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Santiago Sierra Ligne de 250 cm tatouée sur six personnes 1999 Espace Aglutinor La Havane – Cuba

CHAPITRE III INCISION : LA COUPURE ÉCRITURE

7- Santiago Sierra Ligne de 250 cm tatouée sur six personnes 1999 Espace Aglutinor La Havane – Cuba

8- Peter Greenaway – The Pillow Book – 1996 – 121 mn

9 - Marion Laval-Jeantet - Benoit Mangin - « Que le Cheval vive en Moi » - Performance Galerie kapelica / Ljubljana - 22 février 2011.

Conclusion

Dans ce mouvement incessant du dedans et du dehors la métaphore du ver à soie, de Jacques Derrida, pose la question de la création, de l’œuvre sortie de soi, se sortant d’elle-même. Une œuvre qui attire et intime d’y revenir.

« [...] ce qui m’importe ici, c’est que l’animal nommé ver à soie produit du végétal. Après avoir mangé – intimé, en somme – ses feuilles de mûrier, du végétal, le végétarien s’enferme, certes, il s’intime, mais il s’intime dans ce que la nature lui ordonne de faire sortir de soi, d’extimer [...], d’extérioriser ce qu’il est et qui vient de lui, qu’il garde ou qui le garde en le perdant : la soie comme soi-même. »143

Intime, Intimation sont aussi des mots dans lesquels Derrida s’est introduit par le jeu. « Écrire, sur intimation »144, propose Derrida. Paradoxe des termes qui connotent à la fois notre intimité et les univers de la justice et de l’Église. On dit intimer un concile mais aussi intimer à une personne de bien vouloir comparaitre devant la justice. « C’est la loi, qui est intimation »145. L’intimation fait référence à une acte juridique que l’on

reçoit, telle une injonction, un ordre. Nous sommes intimés, assignés, sommés de comparaitre devant la justice. L’intimation revêt alors l’allure d’un ordre donné à l’accusé ou au témoin, de se présenter devant la loi. Mais, poursuit Derrida, il est étrange de constater que l’origine d’intimation soit la racine « intimus » du mot intime, qui renvoie au « dedans » et à « dans ». Elle indique notre chez-soi, ce que l’on a de plus profond en nous, ce caché, cet essentiel, ce dedans qui est notre intériorité. Comment alors comprendre cet ordre, cet intimation que l’on reçoit à l’intérieur de nous-même, « chez-soi », obligeant notre corps à faire acte de présence « au dehors », à comparaitre devant le corps de la justice ? C’est ce corps, dans son rapport à l’incision, que nous avons tenté de parcourir.

143 Simon Hantaï avec Jacques Derrida, Jean-Luc Nancy, La connaissance des textes, lecture d’un manuscrit illisible, Éditions Galilée, 2001, p.151.

144 Ibid, p.143. 145 Ibid, p.145.

Quelques éléments ont été esquissés dans ce mémoire afin de repérer les enjeux esthétiques de la coupure dans son rapport au corps. Nous les avons envisagés en les confrontant aux rites initiatiques, au mythe de Marsyas, à la thématique de l’écriture, dans une mise en tension avec des créations artistiques contemporaines.

Nous avons abordé la coupure-lien au travers des rites initiatiques et de la fascination. Coup, écorchure, incision, mutilation, les blessures atteignent l’individu en y laissant une trace, une cicatrice dont la visibilité renforce l’intégration de l’individu dans la communauté. Le Body art et notamment Gina Pane mettent en jeu cette question du corps. Si les rituels initiatiques montrent des corps traités comme de simples morceaux de bois, le Body art envisage le corps comme un matériau sensible et participe de la Catharsis. Les gestes chamaniques de Gina Pane sont une façon de ritualiser cette souffrance.

Alors qu’ils étaient le signe de l’infamie, les tatouages acquièrent un autre statut, ils deviennent un trophée identitaire. Peut-être parce que le tatouage porte en lui la trace d’une vitalité antérieure. Quelle pourrait-être la place aujourd’hui de ce que Lévi- Strauss nommait l’ornementation ?

Nous avons tenté de saisir toute la puissance liée à l’évocation du sang et d’extraire les manipulations symboliques dissimulées derrière son langage et ses usages. Une ambiguïté se dissimule derrière ce fluide corporel suscitant le tabou menstruel. Selon l’anthropologue Edmund Leach, c’est parce-que les organes génitaux ont été rendus invisibles par l’effet d’un tabou, que les poils jouent un rôle de marqueurs de distinctions sexuelles. Le conflit a été réorienté vers le visage, donc vers les cheveux et les poils, par le mécanisme d’abréaction. Les œuvres de Aziz et Cucher dialoguent avec cet enjeu en mettant en scène une relation différente à la peau et au corps. Elle est envisagée dans son ambivalence sexuelle et dans un environnement aseptisé.

La question du dégoût en tant que réaction physiologique a été envisagée dans sa dimension psychique et comme processus d’exclusion sociale, tel que défini par Georges Bataille. Mais lorsqu’il côtoie l’immoral et la haine, le répugnant est esthétiquement impossible.

Pendant la période de la Renaissance, le corps humain et le corps monde ont été sujets à expérience lors des découvertes mises en œuvre notamment par Copernic et Vésale, provoquant un retournement de la pensée.

Nous retrouvons la métaphore de cette coupure-créatrice et de ce retournement avec le mythe de Marsyas. En s’appropriant la flûte d’Athéna, Marsyas s’empreint d’une partie invisible déposée par le souffle de la déesse. Il associe ainsi à sa propre enveloppe sonore celle d’Athéna. Cette enveloppe fait partie du concept du Moi-peau de Didier Anzieu. Cette approche a permis d’envisager le retournement de la peau dans sa dimension et sa mission esthétique. Le travail artistique de Berlinde de Bruyckere et la question de l’empreinte ont été envisagés au travers du mythe de Marsyas.

Nous avons aussi effleuré la question du lien entre la coupure-écriture et l’exercice de la violence. Le signe graphique de l’écriture a été envisagé par Claude Lévi-Strauss comme une technique de domination de l’homme sur l’homme, un instrument de pouvoir, qui se laisse percevoir du dehors, telle la parole. Si Jacques Derrida ne réfute pas le lien entre écriture et violence énoncé par Lévi-Strauss, il pose l’hypothèse d’une violence qui serait déjà inclue dans une écriture originaire du langage. Avec l’imaginaire de Kafka, la loi s’inscrit et prend le pouvoir directement dans le corps du condamné. C’est toute cette question du lien entre écriture et pouvoir qui est posée.

Le film de Peter Greenaway, The Pillow Book, envisage l’inscription sur le corps comme un messager du désir.

A l’instar de Kafka, Marion Laval-Jeantet choisit de se faire inoculer du Sang de cheval. Elle exprime par ce geste un désir profond d’appréhender l’essence animale du cheval par le geste de l’incorporation, elle écrit son propre ADN.

Nous avons commencé ce mémoire en interpellant le sang dans sa puissance évocatrice de vie et de mort au travers des rites initiatiques. Nous le terminons avec le geste symbolique de l’artiste Marion Laval-Jeantet. Recevoir du sang ou recevoir un organe, cela engage une réception, une « réceptivité ». En témoigne le vide laissé par l’organe prélevé, arraché, et l’accueil du don qui se met en place ou pas. Il s’agit de compter avec le réceptacle, son acceptation ou son refus. Quelque chose s’ouvre pour l’autre et en même temps, l’infection est possible.

Selon Dominique Lestel, le fait de « repenser les relations de l’homme [...] avec l’animal » 146, serait une façon de repenser l’identité de l’homme et celle de l’animal.

Le geste de l’artiste Marion Laval-Jeantet pose la question de l’accès à l’intériorité de l’animal. Si l’élément distinctif de l’espèce humaine est celui de la culture, Dominique Lestel démontre dans son livre Les Origines Animales de la Culture publié en 2001, que « les animaux ont des sociétés pour lesquelles une notion de culture » 147 peut être appliquée. Il définit la culture par « la complexité des phénomènes sociaux qu’elle engendre et par la transformation de l’animal impliqué en sujet »148. La thèse de

Dominique Leslie tient ainsi dans cette articulation entre culture et sujet. « Il n’y a pas de culture sans sujet et pas de sujet sans pratiques sémiotiques élaborées »149. Dans quelle mesure pourrait-on parler d’un animal-sujet ?

Cette problématique rejoint la question qui traverse le XXIème siècle, celle de l’identité de l’homme en tant qu’être humain, dans son rapport à la Nature.

146 Dominique Lestel, Les origines animales de la culture, Éditions Flammarion 2001, p.329. 147 Ibid, p.330.

148 Ibid. 149 Ibid, p.331.

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Catalogues d’exposition

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Articles

Berlinde de Bruykere – « Aucune vie perdue », In Artpress N°440, Janvier 2017, p.53. Art Orienté objet – Interview par Annick Bureaud, Artpress, Mars 2015.

Agnès Delage, « Résister dans l’extrême conformité : l’œuvre du plasticien Santiago Sierra » (Espagne- Amérique latine, 1990-2008) - Université Paris X Nanterre

Articles en ligne

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Livres d’artistes

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Sources en ligne

Roula Matar-Perret, « « Habiter poétiquement » », Critique d’art [En ligne], 37 | Printemps 2011, mis en ligne le 14 février 2012, consulté le 09 avril 2017. http://critiquedart.revues.org/1289 ; DOI : 10.4000/critiquedart.1289

Conférence « Trust me I’m an artist- Event 4 – Que le Panda vive en moi » – by Art orienté objet – Mis en ligne le 31/5/2012

URL: http://artscienceethics.tumblr.com/DuChevalAuPanda Performance: « May the Horse live in me » – Mis en ligne le 20/5/2011. URL: http://www.youtube.com/watch?v=yx_E4DUWXbE Sources audio

Michel Foucault, « Des espaces autres – Hétérotopies », Conférence au Cercle d 'études architecturales, 14 mars 1967 - desteceres.com/heterotopias.pdf

Gilles Deleuze, L’ABÉCÉDAIRE- Avec Claire Parnet, Éditions Montparnasse

Dictionnaires

Jean Claude Rolland - Les grandes familles de mots

Jacqueline Picoche - Dictionnaire étymologique du français

Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, Frédéric Godefroy, Vieweg, 1881, Édition en ligne,

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