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D- La spécificité de la réception anglo-saxonne

3) Au même moment en France

Anne Lafont souligne qu’en France, « l’histoire de l’art n’est pas non plus restée « parfaitement imperméable aux redéfinitions des humanités initiées par la bien nommée French Theory sur les notions d’auteur, de grand récit, d’universalité et autres catégories englobantes remises en cause par la théorie littéraire et les sciences sociales depuis les années 1970  38». « Pierre Francastel, Jean Laude et Louis Marin

ont marqué la vie intellectuelle des historiens de l’art enclins à donner une place accrue aux images, aux objets, aux systèmes de représentation et une place moins importante à la biographie des grands artistes ou à la reconstitution obsessionnelle de leur œuvre par le biais de catalogues 39.» D’autre part dans les années 1970-1980, la

revue et le colloque, «deux supports de travaux collectifs, transitoires et exploratoires  40» ont été propices à l’expérimentation intellectuelle. En 1978, Jean

Laude fonde la revue Le Truchement en 1978 et s’intéresse aux « liaisons entre les

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! REES ET BORZELLO 1986. BANN, Stephen. « How revolutionary is the new art history? » p.

37 19-38 ! LAFONT 2012 p.6 38 ! LAFONT 2012 p.6 39 ! Ibid. 40

cultures, sous l’angle de l’histoire de l’art et de l’anthropologie  41». Il pense « le

rapport de l’artiste à ses textes, à ses théories, et à ses œuvres  42» et l’histoire de l’art

en relation avec l’histoire des idées, des représentations, des systèmes de pensée. Pour Laude, il n’est pas « concevable d’étudier l’histoire de l’art au XXe siècle sans connaître l’histoire de la linguistique et de la sémiologie  43», sans étudier la

psychanalyse ou réfléchir aux mythes.

En 1976, Yves-Alain Bois et Jean Clay entourés de Jean-Claude Lebensztejn, Hubert Damisch, Rosalind Krauss et Henri Zerner fondent la revue Macula. Celle-ci collabore avec des revues internationales telles que Critiques, Obliques, Artforum,

October, Parachute et Les Cahiers du Cinéma. Selon, Lafont, l’ambition de Macula

était de ne pas se limiter au formalisme et de « retourner » le champ théorique. A partir du milieu des années 1970, les disciples de Pierre Francastel développent une théorie de l’art qui intégrait la « dimension sociale et politique à l’histoire des formes et des artistes 44» et qui recoure à des outils théoriques tels que la sémiotique, la

linguistique, la psychanalyse. « A ce titre, la figure et les travaux de Nicos Hadjinicolaou qui écrivit sa thèse intitulée La Lutte des classes en France dans la

production d’images de l’année 1830 sous la direction de Pierre Francastel et la

transforma en un livre radical : Histoire de l’art et lutte des classes 1973 s’avèrent déterminants 45». En effet, c’est bien à la suite de cet ouvrage « sans concession pour

les idéologies encore en vigueur dans la discipline histoire de l’art – y compris celle pratiquée par Pierre Francastel- de la France giscardienne et à la suite des élections de Jacques Thuillier au Collège de France que fut fondée autour d’Hadjnicolaou, du conservateur et spécialiste de l’estampe Michel Melot, de l’artiste et historienne de l’art Hélène Hourmat la revue Histoire et Critique des Arts  46».

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! LAFONT 2012. p.7 41 ! Ibid. 42 ! Ibid. 43 ! Ibid. 44 ! Ibid. p.7-8 45 ! Ibid. p.8 46

Pour Lafont, « cette revue est exceptionnelle par son projet éditorial, par sa durée, par son internationalisme et par son anticipation de la nouvelle histoire de l’art  47». Elle ajoute que « ces jeunes historiens de l’art militant contre l’énarchie de la

culture, s’inscrivirent dans la filiation de l’histoire de l’art sociale d’inspiration marxiste et s’engagèrent à unir leur force pour préparer le changement nécessaire  48».

Leur objectif était «de faire d’Histoire et Critique des Arts un instrument d’information qui tenterait de briser ce qu’on veut apparemment cloisonner pour éviter des contaminations : expositions d’art contemporain – recherche universitaire — musée. Enfin l’association organisa également en marge de la revue, des cycles de conférences et des colloques qui donnèrent un premier auditoire français aux personnalités les plus lues à travers le monde aujourd’hui : Horst, Bredekamp, Timothy James Clark, Klaus Herding, Linda Nochlin, Martin Warnke… tout en nouant des correspondances scientifiques avec le groupe américains d’historiens de l’art marxiste fondé en 1975, dont faisaient partie Albert Boime, Michael Baxandall et Serge Guilbaut  49». En France, malgré le rôle joué par les étudiants en art dans les

soulèvements de Mai 1968, la New Left n’établit donc un collectif d’historiens de l’art que bien plus tard, en 1977 avec le groupe Histoire et Critique des Arts. Cette association resta toutefois en marge des réseaux traditionnels d’histoire de l’art en France et ne parvint jamais à s’imposer réellement au sein du musée ou de l’université. Elle subsista néanmoins de 1977 à 1980.

A la veille de l’inauguration d’Orsay, les réseaux traditionnels de l’histoire de l’art en France sont néanmoins conscients des changements qui perturbent la discipline. La Revue de l’Art publie ainsi une version révisée de l’essai de Hans Belting « La Fin de l’Histoire de l’Art ? » où André Chastel souligne en préambule «qu’il serait conforme à la vocation de la Revue de l’Art de présenter des études et réflexions d’origine diverse sur les principes et les modalités de l’histoire de l’art 50 ».

Dans cet essai resté célèbre, Belting analyse les défauts de l’histoire de l’art

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! LAFONT 2012, p.8 47 ! Ibid. 48 ! Ibid. 49 ! CHASTEL 1985, p.4 50

traditionnelle. Il souligne que les historiens de l’art ne croient plus en une histoire universelle telle que Vasari l’avait imaginée, où l’œuvre d’art est présentée comme autonome et où il n’est rarement question d’autre chose que de style. Les historiens de l’art se tournent désormais vers une histoire de l’art qui inscrit les objets dans leur contexte social. Mais pour Belting, le changement d’orientation de l’histoire de l’art remonte aux origines du modernisme lorsque l’avant-garde répudia la tradition et imposa la création de deux histoires de l’art, l’une pré-moderne, l’autre moderne. Belting encourage les historiens d’art à accorder plus d’attention à l’art contemporain pour soigner cette fracture historique et imiter son intérêt pour l’historicité. Une nouvelle histoire de l’art pourrait en effet se développer qui n’établirait pas de distinction entre l’art et l’étude de l’histoire. Si pour Belting, le post-modernisme a anéanti la séparation entre l’art et la vie, pour Eric Fernie 51 qui commente son essai en

1995, les principes héroïques du modernisme sont encore d’actualité car ils restent pour beaucoup, plus compréhensibles que les références ironiques du post- modernisme et Orsay nous le verrons reflète en partie cette ambivalence.

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