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On objecte encore :

— Moralement aussi, les temps ont changé. Lors de votre affaire Dreyfus, l’esprit public n’était pas indifférent comme il l’est aujourd’hui. Ce qui était possible en 1899 ne l’est plus. . . En 1899, on vibrait. . . on réagissait.

Aujourd’hui on accepte, on subit, on s’amuse, on dort. . .

Soit. Et c’est proprement la raison pour laquelle nous irons tranquille-ment nous coucher ce soir. Mais ce ne sera pas sans avoir tout disposé, soigneusement et diligemment, en vue de demain. Demain, l’esprit public peut se réveiller. Demain, il peut se trouver prêt à recevoir toute l’impulsion désirable20.

Rien n’est capricieux comme l’état des nerfs d’une femme ou d’un peuple.

Le calme plat ne veut rien dire. Les cyclones moraux et politiques arrivent de loin, mais avec une telle vitesse qu’il est à peu près impossible de les annoncer. Le devoir du bon capitaine est de rester paré, non seulement pour éviter le point dangereux, mais pour tirer un bon parti des forces de la mer et du ciel déchaînées. Attendons et guettons, afin qu’au premier des indices favorables, quand l’énergie de la nature et de la rue se proposera, nos énergies et celles de nos proches soient en état de la capter et de l’utiliser. Ce n’est pas de sujets de commotions publiques ni d’occasions de troubles civils que la République nous est avare. Elle n’est qu’un état de crise permanente, une profonde génératrice d’agitations ; or celles-ci, un jour ou l’autre, ne peuvent manquer d’éclater.

Si du reste l’état vibrant de l’opinion fait une préparation des plus convenables, cela n’est pas absolument indispensable à toute hypothèse de

« Coup ». Pour un complot proprement dit, le calme général est une occasion de surprise qui diminue d’autant les chances de l’ennemi.

20Ce texte a paru mot pour mot le 15 janvier 1908. En avril suivant, commençait le premier réveil de la jeunesse des écoles provoqué par le scandaleux voyage du professeur Andler en Allemagne. Enfin, à l’automne, éclataient au Quartier latin les inoubliables manifestations des étudiants contre Thalamas, insulteur de Jeanne d’Arc.

Au point où le voici, le régime, dont tout le monde se détache, a tué l’esprit d’initiative et de décision dans cette force armée qu’il a chargée de sa défense. D’ordinaire, en toute circonstance critique, l’à-propos d’un subordonné peut sauver la situation ; mais ce régime-ci, au cas de surprise brutale, trouvera difficilement le subordonné généreux capable de s’intéresser à son salut. Les illusions sont mortes, le Capitole a perdu ses dernières oies.

— Il faudrait pourtant tenir compte de la composition des cadres dans les régiments de Paris. Si les hommes y viennent de l’Ouest catholique et royaliste, les officiers sont recrutés en grand nombre dans l’élite des fabricants de fiches ou parmi ces mamelouks du régime (juifs, protestants, maçons, métèques) spécialement intéressés à faire bonne garde autour de lui. Ils ne sont peut-être pas des officiers d’une valeur exceptionnelle, mais la nécessité donne de l’esprit aux enfants.

— Croyez-vous qu’elle leur donnera l’esprit militaire ? Ou la confiance des hommes ? Ou l’assurance du devoir ? Votre nécessité empêche-t-elle un ordre bâclé à la hâte, sous l’empire de la terreur, d’être exécuté de travers ? Et supprimerez-vous les lenteurs calculées d’une troupe mal entraînée ou la mauvaise volonté d’un gradé peu enthousiaste ? Ce que nous ferons avec zèle, entrain, passion, y répondra-t-on autrement qu’avec une lente mollesse ? Attaquant avec force et confiance, est-ce que nous pourrons être repoussés d’un aussi bon cœur ? Nos chefs seront très bien obéis, suivis et servis ; en sera-t-il autant des leurs ? Questions, n’est-ce pas ? questions ! Ces questions nous permettent de tout espérer21.

21Le correspondant parisien du journal républicain Le Petit Marseillais, homme remarquablement informé, écrivait à son journal à propos de l’alerte donnée à la police par le duc d’Orléans dans la nuit de Noël 1909 :

On m’affirme, d’autre part, que le prince a su s’assurer dans l’armée de Paris quelques amitiés puissantes auxquelles il souhaiterait à faire appel à l’occasion et qui ne lui refuseraient pas leur concours. Sans doute, on a pris grand soin de ne placer dans la garnison parisienne que des officiers des opinions républicaines desquels on est certain. C’est pourquoi, aussi, on a introduit au ministère de la guerre un grand nombre d’officiers israélites, qui sont tous très attachés au régime républicain et, par surcroît, adversaires déclarés du duc d’Orléans, à cause des opinions antisémites qu’il a publiquement manifestées.

Mais, malgré ces précautions, ce prince pourrait compter encore des partisans dans l’armée de Paris.

Il n’est pas inutile de répéter une fois de plus que la page à laquelle s’ajoute cette note a été publiée le 15 janvier 1908, avant que l’Action Française possédât son journal quotidien !

Le scénario

. . . Un régiment de la garnison de Paris se mutine. Les hommes s’assemblent dans la cour du quartier, pillent le magasin aux cartouches ; tambours battants, clairons sonnants, ils se mettent en route pour l’Élysée.

Où sont les officiers ? Partis, éclipsés, disparus ! À moins qu’ils ne soient

« débordés ». Il en va de même des sous-officiers. Voici, par contre, un grand nombre de caporaux. Et ces derniers se sont partagé le commandement.

On prétend qu’une troupe a été rassemblée d’urgence pour barrer le chemin à cette folie. Arrivera-t-elle à temps sur les lieux ? On en doute. Mais non ; les « progrès modernes » ont fait leur service, elle accourt et balance ses harmonieuses rangées de képis et de baïonnettes. Une, deux, une. . . Rien, presque rien, ne semble changé au bel ordre des troupes, et les pauvres mutins auront à qui parler. Ils approchent d’ailleurs, eux aussi, dans un très bel ordre, mais, Dieux bons, quelle allure ! Ils sont au pas de course et vous chargent comme des diables. Le choc impie va se produire entre les deux armes françaises. Les statues de la patrie et de la loi vont crouler. . . Eh ! nullement. Rien de semblable. Aucun choc. Nul conflit. On ne s’est pas touché. Le régiment fidèle a donc passé à l’ennemi ? Pas même ! Il s’est ouvert paisiblement, comme le flot devant l’étrave du navire. Il s’est effacé et rangé.

L’émeute passe donc ; l’émeute militaire. La voilà au milieu de la place de la Concorde. Aux chevaux de Marly, errent des pelotons de gardes municipaux.

Est-ce d’eux que la réparation va venir ? Est-ce en eux que va triompher la discipline immortellement outragée ? Ils prennent le trot.

— C’est la charge ?

— Pas du tout, car les pelotons tournent bride, ils se dispersent vers les rues Boissy d’Anglas, Royale, Saint-Florentin, même Rivoli.

— Et l’Élysée n’est plus gardé ?

Vous ne saviez donc pas les dernières nouvelles ? Vous ignoriez que le mouvement anti-juif s’est poursuivi dans les casernes, d’abord parallèlement à l’antimilitarisme, puis en le recouvrant et en le noyant, celui-ci devenu en quelques mois désuet, vieillot et périmé ? La propagande royaliste n’a pas

traîné. Ce fut l’affaire de quelques gradés résolus. Les entendez-vous chanter

Le roi des flics est gardé à vue dans son cabinet. M. Fallières déguerpit aussi vite que le permet sa corpulence. Et, pendant que les hommes de main vaquent rapidement à la conquête générale de Paris et de nos provinces au moyen de quelques coups de télégraphe ou de téléphone bien assenés (Vivent les progrès modernes, Monsieur !), un grand concours de brave peuple, en attendant l’entrée de Philippe de France et l’antique ruisseau des fontaines de vin, monte la garde autour des meubles et immeubles de quelques notoires pillards de ses vieilles économies, pour en exiger le séquestre et la prompte conversion en biens nationaux.

— Assurément, ça vaudra mieux que de brûler les Tuileries ou de flamber Finances, mais tudieu ! comme vous y allez ! Je ne vois d’ailleurs pas pourquoi vous contez ce roman. Hélas ! l’étranger de l’intérieur campe toujours place Beauvau, on ne crie pas « vive le roi » dans les jardins de l’Élysée, aucun régiment ne s’est mutiné, et d’abord et surtout, la force armée ne s’est pas divisée respectueusement, comme une Mer Rouge, devant une émeute militaire quelconque ; les gaillards qui s’y frotteraient seraient fort proprement cueillis avant même d’avoir dit oufet, en cas de sérieux grabuge, fusillés sans merci. Ainsi les rêves que vous faites fondent-ils sur des suppositions impies et d’ailleurs (malheureusement) sans valeur.

— Sans valeur ?. . . J’avouerai que l’épilogue de ce récit est pour le moment de mon cru. Chants de vive Henri IV, cris de vive le roi, nous n’en sommes pas là22, il vous est encore permis de conclure à ma fantaisie sur ce point.

Mais douteriez-vous que cette fantaisie fût réalisable moyennant quelque propagande intelligente, si l’hypothèse de l’insurrection militaire se réalisait ?

— Je pourrais concéder cela, pour l’amour de vous. Oui, si votre insurrection militaire se produisait, j’admettrais qu’elle pût se faire contre les juifs et, même pour le roi, pour peu que le roi fût connu. Vous le savez d’ailleurs aussi bien que moi, c’est la mutinerie elle-même qui n’est pas possible.

— Vous savez qu’elle l’est pourtant !

22Ceci paraissait en janvier 1908.

— Non.

— Si.

— Non, nos troupes françaises sont tenues de trop court. Non, non, non.

Malgré l’antimilitarisme et le diable, c’est l’impossible !

— Eh ! bien, cet impossible, vous l’avez oublié, mais vous l’avez vu. Vous y avez assisté. Ce que vous déclarez chimérique est tellement réel que mon conte n’est qu’une histoire, pas vieille de six mois.

Je viens de vous dire le fait sans en rien changer, tel qu’il s’est produit point par point. Je me suis contenté de transposer à Paris ce qui s’est fort bien fait, l’autre été, sur les routes du Languedoc, sur les grand-places de deux bonnes villes de l’Hérault. Dans la nuit du 20 au 21 juin 1907, le 17ede ligne, tambours battants, clairons sonnants, exactement comme mon régiment de tout à l’heure, s’est transporté d’Agde à Béziers par la propre volonté et la décision pure de ses hommes de troupe. Les officiers et les sous-officiers ? On les vit à peine. Le rapport officiel du général Bailloud, commandant le corps d’armée, en rappelant qu’ils ne purent empêcher le mouvement, déclare qu’ils ne « furent pas à la hauteur de leurs obligations23». Le général Coupillaud, à propos des mêmes événements, pose différentes questions sur ce qui aurait pu être fait et qui ne le fut point : « Pourquoi. . . ? » « On aurait dû. . . » Il conclut : « Au lieu d’une tentative quelconque, on ne trouve que l’inertie la plus complète24. »

Vers 4 heures du matin, les révoltés se heurtèrent à six compagnies du 81e commandées par le général Lacroisade, particulièrement connu pour son énergie et qui pourtant laissa passer les soldats du 17e! Les mutins étaient au nombre de 400. Il disposait de 600 hommes d’infanterie, de deux pelotons de cavalerie et de 40 gendarmes à cheval. « Des troupes disciplinées et sûres s’effacèrent devant un troupeau de mutins ». Qui dit cela ? Le général Coupillaud, page 404 du même livre. Oui, vous l’avez bien dit ; les fermes remparts de l’Ordre se divisèrent, comme les eaux de la Mer Rouge, devant une bande insurgée. Et, tout comme les pelotons de garde républicaine que, dans mon rêve de tout à l’heure qui n’est pas une rêverie, je vous ai montrés s’esquivant dans la direction opposée au poste qu’ils devaient défendre, un détachement de gendarmerie, approchant de Béziers où les mutins étaient campés et trouvant chez eux un accueil martial et des préparatifs de défense fort nets, tourna bride et ne revint plus.

23La Crise du Midi, par Maurice Le Blond, alors attaché au Ministère de l’Intérieur, page 392, à l’appendice : « Rapport Bailloud ».

24La Crise du Midi, p. 400.

Si vous voulez des détails plus complets sur cette instructive aventure, prenez l’ouvrage déjà extrait et cité : de la page 384 à la page 410 deLa Crise du Midi, lisez mûrement, d’un bout à l’autre, les rapports des généraux Coupillaud et Lacroisade ; ils renseignent sur les issues possibles de telles et telles mutineries militaires, comme nos souvenirs de 1885, 1898 et 1899 montrent ce qui pourra sortir de futurs émois populaires. Si, jusqu’à présent, ni les uns ni les autres n’ont rien donné, ce n’est pas que ces mouvements fussent dénués de puissance, ni par l’effet direct de la résistance à laquelle ils se sont heurtés. Ç’a été purement et simplement faute de direction. Toutes les conditions matérielles requises étaient réunies ; d’un côté le désordre complet, le désarroi parfait, de l’autre une foule ardente, enragée, résolue. Mais résolue à quoi au juste ? À tout. Mais, dans ce « tout », exactement que choisissait-elle ? Élément moral oublié : on ne s’était pas avisé de penser un dessein, de viser un objectif, de marquer un but.

Tout est là. . .

VII. — Doit-on le dire ?

— Eh bien ! soit encore ! Et soit et soit. Et vous avez raison de dire que, du moins pour nous autres, royalistes, c’est tout pensé !

Mais alors,chut,chut,chut!Chut, ne le dites pas ! Chut, ne le disons pas ! C’est à voix basse que l’on conspire ; de la prudence ! Que diable, à faire un coup, si vous voulez qu’il réussisse, il est au moins bizarre d’aller prévenir publiquement la gendarmerie.

Nous voilà arrivé à la dernière objection, à l’objection-monstre, et nous l’avons donnée pour ce qu’elle vaut.

Elle vaut tout juste le « pensons-y toujours, n’en parlons jamais ».

Gambetta l’appliquait à l’ennemi du dehors. Nos timides l’appliquent à l’ennemi de l’intérieur. La formule n’est bonne ni au dedans, ni au dehors.

Autant il aurait été ridicule de prévenir M. de Bismarck au moment précis où l’on eût machiné contre lui une intrigue diplomatique et réglé un bon plan de mobilisation (« attention, chancelier, nous allons reprendre l’Alsace ! ») autant il eût été sage, habile, prudent, d’évoquer quotidiennement pour le peuple français, en même temps que les sacrés souvenirs de Strasbourg et de Metz, une notion précise des moyens par lesquels les pays perdus pouvaient être repris un jour : diplomatie active, armée bien entraînée. Cette « pensée parlée » étant ainsi présente au cœur et à l’esprit de tous, eût conjuré l’échec de la Monarchie en 1873, le vote de la République en 1875, la loi militaire de 1889, le service réduit, etc., etc.

Exactement de même, l’idée générale du « Coup », du coup à frapper n’importe comment par n’importe qui, idée tout aussi abstraitement conçue que l’idée de Revanche, en menaçant le gouvernement sur tous les points à la fois, ne l’aurait mis en défiance ni en défense sur aucun et aurait épargné à la malheureuse opposition conservatrice toutes les innombrables épreuves électorales dans lesquelles on lui a vu gaspiller temps, efforts, ressources, prestige, esprit, doctrines, cohérence, et parfois honneur.

C’est donc en parfaite tranquillité d’esprit et d’âme, de raison et de volonté, que nous répétons le double programme :

– constituer un état d’esprit royaliste ;

– et préparer le coup de force pour établir la royauté.

Organiser l’état d’esprit pour rendre possible et facile le coup, viser le coup, ne jamais perdre de vue la visée, en travaillant de toute notre âme à fabriquer l’état d’esprit ; ces mots dits et écrits, n’apprennent rien à l’adversaire. Les maîtres de l’État savent depuis longtemps, ils ont même su avant nous que leur point faible n’est que là. Mais ils savent aussi qu’il est au-dessus de leurs forces, au-dessus des moyens accordés au régime, de remédier à cette faiblesse !

VIII. — Le coup de force et