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CHAPITRE 3 : PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DE LA RECHERCHE

3.3 L ES OBSTACLES À L ’ ÉCOUTE

3.3.2.3 Les contextes défavorables à l’écoute

Comme mentionnés dans les précédents chapitres, les contextes sociaux, environnementaux, professionnels et organisationnels ont une influence sur l’écoute offerte (Purdy, 2000; Fassin, 2006). De fait, les participantes soulignent comment, dans certains contextes, l’écoute est plus difficile à maintenir. Marilyn présente d’ailleurs deux situations qui démontrent comment l’écoute peut être très difficile au téléphone ou dans un milieu informel, où il y a plusieurs témoins et que la confidentialité n’est pas garantie. De fait, il semble très difficile d’être à l’écoute lorsqu’il y a plusieurs témoins de l’échange, certaines participantes semblent s’inquiéter, plus que les personnes concernées, des effets de ce manque de confidentialité et cette inquiétude rend l’écoute difficile.

Cette dame-là est venue me voir pour me raconter son histoire, mais y avait des gens qui passaient qui nous écoutaient, et là moi je voulais la recadrer, et lui dire ben là ce n’est pas le moment. Mais en même temps je sentais qu'elle était en détresse, je voulais la tasser de coté, mais là y avait plein de citoyens dans le quartier qui étaient au courant de son histoire parce qu'elle avait ventilé avant avec d'autres personnes. Donc là je me disais, mais là c'est pas la place, c'est pas le moment, faut vraiment, je voulais être à l'écoute, mais en même temps je voulais qu'on aille à l'extérieur pour prendre un autre moment. (Marilyn, entretien groupe1) Marylin évoque aussi les difficultés que peut présenter l’écoute téléphonique :

Ça m'amène à réfléchir aussi sur l'écoute, le non verbal parle beaucoup, mais là tu l'as pas, tu es au téléphone. Le non verbal donne tellement d'informations et il y a tellement de filtres quand on est au téléphone (…) t'as pas toutes ces informations. C'est encore plus difficile, parce qu'on parle d'écoute depuis tantôt et l'écoute c'est aussi le non verbal, c'est aussi les gestes, une énergie qui se dégage, que toi t'as pas accès à ça. (Marilyn, entretien groupe1)

De ce point de vue, il apparaît qu’il existe plusieurs contextes qui font en sorte que les participantes ne trouvent pas les conditions favorables pour être à l’écoute et il semble que ce soit le cas autant dans le milieu communautaire qu’institutionnel. En effet, pour Marilyn et Sarah, le contexte informel de certaines pratiques en milieu communautaire peut rendre difficile la pratique d’écoute. Cela rappelle Fassin (2006) lorsqu’il parle des lieux d’écoute dans une ambiance décontractée loin du huis clos dont sont habitués les psychiatres, les psychologues et même plusieurs travailleurs sociaux. Tout comme cet auteur, les participantes semblent dire que bien que ce contexte d'écoute soit réellement souhaitable et bénéfique pour ceux qui la reçoivent, la position d’écoute est difficile à adopter dans ce contexte caractérisé par la spontanéité et l'imprévu. Par ailleurs, Sarah apporte un élément que partagent d’autres participantes. C’est-à-dire que l'intervenant va davantage écouter si la personne vit vraiment quelque chose de difficile, si elle est en crise, contrairement à une personne qui vient parler de son quotidien. De ce constat, on peut supposer que la pratique d’écoute, chez certaines travailleuses sociales en milieu communautaire, est plus axée sur l’écoute de la souffrance de besoins pressants à combler, plutôt que l’écoute de la personne en elle-même, l’écoute de ses désirs et de ses aspirations.

Mon contexte actuel qui fait que les gens débarquent à mon bureau, sans rendez-vous et ils ont le goût de jaser comme ça, mais là moi je suis en train de travailler, je suis dans un «rush ». (Marilyn, entretien groupe2) Des fois ça peut être dérangeant, si faut que tu tapes un rapport, nous autres non plus on n’a pas de secrétaire. Alors, j’accueille, je réponds au téléphone, j’anime le groupe, je peinture les murs, je sors les poubelles, des fois, un moment donné c’est étourdissant là. Ça fait peut-être un petit peu moins écouté, mais si la personne arrive en crise, là je vais l'écouter, mais si elle parle plus qu’elle est juste allée acheter telle affaire et, c’est ça y a divers degrés d’écoute ! (Sarah Entretien groupe2)

Dans une autre perspective, une participante apporte un bémol quant à la possibilité d’offrir une écoute pour soulager la souffrance de l’autre en fonction du contexte d'intervention. En effet, dans un premier temps, elle semble dire qu’en général, l’écoute n’est pas une priorité dans les situations d’urgence, c’est plutôt la sécurité de la personne qui est prioritaire, ce qui ne semble pas inclure une écoute. Aussi, selon elle, l’écoute n’est pas aidante pour la personne qui ressasse de vieilles blessures au risque de rouvrir celles-ci, surtout lorsque le contexte ne donne pas le temps de s’en occuper. De plus, le temps d’intervention prescrit par l’organisation ne lui permet pas non plus de toujours offrir cette écoute.

Je pense que quand on écoute trop des fois, ça met la personne à risque d’une autre façon (…) peut-être qu’un moment donné on éveille des choses et on n’a pas le temps ou la possibilité de le récupérer là. (Julie, entretien groupe1)

On est tout seul quand on travaille (…) j’ai eu 36 appels dans ma journée, l'écoute quand t'as tout ça qui rentre ça peut pas être biffé là, au niveau organisationnel y a cet enjeu-là. (Julie, entretien groupe1)

Déjà, on entrevoit comment les pratiques d’écoute peuvent être déterminées par les structures organisationnelles. En effet, bien que quelques participantes reconnaissent que l’écoute est à la base de leur travail, d’autres, et plus particulièrement les participantes qui ont pratiqué dans les milieux institutionnels, mentionnent qu’il est parfois difficile de trouver l’espace, le temps et la souplesse pour pratiquer cette forme d’intervention que peut devenir l’écoute.