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Chapitre 3 : Concepts et champs disciplinaire infirmier

3.5 Les savoirs infirmiers

Barbara Carper (1978) a identifié quatre savoirs spécifiques à la discipline qui ont été développés et affinés ensuite par plusieurs auteurs comme Chinn, Kramer, White et Munhall. Les infirmiers sont amenés à exercer leur profession dans le respect de ces savoirs qui sont considérés comme les clés de la discipline. Voici ces quatre savoirs :

Le savoir empirique

Le savoir empirique ou encore la science des Soins Infirmiers, apparaît vers la fin des années 50 suite à une prise de conscience que la discipline manquait de savoirs scientifiques propres. Pour que la discipline soit fiable, il lui faut développer ses propres savoirs, la discipline infirmière doit pouvoir se baser sur des preuves solides, sur des faits vérifiables ; on doit pouvoir argumenter sur la base de preuves scientifiques pourquoi on privilégie un

savoir-faire à un autre ; le savoir doit être scientifique, objectivable, descriptif et généralisable. Ainsi, on voit apparaître progressivement différents théoriciens de la discipline. L’évolution de la formation est représentative de ce phénomène. En effet, ces dernières années, la formation est passée à un niveau universitaire et il existe même désormais des Masters en Soins Infirmiers (Carper, 1978, Trad. libre).

Nos concepts sont définis dans la littérature ; on parle de plus en plus de qualité des soins. Le savoir empirique vise à améliorer la qualité des soins et pour ce faire, mis à part la nécessité d’argumenter la pratique infirmière de manière scientifique, les soignants doivent se sentir satisfaits dans leur profession afin de viser la performance et des soins de qualité.

Le savoir esthétique

Le savoir esthétique ou l’art des Soins Infirmiers, a vu le jour lorsqu’il y a eu une prise de conscience de la nécessité d’élargir le terme « savoir », et d’y inclure les aspects du savoir infirmier ne provenant pas d’une recherche scientifique. On a réalisé que le savoir infirmier n’était pas uniquement scientifique. Mis à part les habiletés manuelles et techniques de la pratique infirmière, l’art des soins infirmiers fait référence à l’acquisition d’un savoir par l’accumulation d’expériences irrationnelles en lien avec des situations qui ne peuvent pas toujours trouver une explication dans la science. La notion d’art étant très cloisonnante, la notion de savoir esthétique semblait plus appropriée. Le savoir esthétique renferme la notion

de subjectivité, ce savoir provient du vécu direct d’expériences spécifiques et uniques relatives à la perception de chacun alors qu’un savoir empirique se base sur des preuves scientifiques objectivables et vérifiables. Un exemple d’un savoir-faire esthétique est l’empathie, cette capacité à ressentir les émotions des autres afin de mieux comprendre ce qu’ils vivent, s’insère tout à fait dans le savoir esthétique. Plusieurs auteurs tels que Fawcett, Orem, Wiedenbach ou Dewey ont participé à la définition de ce savoir (Carper, 1978, Trad. libre).

Notre question touche la discipline infirmière. De ce fait, elle fait automatiquement appel à un savoir esthétique. Comment exercer notre « art » efficacement dans des contextes où l’environnement est stressant ? Nous pouvons émettre l’hypothèse que si les infirmiers se trouvent dans un environnement perçu comme stressant et insatisfaisant, cette perception négative pourrait influencer leur propre disponibilité à entrer en relation authentique et empathique avec le patient.

Le savoir personnel

Le savoir personnel est défini comme étant une manière d’être et de savoir fondamentale pour la discipline infirmière. Cependant, c’est l’un des plus problématiques car il est difficile à maîtriser et à enseigner. En effet, ce n’est pas facile de l’évaluer car il s’exprime par une présence vraie, authentique et montrant une certaine ouverture vers autrui. Ce savoir se base sur des expériences personnelles vécues par l’individu qu’on considère

comme un être unitaire, authentique et conscient. Il ne s’agit pas uniquement des relations que le soignant peut avoir avec autrui (interpersonnelles), mais aussi de la relation qu’il peut avoir avec lui-même (intrapersonnelle). En d’autres termes, c’est une compréhension de soi et de l’autre. Dans l’utilisation thérapeutique, l’infirmier rejette l’assimilation du patient à un objet, il visualise la relation soignant-patient comme une relation authentique entre deux personnes. De plus, il utilise son intuition en lien avec des expériences vécues afin de mieux comprendre une situation. La pratique infirmière peut être enrichie par un travail de réflexion et de partage par rapport à son vécu personnel (Johns, 1995, 2004; dans Pepin, Kérouac & Ducharme, 2010). Selon Munhall (1993), c’est une attitude personnelle à adopter pour comprendre l’autre (Carper, 1978; Pepin, Kérouac, & Ducharme, 2010).

En lien avec notre question de recherche, les conditions de travail difficiles et l’insatisfaction au travail peuvent fausser la relation entre l’infirmier et son patient. A cause du stress, l’infirmier ne peut pas donner le maximum de ses performances, ce qui diminue la qualité des soins qu’il fournit. Si l’infirmier lui-même n’éprouve pas une certaine satisfaction par rapport à son travail et à sa propre vie, il ne pourra pas se rendre disponible pour nouer une relation authentique avec son patient. La charge de travail et les conséquences psychiques que cela peut générer, ne lui en laissent pas la

possibilité. Pour prendre soin de l’autre, il faut déjà pouvoir prendre soin de soi-même.

Le savoir éthique

Le savoir éthique s’appuie sur des principes, des codes éthiques et concerne ce qui est bon ou juste. Les codes éthiques qui guident la conduite éthique de l’infirmier sont basés sur le principe fondamental du respect de la vie humaine. Ce savoir de la discipline découle des questions que l’infirmier peut se poser en réfléchissant à sa pratique qui est influencée par ses propres valeurs (Chinn & Kramer, 2008; dans Carper, 1978). Il englobe les décisions éclairées qui découlent de positions philosophiques relatives aux soins à effectuer ou non. En effet, le savoir éthique nécessite premièrement une compréhension des différentes propositions philosophiques sur ce qui est bon et juste ; deuxièmement, différents cadres éthiques permettant de faire face à la complexité des jugements moraux et, troisièmement, une variété d’orientations au sujet de la notion d’obligation. Certains choix soulèvent des questions fondamentales à propos des actions. En effet, l’infirmier identifie ce qui est moralement bien et/ou mal dans le cadre de la prise en charge du patient, dans le traitement et dans la promotion de la santé. Dans le cas d’une situation présentant des ambiguïtés et incertitudes, il peut surgir un dilemme éthique. Selon Durgahee (1997), le dilemme éthique permet de déterminer les contraintes pouvant être éliminées, améliorées ou acceptées (Carper, 1978; Pepin, Kérouac & Ducharme, 2010).

Se référant à notre question de départ, il nous paraît évident que dans des contextes où les conditions de travail, notamment la charge de travail, ne sont pas satisfaisantes pour les professionnels, les valeurs éthiques seraient difficilement prises en compte. Comment peut-on prendre des décisions éthiques de manière éclairée alors qu’on est surchargé de travail ? Lorsque le soignant travaille dans un environnement stressant, il subit des perturbations émotionnelles, psychiques et corporelles, il ne peut donc pas être au meilleur de ses capacités, ce qui peut affecter ses interventions de soins.