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Le savoir-écouter : une particularité du travail social non valorisée ?

CHAPITRE 3 : PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DE LA RECHERCHE

3.3 L ES OBSTACLES À L ’ ÉCOUTE

3.2.2.4 Le savoir-écouter : une particularité du travail social non valorisée ?

Je reviens, dans cette partie, sur les thèmes abordés au premier niveau puisqu’ils sont intimement liés l’un et l’autre. Premièrement, le fait que des participantes voient l’écoute comme quelque chose d’inné les amène aussi à présenter l’écoute comme un trait particulier des travailleuses sociales et, aux dires de Joane, Vanessa et Caroline, cette attitude ne s’apprend pas. Par exemple, lorsque les participantes parlent de la profession de travail social, une partie d’entre elles semblent dire que les travailleuses sociales, si elles ont choisi cette « vocation », c’est parce qu’elles savent écouter. Cette vision est tout à fait similaire avec ce que rapportent Benelli et Modak (2010), concernant les travailleuses sociales en Belgique et qui affirment qu’il faut avoir en soi cette disposition à l’écoute, pour exercer ce métier.

Julie : « On a quelque chose chacun en nous (…) »

Vanessa : « On n’est pas allé en service social pour rien » Caroline : « C’est presque une vocation »

Julie : « Et je pense que c’est l’écoute justement » Vanessa : « Le savoir-être »

Caroline: « (…) on a peut-être cette particularité en tant que travailleur social d’écouter même quand on dit "oui oui" et puis d'aller plus loin, c'est ça l'écoute pour moi »

(Entretien groupe1)

D’autres participantes, comme il a été souligné plus tôt, déplorent que l’écoute soit considérée comme un trait personnel particulier aux travailleuses sociales puisque cela fait en sorte que l’écoute est très peu approfondie dans la pratique, que ce soit au niveau personnel, relationnel, professionnel ou organisationnel. De même, si, comme Daniel, Marilyn, Joane et Caroline, on tient compte du fait que cette particularité du travailleur social est aussi tenue pour acquise par les enseignant(e)s et les dirigeant(e)s, alors on peut donc conclure que les instances mettent rarement en place, les conditions qui favorisent la prise de conscience continue de sa propre écoute et le travail sur soi qui permettent ainsi à l’écoute de se déployer. Cette constatation est étroitement liée au commentaire de Feldman(1976), cité dans le premier chapitre, qui affirme que les jeunes travailleurs sociaux vont rarement fournir les efforts pour travailler sur eux et sur leur écoute, surtout

dires de quelques participantes, l’écoute n’est pas une qualité valorisée dans certaines organisations.

Dans les CSSS, c’est beaucoup d’instrumentalisation et la relation, on dirait que c’est une qualité intrinsèque, on s’attend à ce que si je suis engagé, je sois un homme de relation parce que par nature je suis travailleur social. Mais on dirait qu’on la mesure pas, on ne cherche pas à l’apprécier, ce n’est pas ça qui va me faire perdre ou gagner ma profession. (…) On va chercher quelqu’un qui est efficace, organisé planifié, même si l’écoute est un petit peu moins là, (…) on dirait que c’est une valeur ajoutée l’écoute, mais on dirait qu’elle n’est pas au centre de mon travail. (Daniel entretien individuel)

Je ne sais pas s’ils (les décideurs) prennent cette conscience-là de l'écoute, je ne penserais pas, est-ce qu'il aurait place à...oui, est-ce que si de l'ouvrir, d'ouvrir ce sujet et de prendre cet espace-là vraiment, là oui, il y aurait probablement des prises de conscience de faites, mais concrètement dans le travail, non je trouve que ce n’est pas considérée. (Joane, entretien individuel)

Il semble aussi que, pour Marilyn et Daniel les approches concernant la personnalisation des services22 donnent une lueur d’espoir de voir ces espaces d’écoute se multiplier.

Au niveau de l’humanisation des services, il devrait toujours y avoir quelqu’un qui est prêt à écouter et de dire ben l’intervenant va te rappeler demain, je prends en note, juste pour calmer l’anxiété, ce faisant, reconnaître l’autre dans son besoin. (Daniel entretien individuel)

En effet, si l'organisation n'écoute pas les travailleurs de la santé et des services sociaux ainsi que les personnes à qui elle offre ses services, cela peut amener ces derniers à se désengager (Morin, Bossé, Carrier, Garon et Lambert, 2015 :147). Marilyn, pour sa part, semble se sentir impuissante devant les changements de mentalité que demande la personnalisation des services.

Traiter de l’écoute ça pourrait être très intéressant, avec tout le courant justement de personnalisation des services actuels, mais pour

22 "

La personnalisation des services de santé mentale peut être définie comme suit: des soins et des services de santé mentale centrés véritablement sur ce qui importe à la personne en termes de choix de contrôle et qui l’associent étroitement au processus d’intervention ne peuvent faire autrement que produire des changements porteurs de sens en regard des difficultés vécues par la personne et ses proches, s’il y a lieu" (Mind, 2009 dans, Morin, Bossé, Carrier, Garon et Lambert, 2015:136)

personnaliser les services il faut être à l’écoute des gens, c’est comme central, on peut tu faire comprendre ça, en haut, à quelqu’un! (Marilyn, entretien individuel)

D'ailleurs, dans les courants de pensée de la personnalisation des services, l'approche narrative et l’idée d’avoir plus d’espace de parole et d’écoute permettant de reconnaître l’autre, de considérer ses besoins du moment et ce qui importe pour lui-même est considéré comme un outil pouvant contribuer à humaniser les services et enraciner l'intervention à partir de l'histoire des personnes (Morin, Bossé, Carrier, Garon et Lambert, 2015 :138).