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CHAPITRE II. — Sécurité économique

B. La sécurité de ressources familiales

Aux allocations familiales proprement dites mises en place dès la fin de la seconde guerre mondiale pour garantir la subsistance de toute famille, en toutes circonstances, se sont

ajoutées au fil des années un certain nombre de prestations pour des situations particulières. Les années 1970 ont été marquées par la création de nouvelles allocations sous condition de ressources, par la suppression de la condition d'activité du chef de famille, par une volonté de simplification administrative dans la gestion des prestations. Le Rapport sur « La politique familiale globale » présenté par M. Burnel devant le Conseil économique et social en 1981, contient un historique détaillé de l'évolution des prestations familiales et de leur conception.

Aujourd'hui toutes les familles de 2 enfants et plus bénéficient des allocations familiales. Un certain nombre de situations néanmoins n'y ouvrent pas droit, notamment : les familles ayant effectivement à charge des enfants de plus de 17 ans qui ne sont plus scolarisés, ne poursuivent aucune formation et n'ont pas de travail. Cette absence de couverture pénalise particulièrement les familles les plus pauvres, dont les jeunes souvent sans qualification, sont touchés par le chômage dans des proportions élevées (cf. 1" partie, chapitre IV).

Le versement des allocations peut être interrompu lorsque les enfants ne sont pas scolarisés. Il est rare qu'une telle décision intervienne pour de courtes absences ; mais il arrive qu'elle soit prononcée à l'encontre de familles sans domicile fixe. De telles décisions interviennent encore, lorsque la municipalité refuse l'inscription des enfants à l'école, considérant que la famille n'est pas domiciliée dans la commune.

La mise en place de nombreuses allocations a permis de répondre à certaines précarités ; leurs conditions d'attribution, dont le bien-fondé n'est pas à mettre en cause, aboutissent parfois malheureusement à exclure de leur bénéfice, les familles qui en auraient le plus besoin.

L'allocation-logement, dont l'octroi dépend de la conformité du logement « aux normes minimales d'habita-bilité » pénalise en réalité les familles qui ne trouvent pas de logement en rapport avec leurs besoins et leurs ressources (cf. chapitre III de la présente partie).

L'allocation au jeune enfant est diminuée de moitié si les visites prénatales et les examens de santé ne sont pas effectués dans les délais. Or, une étude portant sur une circonscription C.A.F. (1) indique qu'environ 1/3 des femmes les plus démunies dans le groupe étudié ne satisfont pas à ces obligations soit parce qu'elles ne les connaissent pas, soit parce qu'elles craignent de se voir reprocher leur grossesse, voire de subir des pressions pour un avortement ou un abandon à la naissance en raison de leurs conditions de vie ; ou encore elles sont empêchées par d'autres soucis beaucoup plus immédiats et plus graves à très court terme (menaces de saisie ou d'expulsion, besoin d'argent).

Par ailleurs, il faut signaler la suppression annoncée du cumul d'allocations au jeune enfant, lorsque plusieurs enfants y donnent droit ; elle pénalise directement les familles les plus pauvres, chez lesquelles les naissances rapprochées sont plus fréquentes.

L'allocation de parent isolé (A.P.I.), qui assure sous condition de ressources un revenu substantiel aux mères isolées (3 366,70 F en octobre 1986 pour une mère et un enfant) garantit cette sécurité pour un temps limité (un an prolongeable jusqu'au 3` anniversaire du dernier enfant), et à condition que persiste l'« isolement » du bénéficiaire. Un récent rapport du Conseil économique et social (2) a dénoncé les effets pervers induits par le critère d'isolement, vague et difficilement contrôlable. Ce critère suspend l'attribution

d'une prestation à l'absence de partenaire.

(1) Cf. Christine Colin, « Maternité et extrême pauvreté », Université de Nancy, 1980.

(2) Le statut matrimonial et ses conséquences juridiques, fiscales e t s o c i a l e s , a v i s p r é s e n t é p a r M m e S u l l e r o t e t a d o p t é l e

— L'allocation parentale d'éducation est accordée pendant 2 ans au parent renonçant à une activité professionnelle pour l'éducation de 3 enfants au moins. L'objectif de cette allocation est à la fois de favoriser la natalité et de libérer des emplois. A partir du 1" août 1987 il suffira pour bénéficier de cette allocation d'avoir travaillé deux ans au cours des dix dernières années (au lieu de 24 mois dans les 30 mois précédents). Cet élargissement des conditions devrait per-mettre à certaines femmes défavorisées d'en bénéficier. Certes leur nombre demeurera faible parmi les jeunes femmes en grande précarité de ressources car beaucoup font partie des jeunes au chômage depuis la fin de leur scolarité. Aussi, malgré leur assouplissement les conditions d'attribution liées à l'exercice antérieur d'un emploi créent encore certaines inégalités face à la maternité.

Plus graves sont les suppressions concomitantes à son extension, car elles portent directement préjudice aux familles les plus pauvres. Il s'agit de la suppression du cumul d'allocations au jeune enfant (cf. plus haut), de la suppression du « complément familial maintenu », qui pénalisera les familles défavorisées de 3 enfants, dont l'un a 17 ans et demeure effectivement à charge, et de la réduction des conditions d'octroi de la prime de déménagement.

En 1970 avait été créée une allocation d'orphelin pour la charge d'enfants dont l'un des parents (ou les deux parents) était décédé. Elle a été étendue en 1975 à tous les cas où l'un des parents se retrouve seul. Elle a récemment pris le nom d'allocation de soutien familial. Elle est d'un montant modeste : 378,75 F par mois pour un enfant en 1986 (505 F par mois pour un orphelin de père et mère). Depuis janvier 1986, il n'est plus nécessaire que le parent restant engage lui-même une action judiciaire contre le parent défaillant. Il y a -là, l'exemple d'une mesure qui, à la différence de beaucoup d'autres, peut singulièrement aider des parents très pauvres.

Regardons maintenant les modalités générales d'attribution des prestations familiales

Une mauvaise maîtrise de la lecture et de l'écriture rend plus difficile la transmission dans les délais, des nécessaires informations demandées par les Caisses d'allocations fami-liales : déclarations de ressources, changements de résidence, de situation familiale ou de statut professionnel. Il s'ensuit des retards ou des erreurs de versement. Le budget familial en est d'autant plus perturbé si les prestations familiales constituent la principale ressource. Les dossiers sont effec-tivement tôt ou tard régularisés : les sommes dues sont alors versées en une seule fois ; les sommes indues sont récupérées sur les prestations suivantes, qui peuvent être ainsi réduites au maximum de 20 % chaque versement. Il demeure que les variations du montant de ces versements ne permettent pas à la famille de savoir à l'avance sur quelles ressources elle peut compter pour organiser sa consommation, d'autant que les autres ressources sont aussi souvent irrégulières et imprévisibles.

En 1981, le rapport OHEIX avait déjà attiré l'attention sur ce type de difficultés. Depuis, des améliorations sont progressivement apportées : campagnes d'information auprès des allocataires, amélioration de l'accueil dans les Caisses, démarchage à domicile pour une meilleure collecte des données, transfert des dossiers de Caisse à Caisse en cas de changement de circonscription ou de régime, possibilité de versement sur droits supposés (vérification a posteriori et non plus a priori). Ces améliorations ont certainement contribué à éviter des perturbations inutiles dans des ménages très démunis, encore que sur le terrain, demeurent un certain nombre de cas d'interruption de versement avec leurs conséquences sur la vie des familles.

A supposer que ces difficultés soient aplanies, peut-on considérer que ces prestations « compensent » les charges familiales ?

D'après une étude récente, (1) un enfant entraînerait en moyenne pour une famille une dépense supplémentaire de 19 %, 2 enfants 35 %, 3 enfants 56 %, alors que les aides à la famille (prestations familiales et effet du quotient familial) apporteraient en moyenne une augmentation de ressources respectivement de 3 %, de 12 % et de 25 %.

Comme le rappelait M. Fragonard, directeur de la Caisse nationale d'allocations familiales, lors de son audition, le système des prestations familiales permet à un certain nombre de familles (des familles nombreuses spécialement) de sortir d'une situation de pauvreté.

Parmi le quart des familles avec enfants à charge qui ont les revenus primaires les plus faibles, il relevait les variations suivantes :

Nombre d'enfants Revenu primaire maximum à charge par personne et par jour

2 enfants 90 F

3 enfants 62 F

4 enfants 43 F

5 enfants 31 F

6 enfants 21 F

Cette diminution du revenu à mesure que le nombre d'enfants augmente s'explique par le fait que, dans ces catégories de revenus, le nombre croissant d'enfant va de pair avec une détérioration du statut socio-professionnel du chef de famille et avec une raréfaction de l'activité professionnelle féminine.

Si les prestations familiales améliorent incontestablement le revenu disponible de ces familles, elles l'améliorent davantage chez les familles mono-parentales que chez les autres. M. Fragonard estimait qu'en 1986, 150 000 familles avec deux parents restaient en-dessous du seuil de 50 F par jour et par personne, même avec l'apport des prestations familiales.

Une autre forme d'aide aux familles consiste en une réduction de dépenses pour certaines consommations : les bons vacances des Caisses d'allocations familiales ou les réductions de tarifs S.N.C.F. pour familles nombreuses par exemple. Ce sont là des avantages sociaux indéniables pour ceux du moins qui peuvent et savent en tirer parti.

Car il faut avoir l'occasion de prévoir des vacances ou des déplacements, ce qui est rarement du domaine du possible, et n'est pas toujours encouragé en milieu très défavorisé. Là où le dépaysement et l'élargissement de l'univers seraient sans doute le plus nécessaires, nous constatons que les familles y accèdent peu. Les bons vacances permettent à un nombre croissant de familles modestes de partir en vacances ; mais lorsqu'une famille très démunie envisage un départ il lui faut à nouveau solliciter des aides pour régler la différence entre le coût réel du séjour et le montant des bons accordés.

Les prestations familiales jouent un rôle important pour compenser les charges d'éducation des enfants, et empêcher des familles de connaître des situations de grande précarité de ressources. Dans ce but elles devraient, spécialement en ce qui concerne les familles en difficulté, couvrir le coût de l'enfant, être versées de façon régulière et leur être vraiment accessibles. Or les conditions exigées privent encore d'un certain nombre de prestations les familles les plus pauvres.

Les aides spécifiques n'atteignent parfois que certaines catégories d'entre elles, notamment les familles

monoparen-tales.

(1) Laurence Bloch et Michel Glaude, « Une approche du coût de l'enfant », Économie et Statistique, mai 1983.