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A- Missions et objectifs de l’exposition

4) La sélection des œuvres

Au sein de l’exposition, quel type de peintures et sculptures montre-t-on réellement au public américain ?

A Brooklyn comme à Dallas, sur les 137 œuvres présentées (Annexe 9), 36 sont des peintures (26%), 30 des photographies (22%), 19 des objets d’art (14%), 13 des sculptures (9%), 16 se rattachent aux arts graphiques (12%), 12 se rapportent à l’architecture (9%), 6 sont des films (4%), 5 sont des livres (4%). L’exposition est donc bien pluridisciplinaire comme Nash, Rigaud et Laclotte l’annonçaient en introduction de catalogue.

D’autre part, parmi les œuvres exposées (Annexe 11), 76 proviennent d’acquisitions, 29 de dons, legs ou dations, 22 résultent de dépôts. Plus intéressant encore, parmi les 76 acquisitions, 63 ont été achetées entre 1979 et 1984, soit 46% des œuvres exposées (Annexe 12). Le reste provient soit d’achats au Salon ou du Musée du Luxembourg, soit d’achats antérieurs à 1979. Presque la moitié de ce qu’on expose aux États-Unis provient donc d’acquisitions récentes destinées à la construction du musée du « nouveau XIXe siècle. » Nous reviendrons plus tard sur les enjeux que représente une telle sélection.

Comme semblait le suggérer la campagne de communication, les impressionnistes et leurs successeurs ont l’avantage numérique (Annexe 10). 43% des œuvres peuvent en effet être rangées sous l’étiquette « postimpressionniste» ou « impressionniste ». 37% des œuvres en revanche sont des œuvres académiques. 8% proviennent par ailleurs d’écoles étrangères et 8% sont affiliées au mouvement réaliste. Enfin 2% appartiennent à l’école Barbizon et 2% sont de peintres symbolistes.

La représentation des impressionnistes ou postimpressionnistes à un taux de 43% au sein de l’exposition est aisément explicable. On sait en effet que sont ces artistes qui séduisent le plus le grand public. En effet, dans les articles de presse publiés autour de l’exposition les artistes mentionnés le plus souvent sont Monet,

Cézanne, Renoir, Bonnard, Manet, Degas, Courbet, Gauguin, Daumier, Rodin, Sisley, Toulouse-Lautrec (Annexe 13) En termes d’illustrations, les œuvres les plus reproduites sont celles de Renoir dans 28% des cas, celles de Monet et de Sérusier dans 12% des cas, celles de Degas dans 11% des cas et celles de Gauguin dans 7% des cas (Annexe 14). Au regard de ces informations, il semble donc que les organisateurs ont voulu s’accommoder du goût des Américains, friand de ce type de peinture. Il se peut aussi que les organisateurs ressentent eux-mêmes cette préférence. Mais que déduire des 37% d’œuvres affiliées à l’art pompier ? La présence d’œuvres d’art de ce type au sein de l’exposition semble trahir une tendance révisionniste, celle-là même envers laquelle Michel Laclotte émettait des réserves. Les organisateurs sont-ils partisans de cette tendance ou tentent-ils de l’implanter pour paraître dans l’air du temps et séduire une cible bien précise dans le public américain ?

La relation des Américains à l’art pompier remonte à loin. On sait que des artistes comme Bouguereau ou Gérôme ont bénéficié de leur vivant de la générosité de mécènes américains. C’est pourquoi de nombreuses toiles pompier sont parties aux États-Unis à la fin du XIXe siècle. Louis d’Argencourt explique ainsi que

La clientèle française de l’artiste est rejointe dès les années 1860 par une riche clientèle internationale dont les représentants les plus visibles allaient être les milliardaires du Nouveau Monde, aussi désireux d’orner les murs fraîchement plâtrés de leurs somptueuses demeures que pressés de bâtir le socle de leur culture future. […] Alors que les Français choisissaient de garder pour eux les grandes pages religieuses, mythologiques ou allégoriques de celui qui devait susciter tant de malentendus, aussi bien après sa mort que de son vivant, la partie la plus exquise de son œuvre quittait la France. Les « fileuses » de Bouguereau filaient vers d’autres cieux, ses « moissonneuses » et ses « bergères » foulaient de leurs pieds nus des herbages plus hospitaliers et la lueur de ses « aurores » allait dévoiler des horizons

plus larges. 89

MaisRobert Isaacson ajoute que si « ces collections avaient été celles d’une génération d’Américains, la première à avoir consacré de vastes sommes d’argent à l’acquisition d’œuvres d’art 90», la seconde génération se tourna vers les maîtres

anciens et la troisième vers les peintres modernes. Comme en France, les pompiers

!

! BUROLLET 1984 p.95-103

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! BUROLLET 1984, p.104

seraient alors tombés dans l’oubli, dénigrés en faveur de l’avant-garde pour n’être réhabilités que dans les années 1960-1970.

Lorsqu’il évoque la genèse du courant révisionniste 91, Zerner et Rosen

soulignent la part importante que jouèrent les Anglo-saxons dans cette réhabilitation. Il citent notamment l’exposition sur Gérôme au Dayton Art Institute aux Etats-Unis en 1984 ou une autre consacrée à Bouguereau en 1984 au Wadsworth Atheneum de Hartford. Toutefois, les auteurs soulignent que de telles expositions ne parviennent jamais à concurrencer celles dédiées aux maîtres établis de l’avant-garde. La rétrospective consacrée à Manet en 1983 au Grand Palais ou celle de Renoir à Boston en 1986 attire un tel public que la visite de l’exposition en devient presque désagréable. A l’inverse, bien que Bouguereau attire l’attention des universitaires et des marchands d’art, ses œuvres n’engendrent qu’un faible enthousiasme chez le grand public.

Si la presse et le visiteur lambda américain ne semblent pas particulièrement sensible aux charmes des pompiers, est-ce alors pour les universitaires et les conservateurs américains que 37% des œuvres exposées sont de style académique? Voilà encore une question qu’il nous faut éclaircir. Mais avant de nous y atteler, examinons d’abord le point de vue émis par le dispositif de présentation et l’auteur du catalogue.