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La persistance laitière n’est pas mentionnée explicitement comme une adaptation à la restriction alimentaire par les éleveurs lorsqu’il s’agit de discriminer des individus du troupeau entre eux pour les choix de renouvellement et réforme. On constate d’ailleurs que la sélection ou réforme sur la persistance laitière est étendue dans l’échantillon et n’est pas l’apanage des élevages les plus « pastoraux ».

D’autre part, la comparaison des données de terrain et de la bibliographie suggère que l’exposition à la contrainte alimentaire est moins forte qu’auparavant, pour les brebis en lactation en période hivernale. En effet, les entretiens conduits en Corse indiquent que les éleveurs apportent du concentré systématiquement en hiver et souvent jusqu’à la fin de la lactation, à l’inverse de la diversité de stratégies de complémentation en concentrés mentionnées pour la Corse par Vallerand et al (1991) et dans des quantités souvent supérieures à celles mentionnées dans les années 90 par le même auteur. La complémentation en foin est plus variable, soit systématique soit apportée lorsqu’il y a déficit fourrager hivernal. En Thessalie, on observe la même tendance à la diminution de la contrainte alimentaire qu’en Corse, avec un rôle du concentré et du foin dans la couverture des besoins énergétiques du

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troupeau bien plus élevé qu’en Corse à l’année, et un apport systématique de concentré et de foin a minima en début de lactation.

Les résultats présentés dans le Chapitre 3 indiquent que la persistance laitière est généralement exprimée à travers le nombre de mois pendant lesquels la production laitière se maintient, ou encore sa régularité sur l’année. La description de la persistance laitière par l’éleveur est donc celle une réponse productive globale à l’échelle de la campagne laitière sans que l’éleveur ne précise de couple contrainte-profil de réponse sur un pas de temps plus précis, excepté, dans quelques cas, en relation avec le stress thermique. La sélection sur la persistance laitière à l’échelle de la campagne pourrait donc ressortir d’une sélection indirecte (consciente ou non) sur l’élasticité de la réponse animale, autrement dit la capacité à revenir à un seuil de production « initial » après une perturbation (Sauvant et Martin, 2010). Enfin quelques éleveurs de Thessalie évoquent une chute de la production laitière consécutive au sevrage des agneaux en race locale, qui fait écho aux stratégies de priorisation de l’investissement maternel au détriment de la lactation après sevrage mentionnée par Blanc et al (2006). Cette réponse animale pourrait évoquer un compromis dans l’allocation des ressources réalisé par l’animal en situation de contrainte alimentaire, mais est plutôt justifiée par les éleveurs comme un échec de sélection de la race, qui reste orientée vers des fonctions autres de celle de production laitière.

Au vu de ces éléments, nous faisons l’hypothèse que les restrictions alimentaires temporaires sur la campagne laitière sont soit :

(i) Inexistantes ou d’intensité trop faible pour que l’éleveur puisse distinguer des réponses individuelles différenciées pouvant orienter ses choix de renouvellement interne et de réforme

(ii) Existantes à des moments très précis de la campagne et associées à une chute de la production laitière. Les données collectées sur le renouvellement et la réforme ne permettent toutefois pas d’identifier cette association.

L’identification des périodes de restriction alimentaire ne peut pas s’observer à travers un bilan nutritionnel considérant la campagne laitière toutes saisons combinées (tel que réalisé en Chapitre 6 pour la Corse et Annexe 3 pour la Thessalie).

D’autre part, les éleveurs qui subissent en routine une chute de la production laitière hivernale généralisée à tout le troupeau, en particulier à cause du froid, peuvent considérer cette réponse comme inévitable et reporter leurs exigences en termes de renouvellement sur la capacité de rebond de printemps ou sur le nombre de mois pendant lesquels la lactation se maintient à un niveau acceptable. Suivant cette logique, nous faisons l’hypothèse que la résistance au stress thermique est sélectionnée, de façon consciente ou non, à travers la sélection sur la persistance laitière de façon plus étendue que ce que ne montrent nos résultats (corrélations entre TOIs considérées par les éleveurs, Chapitre 5).

Pour approfondir ces hypothèses, il faudrait notamment caractériser les courbes de lactation individuelles (ou la courbe de lactation des mises-bas précoces) obtenue en routine, dans les différents environnements biophysiques, en identifiant les chutes hivernales et rebonds printaniers liés aux variations climatiques et aux variations de nature d’offre fourragère. Cela pourrait permettre d’identifier les couples contraintes-profil de réponse en jeu dans les deux régions d’élevage et servirait comme support de discussion pour expliciter les choix de l’éleveur sur le renouvellement et la réforme. La performance du troupeau pour un trait donné influence

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en effet les préférences des éleveurs pour ce trait (Slagboom et al, 2016). Enfin, en Thessalie, la recherche de mise-bas en plusieurs groupes pour une continuité de livraison sur l’année implique une moindre exigence vis-à-vis de la persistance laitière des groupes les plus précoces et une plus grande difficulté à connaître le stade de lactation des individus, compte tenu de la distribution des mise-bas mais également de la grande taille des troupeaux.

Cette question aurait donc nécessité un traitement spécifique pour pouvoir être traitée de façon complète : (i) l’identification de l’ensemble des facteurs de chute de la production laitière dans chaque élevage, par leur énumération systématique et leur discussion un à un avec l’éleveur, (ii) l’identification des périodes de restriction alimentaire sur la campagne et celle des réponses animales (production, reproduction, état corporel) composant la réponse troupeau, à l’image de l’étude d’Ollion et al (2015) en vaches laitières, et (iii) la confrontation de la composition phénotypique de troupeau ainsi définie aux règles de décision de l’éleveur pour le renouvellement et la réforme.

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Caractérisation de la composition phénotypique de