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« La recherche qualitative […] a pour objectif de sélectionner des individus qui soient typiques d’une certaine catégorie de personnes. Ce caractère typique ne peut être établi que par la prise en compte d’éléments externes au cas étudié. […] Contrairement à la représentativité statistique qui s’obtient en amont de l’analyse sociologique, le caractère typique ou atypique d’un comportement ne peut être établi qu’à la suite d’un raisonnement sociologique. » (Coenen-Huther, 2003 :72)

La détermination des techniques de cueillette de données effectuée, il convient à présent de préciser la stratégie générale d’échantillonnage qui permet leurs mises en œuvre. La pensée technique s’établissant à la croisée de plusieurs éléments du contexte social de la recherche scientifique, une telle stratégie s’établit avant tout selon l’orientation théorique retenue dans le chapitre précédent, permettant de sélectionner les meilleurs acteurs et documents ainsi que le meilleur terrain pour notre recherche. L’échantillonnage théorique permet ainsi d’échapper à l’aspect aléatoire du choix des données, favorisant la généralisation à partir d’un ciblage précis (Silverman, 2003). J’ai donc choisi les chercheurs en fonction de leurs rapports privilégiés à l’instrumentation, les documents en fonction des recherches

menées par ces mêmes chercheurs, tout en prenant en compte le contexte de la recherche au Québec.

3.2.1 : L’instrumentation et le choix des chercheurs

En se concentrant avant tout sur la fabrication des instruments et la diffusion de leur utilisation, plutôt que sur la démarche scientifique classique d'explication du réel, les chercheurs constituaient un point de départ logique pour ma recherche sur la pensée technique à l’œuvre dans l’exploration du Nanomonde. Toutefois, leur rareté m’a rapidement amené à diversifier mon approche, pour intégrer les chercheurs qui, sans être directement qualifiés de technico-instrumentaux, tendent par leur recherche à se positionner comme tels, malgré un ancrage institutionnel déclaré52. La conduite des entretiens se fit ainsi avec quatre étudiants en maîtrise, cinq étudiants en doctorat et un post-doctorant, ainsi que trois chercheurs confirmés. Ces treize entretiens constituent un échantillon qui, bien que limité en nombre, assure une représentativité des pratiques d’exploration du Nanomonde à partir du « filtre » que constitue la recherche sur les nanomatériaux.

Plutôt que d’établir un échantillonnage horizontal (l’ensemble des membres d’un groupe de recherche), j’ai cherché à établir un ensemble vertical de répondants, permettant ainsi de maintenir une continuité entre la formation à l’exploration du Nanomonde, le contexte institutionnel de la recherche, et l’apprentissage du savoir- 







52 La recherche technico-instrumentale apparaît ainsi dans cette recherche, comme cela était évoqué dans le chapitre précédent, comme une heuristique, au sens « d’une hypothèse dont on ne cherche pas à savoir si elle est vraie ou fausse, mais qu’on adopte seulement à titre provisoire, comme idée directrice dans la recherche des faits » (Lalande, 1926). L’expression anglaise de working hypothesis est également représentative de cette démarche.

faire pratique. Finalement, pour des raisons d’indisponibilité, de taille des équipes de recherche et de barrière de la langue, 11 des 13 répondants provenaient du même groupe de recherche (qui compte tout de même une quarantaine de membres) d’une université francophone, les deux autres appartenant à un groupe plus restreint (une douzaine de membres) d’une université anglophone. Cela me conduit à spécifier le rôle essentiel des contextes québécois et canadien, à la fois dans l’échantillonnage des entretiens et des articles scientifiques, mais également dans le choix du terrain de recherche.

3.2.2 : Documents et terrain de recherche : le contexte québécois

Le choix d’effectuer mon terrain de recherche au Québec (plutôt qu’en France où la possibilité m’était également offerte), a été motivé par la position unique qu’occupe le Québec dans la recherche mondiale. Au carrefour des influences américaines et européennes, l’identité de la recherche québécoise en nanotechnologies est définie par un important apport du domaine public dans les financements de recherche (sur un modèle proche de celui de l’Europe), et sur un dialogue de plus en plus accentué entre universités et industries (comme cela peut se faire, en plus développé, aux États-Unis). Le meilleur exemple de cette dualité est sans doute NanoQuébec, fondé aux débuts des années 2000 à la suite de la création de la National Nanotechnology Initiative aux Etats-Unis :

« Créé précisément afin d’assurer la compétitivité internationale du Québec et du Canada dans le domaine des nanotechnologies, NanoQuébec est un organisme sans but lucratif financé principalement par le Ministère du Développement Economique, de l’Innovation et de l’Exportation et par Développement Economique Canada. Visant à faire le pont entre le milieu universitaire et l’industrie, NanoQuébec a notamment pour but d’accélérer la commercialisation des recherches en nanotechnologies. » (Lafontaine, 2010 :99)

Cette initiative, comme l’a révélé la recherche de Céline Lafontaine, est loin de faire l’unanimité auprès des chercheurs en nanotechnologies. Elle constitue pourtant un modèle de gouvernance technoscientifique unique dans l’histoire du Québec, justifiant bien l’idée d’une nanohype (Lafontaine, 2010). De ce constat d’une double originalité (identitaire et historique), la situation des nanotechnologies au Québec fournit un observatoire des pratiques inspirées à la fois par la compétitivité internationale et par la volonté de créer un modèle typique pour les nanotechnologies.

Ces considérations m’ont amené à deux conclusions lors du choix des publications scientifiques et du terrain de recherche. La première est que les publications devaient concerner des recherches en cours (ou ayant eu lieu) grâce à un financement du gouvernement québécois ou canadien. La publication d’une boursière du gouvernement canadien sur la caractérisation optique des nanotubes à doubles parois répondait, par exemple, à ce critère. Pour donner un ordre d’idée de la sélection d’un tel critère, une quarantaine de publications ont ainsi été sélectionnées

(la liste complète est présente en Annexe). La deuxième conclusion est que le choix du terrain de recherche devait s’établir autour de la tension entre tradition européenne et tradition américaine. Pour ce faire, j’ai choisi comme terrain de recherche, après des rencontres préliminaires avec des directeurs de groupes de recherche, l’Université McGill, anglophone, et un groupe de recherche dirigé par un chercheur ayant été formé en Europe, et l’Université de Montréal, et un groupe de recherche dirigé par deux chercheurs formés aux États-Unis. Ce choix m’a permis d’inclure la spécificité du contexte québécois comme élément de la recherche. A titre d’exemple, il apparaîtrait difficile de comprendre la portée sociologique de l’investissement de 2 millions de dollars consentis par l’Université de Montréal pour l’achat d’un instrument nécessaire à la recherche d’un des chercheurs interrogés sans tenir compte du contexte de financement public et des rapports avec l’industrie que celui-ci induit.

La prise en compte du contexte québécois est donc essentielle pour établir un échantillonnage pertinent des documents. Elle me permet également d’introduire le déroulement général de ma recherche, qui ne s’est pas fait sans heurts.

3.3. Éléments méthodologiques et déroulement factuel de la