loys de REVOL va s’efforcer de passer progressivement du rôle d’interface auquel l’assigne irrémédiablement son office royal171, à celui de représentant politique de premier ordre sur le théâtre européen.

95. En effet, à la fin du XVIème siècle, la guerre civile a largement débordé le cadre national « [a]u point que l’élément français n’apparaît plus que comme l’un des aspects d’un conflit désormais largement européen »172. Aucune monarchie européenne n’est épargnée, chacune trouvant une raison de prendre fait et cause tantôt pour le Roi de France, tantôt pour

168 En 1584, il avait été notamment dépêché en Savoie et en 1586, il avait occupé le poste d’intendant d’armée en Provence.

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Cause plus que conséquence du lien d’allégeance qui unit le Roi au Secrétaire d’État, la confiance est un élément déterminant des aménagements à la tradition constitutionnelle – instrumentalisée à l’époque par les « Lois fondamentales du Royaume ». Ainsi, loin de s’analyser en un simple caprice royal, l’emploi alternatif des expressions « Secrétaire d’État aux Affaires étrangères » et « ministre des Affaire étrangères » durant la période des Temps modernes est révélateur du degré de confiance que portait alors le monarque à son vassal. En effet, si c’est au prédécesseur d’Henri III que l’on doit la création du titre de « Secrétaire d’État », le vocable « secrétaire » est employé en France depuis le XIII ème siècle pour désigner un « confident », et plus précisément « une personne dont la fonction est de rédiger des lettres pour le compte d’une autre personne » (in Miracles de

Notre-Dame, éd. G. Paris et U. Robert, XXIV, 1232 et in Girart de Roussillon, 42, ds T.-L.). Or, si le terme de

« ministre » semble le précéder au plan chronologique (on en trouve trace dans la terminologie religieuse dès le IVème siècle pour désigner « un serviteur de Dieu » [in BLAISE, Lat. chrét], selon des écrits remontant à la première moitié du XIIème siècle, il désignerait, dans son sens le plus abouti, « celui qui accomplit une tâche au service de quelqu’un » [in Psautier Oxford, éd. Fr. Michel, 103, p. 5]). Il ne revêt, donc, aucune connotation subjective. Ainsi, le titre de « Ministre d’État », apparaît-il dans les écrits de POMEY, en 1671, mais, il semble, que jusqu’à la veille de la Révolution, la pratique monarchique lui préfèrera le titre de « Secrétaire d’État ». La dépersonnalisation du pouvoir politique entreprise par les Révolutionnaires entraînera la caducité de l’expression de « secrétaire d'État aux Affaires étrangères » remplacée par celles de « ministre des Affaires étrangères » ou « ministre des Relations extérieures ».

170 Les relations diplomatiques avec les États catholiques et la France avaient été rompues à l’avènement d’Henri IV, à l’exception notable de Venise d’où est notamment originaire Henri DAVILA dont nous avons déjà pu apprécier la richesse de son témoignage livré dans Guerres civiles de France, Sous les règnes de François II,

Charles IX, Henri III & Henri IV, notamment à propos des circonstances qui ont entouré la nomination de Loys

de REVOL (Voir supra, note 118). Malgré tout, d’après le manuscrit éponyme de Loys de REVOL, il semble que les échanges diplomatiques de la France se soient, malgré tout, maintenus avec l’ensemble des puissances européennes, y compris catholiques, durant la guerre de la Ligue [lire en ce sens, BARBICHE (B.), Op. cit., p. 3].

171 Rôle d’interface a priori hérité de la pratique diplomatique de Henri III qui n’hésitait pas à confier à ses favoris des courriers royaux à destination de l’étranger [LE ROUX (N.), Op. cit., pp. 579-581].

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GAL (S.), Ibid. Lire également, l’analyse proposée par les historiens positivistes, Édouard FREMY, Essai sur

les diplomates au temps de la Ligue : d’après des documents nouveaux et indéits, (1ère éd. 1873), rééd. Slatkine, Genève, 1971, II-398 p. et Édouard ROTT, histoire de la représentation diplomatique de la France auprès des

62 les frondeurs. Transcendant la dimension religieuse du conflit, l’enjeu de son internationalisation se comprend désormais au regard de la nécessité de maintenir l’équilibre politique entre les grandes puissances européennes. La stabilisation des relations interétatiques implique pour la France la nécessité de juguler les ambitions expansionnistes de ses rivales monarchiques sur la scène européenne173. En d’autres termes, la résolution de la crise politique interne doit non seulement permettre le rétablissement de la paix sociale dans le Royaume, mais encore emporte-elle pour ses instigateurs, la responsabilité plus générale de garantir l’harmonie dans les relations interétatiques.

96. C’est dans ce contexte de géostratégie naissante que le duc de MAYENNE, nouveau chef de la Ligue et lieutenant général de l’État royal et couronne de France, décide de convoquer à Paris des états généraux pour élire un nouveau roi. Les princes, prélats et seigneurs catholiques ralliés à Henri IV, profitent de l’occasion pour lui proposer l’ouverture de négociations en vue de parvenir à une « bonne réconciliation pour le bien du royaume »174. Le 25 janvier 1593, Loys de REVOL est chargé de transmettre cette proposition au duc de MAYENNE qui l’accepte le 4 mars175. La ville de Suresnes, qui est déjà à l’époque un haut lieu du protestantisme français176, est alors choisie pour abriter les Conférences au cours desquelles le Secrétaire d’État aux Relations extérieures d’Henri IV se distingue particulièrement, n’hésitant pas au cours des négociations à s’arroger un véritable pouvoir d’initiative en fait puisque le Roi ne semble pas a priori le lui avoir délégué – si l’on en croit l’analyse d’un biographe de Loys de REVOL, M. Jacques de MONTS. Selon l’auteur, « tout semble indiquer », en effet, que le secrétaire d'État aux Affaires étrangères a été désigné "pour mener à bien "177 l’entreprise de réconciliation nationale. Mais, observe-t-il, si le texte de la proposition de pourparler en date du 27 janvier 1593 « faite au Conseil du Roy avec la

173 « Le Monde ne lui suffit pas » ! Cette inscription latine estampillée en 1580 sur le revers de la médaille de Philippe II est particulièrement significative de la logique expansionniste qui caractérise la politique étrangère des principales monarchies européennes de l’époque.

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Formulation originale citée par MONTS (J.) in « Louis de Revol, Secrétaire d’État d’Henri III et d’Henri IV », Op. cit., note 30, p. 10.

175 Témoin privilégié des premiers pourparlers entre la France et les puissances étrangères, Loys de REVOL retranscrivit dans son manuscrit éponyme le climat de crise politique à laquelle étaient confrontés les différents protagonistes des États Généraux, notamment dans ses textes n° 97 et 96 des 1er mars et 2 août 1593. Réflexe novateur à une époque où la guerre est présentée comme le mode traditionnel des règlements litigieux, la négociation diplomatique s’imposa, dans le cadre des guerres de religion, comme la voie subsidiaire privilégiée [Lire Manuscrit REVOL, Anonyme n° 97, 1er mars 1593, n° 97, fol. 129-132 : ce document dépourvu de titre et de signature est un rapport destiné au Roi d’Espagne, Philippe II ; il relate les tractations engagées dans le but d’obtenir l’accord du duc de Mayenne pour l’élection de l’Infante d’Espagne comme reine de France par les États généraux convoqués à Paris le 26 janvier 1593 ; le texte original et sa traduction sont reproduits in MONTS DE SAVASSE (J. de), SOULINGEAS (Y.), GAL (S.), Op. cit., note 30, pp. 76-79].

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Dès 1567 Suresnes est occupée par les protestants de l’Amiral de COLIGNY. En 1590, les troupes du duc de MAYENNE furent enfermées dans l’église de Suresnes à laquelle les troupes protestantes du roi Henri IV y mirent le feu. Aucun ligueur n’en réchappa.

63 permission de Sa Majesté » est bien adressée au duc de MAYENNE, elle ne comporte apparemment que la seule signature de Loys de REVOL178. Sous couvert de bénéficier de la pleine confiance du Roi, le Secrétaire d’État se serait-il permis de se substituer à son auguste personne comme le laisserait entendre cet historien ? Rien n’est moins sûr au regard de l’issue des négociations. En effet, plutôt que de s’impliquer dans des discussions qui tardaient à aboutir, Henri IV avorta la Conférence en y mettant fin de la manière la plus inattendue: le 25 juillet 1593, il abjura la religion réformée à Saint-Denis… sur les conseils avisés de Loys de REVOL179. Sa légitimité en tant que successeur d’Henri III n’étant plus en cause, la Ligue et ses soutiens européens étaient tenus définitivement en échec.

97. Ce faisant, si Loys de REVOL fit preuve d’un talent tactique certain en détournant l’attention des adversaires de Henri IV pour lui permettre de porter l’estocade finale au duc De MAYENNE, il fit montre surtout d’un indéniable sens des réalités. Qu’il négocie la réconciliation avec les Conférenciers ou qu’il conseille le Roi sur la conduite politique à adopter, il gardait à l’esprit la précarité des soubassements de sa fonction, que la nature même du régime politique de la France des Temps Modernes ne pouvait qu’ériger en principe irréfragable180. Une preuve évidente de la portée relative du règlement du 1er janvier 1589 est apportée par la suppression de la charge de secrétaire d'État aux Affaires étrangères entre 1624 et 1626. Durant ces deux années, on rétablit l’ancien système consistant à répartir indistinctement la correspondance diplomatique entre l’ensemble des secrétaires. Un règlement en date du 11 mars 1626 adopté à l’initiative de RICHELIEU, alors principal ministre, réhabilita durablement le principe d’une gestion monopolistique des Affaires étrangères181. Cette absence de linéarité conforterait le caractère éminemment circonstancié de la fonction de secrétaire d'État des étrangers. D’un point de vue historique, elle est bien le fruit des guerres de religion qui embrasent la France du XVIème siècle. De fait, sa création s’insinue non pas tant dans le mouvement de structuration des relations extérieures impulsé

178 Voir PALMAT-CAYET, Chronologie novénaire, Tome III, Paris, 1608, pp. 423-424, cité par MONTS DE SAVASSE (J. de), Op. cit., note 15 p. 11.

179 BARBICHE (B.), « REVOL », Op. cit., p. 5.

180 Le qualificatif est d’autant plus topique au regard du contexte de la monarchie absolue que si l’autorité du Roi à l’égard de ses sujets et de son Royaume est absolue (principe de souveraineté), l’exercice de son pouvoir, en revanche, ne l’est pas en tant qu’il n’est pas arbitraire. Le principe d’une responsabilité politique régalienne transparaît, en effet, à l’époque des Temps modernes, à travers le concept de dignitas. Toutefois, parce que le pouvoir d’incarnation du Roi de France tire sa source de Dieu, le monarque n’a donc de compte à rendre qu’à ce dernier. C’est dire que dans les faits, il serait vain d’espérer tant de la part de l’autorité régulière que séculière, la mise en jeu, au plan juridique, de l’action régalienne, y compris en matière de politique étrangère [lire notamment, GUCHET (Y.), Histoire constitutionnelle de la France. 1789-1974, Op. cit., p. 7].

181 Le secrétaire d'État en charge des affaires du dehors est alors le seigneur Raymond PHELYPEAUX d’HERBAULT (11mars 1626 – 2 mai 1629).

64 par l’institution de ministres publics et d’ambassades permanentes182, mais s’inscrit plutôt en droit fil dans le courant doctrinal dominant de l’époque qui tend à faire du Roi, la source exclusive de tous les pouvoirs, y compris de ceux intéressant les relations avec l’étranger.

Section III. – Une crise politique déterminante des rapports constitutionnels entre le

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