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B. L'assurance privée

IV. Insuffisance de l'assurance privée

Les techniques discutées prêtent certainement main-forte au secteur privé en ce qui concerne la couverture des risques contemporains. Chemarin indique que malgré tout, celui-ci n'a pas les reins financiers assez solides pour accepter de les couvrir tous, surtout lorsqu'ils laissent présager des dommages dont les coûts pourraient être faramineux359. Selon elle, trois facteurs tracent la limite de l'assurabilité – techniques alternatives et complémentaires comprises – des risques contemporains : l'incertitude profonde qui les entoure, les données statistiques non suffisantes sur leurs conséquences et leur occurrence, et l'information distribuée de manière singulière qui génère des asymétries360. On constate que même avec les nouvelles techniques assurantielles, les obstacles rencontrés ont des points en commun avec ceux qui posaient des limites à la technique assurantielle traditionnelle, et concernent essentiellement des incidences financières. Les nouvelles techniques ont néanmoins permis de repousser la limite de l'assurabilité en ouvrant l'accès à de nouvelles sources de liquidité pour les assureurs361. La limite de l'assurance ne s'en trouve toutefois jamais complètement éradiquée. Même si ces techniques assurantielles ou financières peuvent être un atout pour les assureurs, leur capacité financière demeure assujettie aux lois du marché. Certains auteurs parleront d'ailleurs de commerce de l'assurance lorsqu'ils font référence à l'offre d'assurance privée, étant donné que cette branche s'inscrit essentiellement dans un capitalisme marchand362. Cela dit, des considérations propres au fonctionnement de toute entreprise s'ajoutent aux critères permettant à l'assureur de déterminer s'il accepte de couvrir un risque. Notamment,

359 Voir également M. G. FAURE et T. HARTLIEF, préc., note 247, p. 213. Selon cette étude, l'indemnisation par le régime de responsabilité civile atteindrait également ses limites.

360 S. CHEMARIN, préc., note 303, 166-167.

361 Ewald avait d'ailleurs constaté que « les limites de l'assurable ne cessent, grâce au jeu de la réassurance ou de la coassurance, d'être repoussées ». Voir F. EWALD, L'État providence, préc., note 20, p. 391.

362 Voir A. BÉLANGER, « Le contrat d'assurance contemporain et la réification des parties », préc., note 320, 319, référant à F. MILLET, La notion de risque et ses fonctions en droit privé, Paris, L.G.D.J, 2001. Par ailleurs, « le risque est moins un mal qu'un "bien" au sens économique ; il est "utile", progressif, l'aliment même de la rationalité des choix individuels et collectifs ». Voir F. EWALD et D. KESSLER, « Les noces du risque et de la politique », (2000) 109 Le Débat 55, 60.

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l'assureur pourra évaluer si la demande pour un produit d'assurance est suffisante pour couvrir les frais accessoires tels les coûts de mise en marché363. Cela est sans oublier le caractère contractuel de l'assurance qui nécessite que le preneur accepte de payer la prime exigée par l'assureur ; si celui-ci doit la fixer à un montant trop élevé afin de maintenir une capacité élevée de payer en cas de sinistre, les preneurs pourraient refuser de contracter364. Ces considérations, qui ne sont pas liées directement au risque lui-même, participent également à établir la limite de l'assurance.

La limite de l'assurance est donc mouvante ; elle se déplace à mesure que les assureurs développent de nouvelles stratégies afin d'adapter leur schéma financier. Autrement dit, on peut voir une corrélation inverse entre l'importance de la limite de l'assurance et l'importance des risques financiers supporté par l'assureur. Ceux-ci s'apprécient selon la possibilité réelle d'insolvabilité de l'assureurs privé, mais également selon des décisions d'affaires basées sur ses marge de profit dont il entend bénéficier365. Le rôle social de l'assurance366, notamment au niveau de la fourniture de services d'assurance qui auraient pour objet d'accroitre la sécurité financière des assurés, est supplanté par l'impératif du profit de l'assureur privé367.

363 K. MIMOUNI, préc., note 327, 284.

364 Parmi leurs conclusions, Henry et Michel-Kerjan sont d'avis que l'acceptabilité du prix de la couverture d'assurance est un facteur qui peut inciter les assureurs à innover en matière d'opérations de transfert de risques, ce qui leur permettrait d'offrir un produit d'assurance à meilleur prix. Voir O. GODARD, C. HENRY, P. LAGADEC et E. MICHEL-KERJEAN, préc., note 224, p. 462. Ces transactions financières ont toutefois elles- aussi des limites. Il est également pertinent de soulever que la prime d'assurance peut être limitée par de la réglementation. À ce sujet et concernant la fixation de la prime en contexte d'incertitude, voir K. MIMOUNI, préc., note 327, 286 et suiv.

365 Il n'est certes pas inutile de rappeler que « [p]our les compagnies d'assurances par actions, inévitablement, l'intérêt de l'assuré s'oppose à celui des actionnaires. Le gain de l'un ne peut que représenter la perte de l'autre. Le lien est d'abord économique et actuariel ». Voir A. BÉLANGER et J. MANEKENG TAWALI, préc., note 301, 318. Le contrat d'assurance devient ainsi un produit de consommation parmi tant d'autres, laissant loin derrière l'idée d'un solidarisme entre les assurés, l'idée d'une assurance sociale. Voir Id., 319. D'ailleurs, on parlera fréquememnt de consommateur de produits et de services financiers lorsqu'il est question d'assurances. Voir MINISTERE DES FINANCES ET DE L'ECONOMIE DU QUEBEC, préc., note 40.

366 Au sujet du rôle social de l'assurance, voir A. BÉLANGER, « Le contrat d'assurance contemporain et la réification des parties », préc., note 320, 320 et suiv. À noter qu'Ewald parlera de la fonction sociale de l'assurance dans le sens où elle permet l'acquisition de biens et de services. Nous pourrions penser qu'il fait notamment référence à l'assurance « valeur à neuf ». Voir F. EWALD, « La société assurancielle et son avenir », préc., note 239, 96. Il y a donc confusion dans l'utilisation de la technologie d'assurance : à travers l'assurance, la société assume-t-elle les pertes collectivement ou participe-t-elle collectivement à l'économie ? 367 Par exemple, au sujet de la couverture des risques terroristes par les réassureurs : « while they had a social responsibility to provide some terrorism coverage, they also had a social responsibility to exclude and limit

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Dans ce contexte, anticipant que les assureurs ne puissent pas réalistement offrir une couverture adéquate face à certains risques, plusieurs auteurs soulèvent que la participation du secteur public est nécessaire368. Certains précisent que l'État devrait être appelé en renfort uniquement dans les cas où les limites de l'assurance privée sont atteintes369. Ce propos devrait par contre être nuancé à la lumière du fait que cette limite, comme nous l'avons vu, ne peut être déterminée clairement ou définitivement. Il s'agit essentiellement d'une limite d'ordre économique qui découle des choix d'entreprise de la compagnie d'assurance. C'est précisément à l'endroit du point de friction entre l'assurable et le non assurable que l'État doit prendre position : doit-il accepter que ce soit les assureurs qui déterminent la limite de l'assurance ou a-t-il son mot à dire en s'immisçant dans leurs choix de gestion financière ?