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BMC C ANCER 2010;10:355.

2.3 S YNTHESE DES RESULTATS DE L ’ ETUDE COLOR

Les résultats publiés séparément mettent en évidence les leviers et les obstacles à la réalisation du dépistage par coloscopie des apparentés au premier degré d’un patient atteint de CCR avant 60 ans. L’analyse intégrative met en perspective des points de vue qui se complètent et s’enrichissent. Ces leviers et obstacles interviennent schématiquement à cinq niveaux i) les médecins et la communication avec le patient index, ii) le patient index et la communication avec ses apparentés, iii) la fratrie, ses caractéristiques psychosociales, son environnement, iv) l’examen de dépistage, et v) les médecins et la communication avec les apparentés du patient index.

Le tableau 3 synthétise les principaux éléments des publications précédentes illustrées par les résultats de l’analyse des questionnaires et des verbatims issus des entretiens.

Tableau 3 : Confrontation des points de vue des patients, fratries et médecins sur le processus de réalisation de la coloscopie de dépistage chez les apparentés au premier degré de patients atteint de CCR avant 60 ans

Les médecins et la communication avec le patient index

1. Le médecin est, dans la chaîne de transmission de l’information, le premier à dispenser l’information

2. 25 % des patients index ont dit ne pas avoir été informés des recommandations de dépistage pour leurs apparentés au premier degré.

3. Selon les patients, c’étaient plutôt les médecins spécialistes (88 %) qui leur avaient donné l’information. « Suite à mon opération, mon chirurgien m'a expliqué qu'il fallait que je

prévienne mes frères et sœurs de passer une coloscopie » (patient 149). « Sur les

recommandations de mon gastro-entérologue, j'ai informé mes frères et sœurs de l'importance du contrôle préventif » (patient 224). «….du dépistage des polypes » (patient 282).

4. Cependant, pour les médecins, même les patients qui ont reçu une bonne information, ne l’ont pas tous systématiquement bien intégrée. Dans l’étude quantitative, seuls 11 % des patients index ont dit ne pas avoir entièrement ou pas du tout compris les avantages du dépistage des polypes et des cancers colorectaux pour leurs apparentés.

Le patient index et la communication avec ses apparentés

5. Les médecins ne peuvent généralement pas informer les apparentés directement. « On n’a pas

le droit, ni de convoquer les apparentés, ni de les informer directement sinon on trahit le secret médical » (gastro-entérologue). « Le patient est la plaque centrale de son dossier »

8. Certains patients index avouent se sentir démunis pour inciter leurs apparentés à réaliser la coloscopie et ne pas toujours comprendre l’attitude de ces derniers. « Mon frère refuse de faire

un contrôle, malgré l'insistance de sa femme. Pourquoi ? Je ne sais pas » (patient 278). « Ma sœur m'a répondu très évasivement comme si elle ne se sentait pas concernée » (patient 204). « J'ai deux garçons, l’un est prêt (25 ans) pour le faire mais l’autre (31 ans) n'a pas pris la décision. J’aimerais bien que vous lui adressiez un courrier » (patient 112).

9. Pour répondre à cette demande les gastro-entérologues et chirurgiens proposent la création de supports d’information que les patients index pourraient transmettre à leur apparentés. « Si on

disposait d’un document clair, pour faciliter la consultation…». « Il faudrait diversifier les supports d’information ». « On pourrait aussi imaginer qu’un document d’information soit rédigé à destination des frères et sœurs sur la nécessité de se faire dépister (…). Ce document serait donné au patient qui le donnerait à sa fratrie. Cela leur permettrait d’avoir un support, un document qui leur faciliterait la démarche. Il pourrait se contenter de donner le document sans avoir à entrer dans les détails » (gastro-entérologue).

La fratrie, ses caractéristiques psychosociales, son environnement

10. Les apparentés doivent se sentir personnellement à risque. « On peut "trainer" malgré les

incitations des proches et des médecins » (fratrie 253). « Sur les 9 enfants de la famille, 2 sont décédés à 46 ans, 5 ont passé une colo (…) et sont suivis régulièrement pour des colos mais 2 ne veulent rien entendre » (fratrie 279).

11. Les individus observants ressentaient moins d’obstacles au dépistage. Certains autres facteurs psychosociaux étaient associés à l’observance : - vulnérabilé perçue,

- bénéfices ressentis, « Les dépistages de toute forme de cancer devraient être obligatoires dans

le but de soulager les esprits et de réduire les coûts des soins curatifs! » (fratrie 85). « Dans le domaine de la prévention, il faudrait rendre obligatoire le premier dépistage dans la tranche d'âge 45-50 ans (…); du coup cela contribuerait à la réduction des dépenses de santé... et éviterait tant de souffrances humaines » (fratrie 140).

- motivations, « C’est anticiper pour vaincre, ce n’est pas fataliste, je préférerais qu’il n’y ait

rien, mais s’il y a quelque chose ça ne sera pas trop tard » (fratrie 111).

- Support émotionnel, normes subjectives « Mon frère était méfiant, donc je lui ai dit que nous

irons ensemble » (fratrie 111).

- d’attitudes ou d’utilité perçue du dépistage. « Ayant 84 ans, je ne vois pas la nécessité de

passer des coloscopies » (fratrie 199).

Les médecins, quand à eux, ont peu parlé de ces facteurs psychosociaux propres à chaque individu.

12. la notion de peur qu’inspire l’idée de la maladie a été évoquée aussi bien par les fratries que par les médecins comme obstacle au dépistage.

La coloscopie

14. Les frères et sœurs observants avaient une perception plus élevée de l’accessibilité à la coloscopie.

Les médecins voient en particulier la multiplication des rendez-vous et ses répercussions en termes de temps et de coût comme un obstacle.

15. Les fratries et les médecins mentionnent la préparation du colon. « Il y a la lourdeur de la

coloscopie qui compte dans les freins et puis les risques aussi » (gastro-entérologue). « La préparation est gênante, j’ai eu des réflexions sur le lavement par l’infirmière » (médecin généraliste). « La coloscopie que j'ai subie a provoqué quelque perturbations dans mon transit intestinal pendant quelques mois. Je préférerais faire des tests hemoccult » (fratrie 298).

Les médecins et la communication avec les apparentés du patient index

16. Les frères et sœurs observants avaient été davantage informés des recommandations de

dépistage par un médecin. « Si la nécessité de faire le dépistage avait été suggérée par le corps

médical, ça aurait eu plus d’impact que par mes parents. Elle n’a pas été ressentie de façon obligatoire. Ça aurait accéléré le travail de dépistage, certainement. Dans la famille il y a beaucoup de cancer. Le corps médical a un rôle à jouer supérieur à ce qu’il fait » (fratrie 134). «Moi, j’ai pas mal de malades qui me disent : est-ce que vous allez me reconvoquer ? » (gastro-entérologue).

17. L’importance du rôle des médecins généralistes a été soulignée. « J'ai recommandé à mes

enfants de faire un dépistage et mon médecin traitant leur a expliqué » (patient 142).

18. Cependant dans certains cas, les patients ne signalent pas leurs antécédents familiaux à leur médecin généraliste ou le médecin généraliste n’explore pas systématiquement les antécédents familiaux. « Je n’ai pas signalé à mon médecin traitant le décès de mon frère » (fratrie 134). «

Le patient ne nous le dit pas forcément. Et c’est vrai qu’on ne prend pas le temps, en première consultation de lui demander, ses antécédents familiaux » (médecin généraliste). «… jamais mon médecin traitant ne m'a demandé si des membres de ma famille étaient atteints ou décédés d'un cancer » (patient 208).

19. Les médecins généralistes doivent être sensibilisés au dépistage des sujets à risque élevé de CCR « On travaille beaucoup avec les médecins généralistes, on s’est constitué un réseau,

qu’on a formé, sensibilisé et on a des médecins généralistes qui sont bien informés, qui connaissent bien les recommandations, actifs… Ils en ont des lectures très rigoureuses » (gastro-entérologue).

20. Les gastro-entérologues ont souligné les difficultés pour la fratrie à préciser le diagnostic du patient index. « Je crois que les patients ne peuvent nous dire si leur apparenté malade avait

40, 50 ou 60 ans au diagnostic, après est-ce qu’il faut vraiment être à 5 ans près ? ». « Difficile d’avoir accès au dossier du cas index quand on suit les frères et sœurs » (gastro-entérologues). LA COMMUNICATION ENTRE LES MEDECINS ET LES CAS INDEX (TABLEAU 3 N°1 A 4)

Le dépistage à caractère familial a cette particularité de placer le médecin devant la difficulté de donner au patient une information qui ne lui est pas destinée mais qui est destinée à ses apparentés au premier degré. Le médecin est, dans la chaîne de transmission de

dépistage des polypes et des cancers colorectaux pour leurs apparentés.

LE PATIENT INDEX ET LA COMMUNICATION AVEC SES APPARENTES (TABLEAU 3 N°5 A 9)

C’est ensuite au patient qu’incombe la responsabilité d’informer ses apparentés sur le dépistage, et même si les médecins considèrent qu’il est difficile de leur faire porter cette responsabilité, ils ne peuvent généralement pas informer les apparentés directement.

Parmi les patients index, 9 % n’en ont jamais parlé avec leur entourage. Dans l’étude quantitative, la transmission de l’information par le patient à ses apparentés est fortement associée à l’observance avec la plus grande force d’association. Certains patients index, ou leurs conjoints, si ces derniers étaient décédés, ont évoqué les motifs qui les ont incités à ne pas parler de leur maladie à leur apparentés. Il s’agissait principalement de l’impression qu’un ou plusieurs d’entre eux n’étaient pas en mesure de s’approprier l’information, du sentiment d’injustice puis de l’agressivité vis-à-vis de l’entourage et surtout du manque de communication familiale, obstacle qui a également été évoqué par les médecins.

Les médecins évoquent également, pour le malade, le déni ou l’incapacité de communiquer sur sa maladie. Le sentiment de culpabilité qui, selon certains médecins, pouvait entraîner des problèmes de communication au sein de la famille, a été évoqué par les patients index, mais peu et particulièrement vis-à-vis de leurs enfants et non de leurs fratries. Ces derniers ont surtout souligné l’importance de discuter de la maladie et du dépistage au sein de la famille.

Cependant, certains patients index transmettent bien l’information mais avouent se sentir démunis pour inciter leurs apparentés à réaliser la coloscopie et ne pas toujours comprendre l’attitude de ces derniers. Ils sont en attente de soutiens dans leur démarche.

LA FRATRIE, SES CARACTERISTIQUES PSYCHOSOCIALES, SON ENVIRONNEMENT (TABLEAU 3 N°10 A 13)

Lorsque les patients index, une fois informés, ont transmis cette information à leurs apparentés, ces derniers doivent se sentir personnellement à risque et décider de s’inscrire dans une démarche de dépistage.

L’importance des facteurs psychosociaux dans l’observance du dépistage, a été mise en évidence lors de l’étude quantitative et confirmée par la fratrie lors de l’étude qualitative. Les individus observants ressentaient moins d’obstacles pour le dépistage. Certains autres facteurs psychosociaux étaient (en analyse univariée) significativement associés à l’observance : vulnérabilité perçue, bénéfices ressentis, motivations, utilité perçue du dépistage, support émotionnel, et enfin normes subjectives. Les médecins, en revanche, ont peu parlé de ces facteurs psychosociaux propres à chaque individu.

Seule la notion de peur qu’inspire l’idée de la maladie a été évoquée aussi bien par les fratries que par les médecins comme obstacle au dépistage, même si les résultats de l’analyse quantitative n’ont pas montré de différence du score de gravité perçue entre les observants et les non observants. Certains patients refusent l’examen par peur de savoir et d’avoir le statut de « malade ». Les médecins évoquent également la difficulté de proposer un examen à des personnes qui se sentent en bonne santé.

L’EXAMEN DE DEPISTAGE : LA COLOSCOPIE (TABLEAU 3 N°14 - 15)

En ce qui concerne l’examen proprement dit, selon la fratrie et les médecins, des problèmes logistiques peuvent décourager le candidat à la coloscopie. Les frères et sœurs observants avaient une perception plus élevée de l’accessibilité à la coloscopie. Les médecins voient en particulier la multiplication des rendez-vous (l’anesthésiste, le gastro-entérologue puis pour la réalisation de la coloscopie), et ses répercussions en termes de temps et de coût comme un obstacle pour certains de leur patients. Tous ont également évoqué la préparation plus que la coloscopie elle-même. Selon les gastro-entérologues, la qualité de la préparation roitement de l’information personnalisée qu’ils ont donnée au patient en l’alertant

traitants se sont révélées importantes. Les frères et sœurs observants avaient été davantage informés des recommandations de dépistage par un médecin.

L’importance du rôle des médecins généralistes a été soulignée par les patients et leur fratrie, dont certains regrettent qu’ils ne relancent pas systématiquement leur patientèle. Les médecins généralistes sont une courroie de transmission dans le processus qui va conduire une personne à se faire dépister. Cependant dans certains cas, les patients ne signalent pas leurs antécédents familiaux à leur médecin généraliste. De surcroît, selon tous les protagonistes, le médecin généraliste n’explore pas systématiquement les antécédents familiaux, que ce soit lors d’une première consultation, et surtout lors de consultations itératives pour un motif éloigné d’une maladie intestinale et ce, quelle que soit la motivation du médecin généraliste vis-à-vis du dépistage du CCR.

Pour remédier à cela, les médecins généralistes doivent être sensibilisés au dépistage des sujets à risque élevé de CCR. Ils reçoivent de nombreuses recommandations, mais tous s’accordent pour dire que leur application est souvent trop complexe et trop peu précise.

Les gastro-entérologues ont souligné les difficultés pour la fratrie à préciser le diagnostic du patient index, et un membre de la fratrie d’un patient a relaté combien il avait été difficile pour le gastro-entérologue qui le suivait d’obtenir le diagnostic précis du patient index.

Selon l’ensemble des protagonistes, la communication entre médecins pour préciser l’indication est indispensable.

La synthèse de ce processus de communication entre tous les protagonistes revient à un gastro-entérologue.

L’étude COLOR1, fondée sur une approche mixte (méthodes qualitative et quantitative), intégrant les points de vue des médecins, des patients et de leurs fratries, apporte des réponses originales pour aider à comprendre le rôle et les attentes de chacun des protagonistes dans le dépistage ciblé du CCR et à identifier certaines initiatives qui pourraient permettre d’atteindre un meilleur taux de réalisation de la coloscopie.

On perçoit bien l’importance de la transmission de l’information. Le premier obstacle peut donc être l’absence de transmission par le médecin des recommandations de dépistage aux patients index ou la mauvaise appropriation du message par ces derniers. Pour soutenir la démarche de leurs patients, les gastro-entérologues et chirurgiens proposent la création de supports d’information que les patients index pourraient transmettre à leur apparentés et éventuellement ces derniers à leur médecin généraliste. Selon les fratries des patients index et selon les médecins, la transmission de l’information reçue par le patient à ses proches est donc un facteur important dans le dépistage ciblé du CCR, et l’accompagnement du patient pour relayer cette information serait, dans certains cas, nécessaire. On perçoit bien également l’importance qu’a l’ensemble des facteurs psychosociaux pour les apparentés dans leur attitude vis-à-vis du dépistage, facteurs qui ont été peu évoqués par les médecins. Ainsi il est possible d’envisager qu’agir sur ces freins émotionnels par une information personnalisée délivrée par une personne formée, en collaboration avec le médecin, pourrait améliorer la participation au dépistage ciblé.

l’information à leurs apparentés, ainsi que la prise en compte individualisée des facteurs psychosociaux pourraient permettre d’atteindre une meilleure participation des parents du premier degré à la coloscopie de dépistage. Ces initiatives concerneraient donc l’ensemble des maillons de la chaîne de transmission de l’information, les médecins spécialistes et généralistes, les patients index et leurs apparentés.

S’il a été montré que des interventions personnalisées pouvaient modifier les comportements de santé dans de nombreux domaines [Ruffin et al 2011] et en particulier pouvaient améliorer les taux de participation au dépistage du cancer du CCR dans des populations qui n’étaient pas à risque élevé de CCR [Ling et al 2009, Percac-Lima et al 2009, Powe et al 2010, Menon et al 2011, Rawl et al 2012, Christy et al 2013], seules de rares études qui s’appuyaient sur des interventions personnalisées ont été réalisées dans le contexte du dépistage ciblé des sujets à risque élevé de CCR et celles-ci aux USA exclusivement [Marcus et al 1999, Marcus et al 2005, Glanz et al 2007, Rawl et al 2008, Manne et al 2009, Glenn et al 2011, Lowery et al 2012, Kinney et al 2014, Lowery et al 2014].

L’objectif de l’étude COLOR2 était de tester l’efficacité d’une intervention personnalisée, sous forme de l’envoi d’une plaquette d’information puis d’appels téléphoniques par une infirmière de prévention, sur la participation au dépistage des fratries d’un patient atteint de CCR ou d’adénome avancé avant 60 ans. Les fratries avec des antécédents familiaux d’adénomes avancés n’étaient pas incluses dans l’étude COLOR1, mise en place avant la parution des recommandations de l’ANAES 2004. L’intervention proposée a pris appui sur les modèles de prévention validés dans le contexte du dépistage ciblé du CCR en France dans l’étude COLOR1 et sur la méta-analyse de Noar [Noar et al 2007]. Pour

dans le domaine de la Santé) le 16 septembre 2010 (dossier n° 10.408). L’autorisation de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) a été délivrée le 18 novembre 2010 (Décision DR-2010-269). Un avis favorable à la conduite de cette étude a été émis par le Comité de Protection des Personnes (Ouest III) le 6 septembre 2010 (protocole n°10.07.13).