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A. Contexte : la Société du risque

II. La seconde modernité

Tout comme celles de plusieurs autres auteurs, l'oeuvre de Beck s'attarde à proposer une théorie sociologique concernant une société dont le processus de modernisation ayant initié une société industrielle se complexifie, et représente en quelque sorte une deuxième vague de la modernisation482, qu'il désigne la seconde modernité. Si Beck propose cette rupture entre deux époques de la modernité, il se refuse néanmoins à tout postmodernisme, quoique certains travaux en traitant l'aient vraisemblablement inspiré, comme ceux de Bauman et Lyotard483. Avant de poursuivre, quelques précisions préliminaires s'imposent d'ailleurs au sujet du postmodernisme, considérant les écueils possibles résultant d'une utilisation différente du concept selon les disciplines sociologique ou juridique484. Pour Beck, la

480 U. BECK, La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, préc., note 58, p. 92. 481 M.P. SRENSEN, préc., note 108, p. 9.

482 Cette période succédant la société industrielle a été désignée de diverses manières par les auteurs. Par exemple : société post-moderne (Lyotard), société post-industrielle (Touraine, Bell), société post-capitaliste (Steele), société hypermoderne (Ziehe), société post-matérielle (Inglehart), network society (Castells), optional society (Dovring and Dovring), informational society (Bell), société individualisée (Bauman), société industrielle avancée (Marcuse). Voir Id., p. 13.

483 « There could not have been a theory of reflexive modernity without having engaged with the central ideas of postmodernism ». Voir U. BECK et J. WILLMS, préc., note 455, p. 25 et suiv. Lyotard, quoiqu'il ne soit pas à proprement parler postmoderniste, a tout de même abordé de front la question du « savoir postmoderne ». Voir J.-F. LYOTARD, La condition postmoderne, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979.

484 Il s'agit d'ailleurs d'un des dangers du recours à l'interdisciplinarité que de comprendre les concepts de l'autre discipline en fonction de son propre savoir disciplinaire, « un danger tant d'"arrogance" que d'"ignorance" ou d'interprétation erronée de telles données, voire de "superficialité" qui réduit l'interdisciplinarité à une simple fonction "décorative" ou ornementale ». Voir M. VAN DE KERCHOVE et F.

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seconde modernité, loin d'être issue d'une déconstruction ou d'une rupture avec la première, est une conséquence directe du succès du projet de la modernisation : « [t]his is the meaning of the expression "reflexive modernization" : we are not living in a post-modern world but in a hyper-modern world. It is not the crisis but the victory of modernity which is undermining the basic institutions of first modernity due to unintended and unknown side- effects [...] »485. Les sociologues adoptant un discours postmoderne ne feraient pas mieux que les sociologues classiques selon lui, en ce qu'ils ne fourniraient pas de réponses à la réalité contemporaine. Il importe toutefois de préciser que sa position à l'égard du postmodernisme doit être nuancée lorsqu'il est question de l'application de la théorie postmoderne du droit. Certes, certains auteurs préfèrent voir la postmodernité comme opérant une rupture catégorique avec la modernité, qui se traduit comme une véritable déconstruction de la société moderne et de ses principaux axiomes :

Cette rupture se traduirait essentiellement par la remise en cause du primat de la Raison, entraînant corrélativement la perte de confiance en la Science, et " l'incrédulité à l'égard des méta-récits utilisés par la Science pour se légitimer ", les désillusions générées par l'idée de Progrès, la fin de l'idée que l'Histoire aurait un sens, la fin de la prétention à l'Universalité : l'accent est mis désormais sur le désordre, la complexité, l'indétermination, le relativisme [...].486 Cependant, selon une conception plus large de la postmodernité juridique, certains y incluent l'hypermodernité, soit une modernité plus sincère, dans laquelle cette dernière n'est pas rejetée ou déconstruite : il s'agirait plutôt d'une « "radicalisation" de la modernité, par la disparition de ses formes de pensées qui étaient restées présentes dans les discours de la modernité et des institutions dépassées par l'évolution sociale »487. Dans cette mesure, nous ne croyons pas qu'il faille rejeter entièrement la théorie postmoderne du droit, celle-ci pouvant apporter un angle d'analyse intéressant à certains égards au plan juridique et demeurer cohérente avec les postulats des théories hypermodernes, comme celle de Beck, puisque « les éléments du droit postmoderne étaient déjà présents dans le droit moderne », et que :

[...] la post-modernité juridique apparaît à la fois comme une anti-modernité et une hypermodernité : rompant avec les canons de la dogmatique juridique moderne, elle n'en reste OST, préc., note 65, p. 60-61. En ce sens, il faut privilégier le dialogue interculturel entre les disciplines, ici entre la sociologie et le droit, afin de ne pas tomber dans un ethnocentrisme disciplinaire. Voir V. LEMAY, préc., note 64, p. 37-43.

485 U. BECK, World At Risk, préc., note 2, p. 55.

486 J. CHEVALLIER, « Vers un droit postmoderne ? », dans J. CLAM et G. MARTIN (dir.), Les transformations de la régulation juridique, Paris, L.G.T.D., 1998, p. 23-24.

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pas moins fidèle aux valeurs qui forment l'essence de la modernité; et c'est cet amalgame complexe qui constitue sans doute sa véritable spécificité.488

Ceci étant dit, Beck identifie cinq conséquences imprévues de la modernisation [unforseen

consequences] qui mettent à mal les prémisses de la première modernité : la globalisation,

l'individualisation489, la révolution des genres, le sous-emploi et les risques globaux490. Quoique ces processus soient interreliés, le premier et le dernier sont ceux qui retiendront davantage notre attention en l'espèce. En vue de résumer les propositions qui nous intéressent, nous présenterons d'abord le volet descriptif d'une société dans laquelle le risque n'est plus entièrement contrôlable, ce qu'il désigne la société du risque (a). C'est à partir de l'observation de celle-ci qu'il développe une théorie spécifique de la société

réflexive491 (b). Ce survol jettera les bases théoriques nécessaires à l'argumentation critique sur le rôle et l'évolution du droit dans la société assurantielle et dans le recours à la précaution qui s'en suivra.

a. La société du risque

Avec la poursuite de l'industrialisation, de nouveaux risques voient le jour dans la conscience collective : les risques catastrophiques492, auxquels l'on réfère en droit en termes de risques technologiques majeurs493. Beck s'aperçoit que, désormais, les menaces

488 J. CHEVALLIER, préc., note 486, p. 40 et 46. Pour une présentation de la théorie postmoderne du droit, voir notamment A.-J. ARNAUD, préc., note 456, p. 152-153.

489 L'individualisation, pour Beck, est structurelle et institutionalisée ; elle est induite par l'État providence. Voir U. BECK, World Risk Society, préc., note 460, p. 9.

490 Id., p. 2.

491 La théorie de la société réflexive se divise en trois ramifications : « the theorem of risk sociery, the theorem of forced individualization and the theorem of multidimensional globalization or cosmopolitanisation, All three theorems develop and interpret the same figure of argumentation and are mutually reinforcing [...] ». Voir U. BECK, World At Risk, préc., note 2, p. 236. Certains auteurs vont distinguer ces notions, mais afin de simplifier la présentation, ces considérations théoriques ne seront pas précisées. Ce qui importe pour le présent projet de recherche est essentiellement le point de rupture entre deux époques, et les constats principaux qui s'en dégagent.

492 Beck met toutefois en garde de confondre risque et catastrophe : le risque est, selon lui, l'anticipation de cette dernière, et plus précisément une mise en scène de leur réalité : « global risk is the staging of the reality [Realitätsinszenierung] of global risk ». Voir Id., p. 10. Beck reconnaît par ailleurs l'ambiguïté de son propre concept de risque. Voir Id., p. 236. Il aurait effectivement eu tendance à interchanger les notions hazards et risks. M.P. SRENSEN, préc., note 108, p. 14.

493 Voir notamment M. BOUTONNET, Le principe de précaution en droit de la responsabilité civile, préc., note 18, p. 191 et suiv. Précisons qu'en l'espèce, l'analyse est axée sur la gestion des risques. Aucun dommage n'a donc concrètement été subi puisque la catastrophe n'est pas survenue, mais est plutôt projetée. En parallèle, le champ de la responsabilité juridique subit également des transformations en lien avec la réalisation de ces

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ne sont plus extérieures à la société ; elles sont le résultat direct des effets de la poursuite de l'industrialisation. Celles-ci pèsent non seulement sur la société ou certains groupes sociaux, mais guettent aussi – surtout – l'individu lui-même et son environnement494. Les dommages que laissent appréhender pareilles menaces peuvent être classifiés de dommages collectifs directs et indirects495. À ce sujet, il est intéressant de constater l'évolution de la notion de patrimoine dans le domaine juridique. En droit, cette notion réfère généralement à l'« [e]nsemble des biens et des obligations d'une personne qui sont appréciables en argent. Il forme un tout constitué de l'actif et du passif d'une personne »496. En vertu des articles 2 et 302 C.c.Q., toute personne, physique ou morale, est titulaire d'un patrimoine. Faisant leur apparition dans la première modernité, l'assurance, l'État providence et le droit social, dans leurs premières formes et premiers objectifs, visaient essentiellement à protéger ce type de patrimoine, et à arbitrer les intérêts des acteurs sociaux et économiques relativement à celui-ci. Or, on voit émerger dans la doctrine et la loi la notion de patrimoine commun, qui n'est plus directement en lien avec l'économie de marché, dont nous traitons plus loin, et qui traduit ces nouvelles préoccupations propres à la seconde modernité quant à l'Humanité avec un grand H et à son environnement497.

Les risques de la seconde modernité, avec les inquiétudes qui y sont associées, dissolvent l'utopie d'une société meilleure qui avait jusqu'alors bercé la première modernité et qui justifiait la prise de risque, et engendrent donc un second désenchantement : « [t]he difference is that today human beings are being "released" not from corporate, religious- transcendental securities into the world of industrial society, but from industrial society into the turbulence of world risk society »498. Les risques industriels avaient pu être dépeints risques. Voir par exemple l'arrêt Ciment du Saint-Laurent c. Barrette, [2008] 3 R.C.S. 392 en matière de responsabilité sans faute pour troubles de voisinage.

494 U. BECK, La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, préc., note 56, p. 40.

495 Voir M. BOUTONNET, Le principe de précaution en droit de la responsabilité civile, préc., note 18, p. 196 et suiv.

496Voir H. REID, préc., note 18.

497 Au sujet de la distinction entre ces notions de patrimoine, voir M. DEVOST, « Le patrimoine commun de la nation québécoise au service de l'indemnisation du préjudice environnemental », (2012) 71 R. du B. 43, 59- 60.

498 U. BECK, World Risk Society, préc., note 460, p. 75. D'autres événements, comme la Première et la Deuxième Guerres mondiales auraient également remis en question cette foi dans les objectifs de la modernité. Toutefois, les catastrophes environnementales globales seraient le point de non retour qui « has

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comme représentant plus un moindre mal menant à mieux, à un bien-être collectif. Cette perspective ne peut vraisemblablement pas être adoptée concernant les risques contemporains : « the freedom promised by risk has metamorphosed into its opposite, into self-obstruction, self-accusation and self-subjection in the face of the all-pervasive court and castle »499. Autrement dit, comme le suggère Ewald, les nouveaux risques mettent en cause la légitimité même de l'industrialisation :

[...] l'industrie a perdu son préjugé de légitimité. Elle est en demeure d'avoir constamment à se justifier aux yeux de son environnement, privée de sa légitimité fondamentale. C'est ce qu'on appelle le « renversement de la charge de la preuve » [...]. Le renversement de la charge de la preuve ne décrit pas ce qui serait une des conséquences juridiques du principe de précaution. Il désigne la condition ontologique de l'industrie dans le monde actuel. [...] Il règne comme une suspicion d'illégitimité.500

L'obstacle que ces risques posent ainsi n'est pas d'une moindre mesure. Pour autant que l'industrialisation suit son cours, ils s'accentueront invariablement501. C'est qu'il se trouve dans la société du risque un paradoxe fondamental : l'augmentation des connaissances scientifiques n'est pas gage d'un meilleur contrôle des risques, mais serait au contraire susceptible d'accroître l'incertitude qui les caractérise. Acquérir davantage de connaissances ne permet effectivement pas de contrôler ces risques502. Ainsi, les menaces s'imposent à la collectivité sans que personne ne puisse individuellement y échapper, et surtout sans qu'il soit possible de les maîtriser concrètement dans leur source comme dans leurs conséquences503. Cela remettrait en cause le rôle de l'État, puisque « the relationship of society to the hazards and problems produced by it [...] exceed the bases of societal

conceptions of security »504. De plus, selon Beck, la société baignerait dans une perpétuelle finally, once and for all, turned our notion of progress pessimistic and made pessimism a fundamental governing principle ». Voir M.P. SRENSEN, préc., note 108, p. 19.

499 U. BECK, World At Risk, préc., note 2, p. 6.

500 Voir F. EWALD, Aux risques d'innover. Les entreprises face au principe de précaution, préc., note 136, p. 25-26.

501 U. BECK, La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, préc., note 58, p. 40.

502 « But not only can real uncertainties not be resolved through more and better knowledge, when we are dealing with what Anthony Giddens calls manufactured uncertainties, more knowledge can actually produce more uncertainty ». Voir U. BECK et J. WILLMS, préc., note 455, p. 127. À propos des manufactured uncertainties : « [t]hese types of internal risks and dangers presume a threefold participation of scientific experts, in the roles of producers, analysts and profiteers from risk definitions. Under these conditions, many attempts to confine and control risks turn into a broadening of the uncertainties and dangers ». Voir U. BECK, World Risk Society, préc., note 460, p. 140. En d'autres termes, il s'agit du cercle vicieux selon lequel plus on cherche à circonscrire un risque, plus on étend le champ des connaissances et des incertitudes, où de nouveaux risques pourront prendre place.

503 U. BECK, World At Risk, préc., note 2, p. 192. 504 U. BECK, World Risk Society, préc., note 460, p. 74.

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insuffisance de connaissance ou de savoir concernant les risques contemporains, qui serait de trois ordres : conscious inability-to-know, repressed or unconscious non-knowing et

unknown inability to know505. Cette manière de présenter les sources de l'incertitude est intéressante puisqu'elle lie la connaissance scientifique – dans le sens strict du terme, référant aux sciences de la nature – à des processus sociaux de connaissance, qu'ils soient psychologiques, sociologiques, économiques, etc.

Alors que certains de ces « nouveaux » risques potentiellement catastrophiques sont issus de développements technologiques récents, d'autres concernent pourtant des techniques qui peuvent remonter au tout début de l'industrialisation506 : ce sont les effets secondaires involontaires [unintended side effects] de l'industrialisation507, les effets induits latents508, qui sont mis au grand jour. Dans le même sens, P. Lagadec indique que l'accident n'est lui- même pas nouveau. Nous l'avons d'ailleurs vu dans la section précédente. Pour lui, la nouveauté se situe dans le fait que les « nouveaux » risques « alertent sur la rupture qui a été introduite dans l'univers du risque technologique. Ils montrent que l'humain est dorénavant capable de produire des désastres d'une toute autre échelle, et surtout d'une toute autre nature. [...] la découverte du risque technologique majeur, c'est la découverte de la possibilité d'échec sans repêchage, du non-sens aux limites indéfinies »509. D'ailleurs, Beck ne nie pas que nous demeurons, même dans la société du risque, assujettis aux risques, ou aux dangers qui ont marqué l'imaginaire des époques précédentes (par exemple, aux désastres naturels de l'époque prémoderne, aux risques d'accidents et de chômage de la société industrielle). Les risques catastrophiques de la société du risque ne font que s'y ajouter510.

Beck met essentiellement l'accent sur les risques environnementaux afin de décrire les

505 U. BECK, World at Risk, préc., note 2, p. 126-127.

506 U. BECK, La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, préc., note 58, p. 40.

507 U. BECK, World At Risk, préc., note 2, p. 77. Les risques terroristes font toutefois exception, en ce qu'ils revêtent un certain caractère intentionnel.

508 U. BECK, La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, préc., note 58, p. 62.

509 P. LAGADEC, La civilisation du risque : catastrophes technologiques et responsabilité sociale, Paris, Éditions du Seuil, 1981, p. 62-63, cité dans M. BOUTONNET, Le principe de précaution en droit de la responsabilité civile, préc., note 18, p. 192.

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« nouveaux » risques511. Sa description des caractéristiques des risques propres à la seconde modernité, qui fait largement référence aux risques écologiques, soutient que ce sont des menaces qui :

[...] provoquent systématiquement des dommages, souvent irréversibles, restent la plupart du temps invisibles, requièrent des interprétations causales, se situent donc seulement et exclusivement dans le domaine de la connaissance (scientifique ou plutôt anti-scientifique) qu'on a d'eux, peuvent être transformés, réduits ou augmentés, dramatisés ou banalisés par la connaissance, se prêtent donc tout particulièrement aux processus de définition sociale.512

Les dangers auxquels ils renvoient sont dans bien des cas imperceptibles, non circonscriptibles, et d'une envergure impossible à envisager. Ceux-ci apparaissent comme une menace transnationale qui met continuellement en péril le quotidien de l'humanité. Désormais, les conséquences qui leur sont attachées apparaissent non seulement comme étant irréversibles, mais également irréparables, et surtout, multidimensionnelles : elles ne se limitent plus à une atteinte au patrimoine financier de certains individus. De plus, ces menaces ne visent plus des classes particulières : elles sont « démocratiques »513, et répondent à un « effet boomerang »514. La nature même de l’environnement, et conséquemment la survie de tout être vivant est mise en péril. Il est donc très difficile, voire impossible, de les compenser au moyen d’une quelconque somme forfaitaire attribuée à des victimes, d’autant plus que la survenance des conséquences peut s’étendre sur plusieurs années, voire plusieurs générations515. En résumé, Beck synthétise les caractéristiques des

511 Par la suite, sa typologie des risques catastrophiques en dénombrera trois genres : les risques environnementaux, économiques et terroristes. Beck fait néanmoins état d'une quatrième sphère de risques qu'il mettra de côté dans plusieurs de ses travaux suivant l'oeuvre de 1986 : il s'agit des « biographical risks closely connected with the dynamics of individualization that play a prominent role in the riks society ». Voir U. BECK, World At Risk, préc., note 2, p. 13.

512 U. BECK, La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, préc., note 58, p. 41.

513 Id., p. 65. Alors que certains risques, par leur ampleur globale, ne répondent plus à une logique de classe, Beck concède évidemment que d'autres continuent d'affecter les classes plus pauvres. Voir U. BECK et J. WILLMS, préc., note 455, p. 130. En tout état de cause, « [t]he poorest will be hit the hardest. They will be least able to adapt themselves to the changes in the environment ». Voir U. BECK, World Risk Society, préc., note 460, p. 63.

514 U. BECK, La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, préc., note 58, p. 41. Cela implique que même ceux qui participent à créer les situations pouvant mener à des catastrophes sont ultimement visés par les risques. L'effet boomerang implique que les « vrais responsables », comme les propriétaires de compagnies, subiront désormais des conséquences tangibles, par exemple par la transformation de risques sanitaires ou écologiques en risques politiques ou financiers lorsque le risque est amplifié socialement. Voir U. BECK et J. WILLMS, préc., note 455, p. 130.

515 Quant aux risques économiques, ils renvoient plutôt aux risques du marché financier mondial dont l'effondrement est susceptible de produire des effets catastrophiques. Voir U. BECK, World At Risk, préc., note 2, p. 13-14 et 199-203. Enfin, un troisième type de risque préoccupe le sociologue, soit l'anticipation de catastrophes terroristes. Ceux-ci diffèrent particulièrement des risques environnementaux et économiques par

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risques globaux en trois caractéristiques : leur délocalisation (spatiale, temporelle et sociale), leur incalculabilité (et non leur imprévisibilité), et le caractère non compensable des conséquences anticipées516. Le lecteur portera une attention particulière au fait que ces trois caractéristiques s'opposent directement aux caractéristiques traditionnelles d'un « risque assurantiel » (calculable, collectif et capital)517.

Devant l'ampleur et l'essence des dommages envisagés, l'exclusion de la nature dans une gestion rationalisée du social selon l'agenda de la première modernité n'est plus possible. La société est contrainte de renouer les liens avec la nature, qu'elle ne peut plus prétendre contrôler, ni ignorer. Celle-ci y perd cependant sa propre essence, sa réalité :

Nature – especially nature – is not nature but is more than ever a concept, a norm, a