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Chapitre 1 Les types de maltraitance selon les personnes hospitalisées et leurs

2. La maltraitance liée à des facteurs institutionnels

2.3 Le rythme imposé des soins

Tout au long de l’hospitalisation, l’établissement de santé impose son rythme aux personnes hospitalisées et à leurs proches ; au quotidien, les patients ont l’impression que l’organisation fonctionne devant eux comme s’ils n’existaient pas. Ils subissent les «

dommages collatéraux » de cette organisation, tels que le bruit, un rythme imposé parfois décousu et incohérent rendant impossible le repos.

Très souvent une injonction est faite aux malades d’être à la disposition permanente des professionnels, les personnes prêtent leurs corps le temps nécessaire et n’en disposent plus.

« Je ne parlerai pas ici des rendez-vous d’examens où parqués dans une salle pendant 1, 2 voire 3 heures, l’on doit attendre un passage de 10 minutes en échographie, scanner ou autres radios » (Personne hospitalisée, témoignage écrit)

« Je ne parlerai pas du va-et-vient du personnel soignant dans la chambre de 21 h 00 à 23 h 30 pour température, tension, pouls, dextro. Y a-t-il une autre organisation, je n’en sais rien. Je n’aborderai pas non plus le problème des visites de contrôles après la transplantation : des gens se déplacent depuis 5 h du matin pour un bilan sanguin à 8h et un RV avec le praticien l’après-midi entre 15 h 00 et 19 h 30. Cette longue journée doit se faire sur un banc dur dans des conditions à peine supportables pour un individu en bonne santé» (Personne hospitalisée, témoignage écrit)

Dans la plupart des cas, les malades se plient à cet emploi du temps exigeant.

« Bon ce matin, à 5 heures, on m’a déjà pris la tension.

- À 5 heures ? - Du matin.

- On vous a réveillé ?

- Ouais, un peu, je dormais bien, mais ça n’a pas d’importance.

Et puis petit déjeuner à 9 h 00, 9h15.

- Il ne s’est rien passé entre 5 heures et 9 heures ?

- Ah si ben, il est venu d’autres encore prendre la tension et tout.

- Encore prendre la tension ?

- Oui la tension et la prise de sang » (Personne hospitalisée, témoignage oral)

Les reproches des malades se manifestent quand ils ressentent le besoin de se reposer et qu’ils en sont empêchés. Cela est d’autant plus vrai la nuit où les soignants, pris dans les tâches à assurer, en oublient le respect du sommeil des malades.

« La salle où se trouve le malade comporte deux circuits de lumière commandés séparément : 2 tubes de néon (puissance moyenne) qui éclairent le plan de travail des infirmiers et des internes et 8 tubes de néon (puissance forte) pour la pièce elle-même.

Quand quelqu’un entre et vous allume ces 8 tubes en pleine figure, faites-moi confiance que vos yeux en prennent un sacré coup. Il suffirait en entrant d’allumer tout d’abord les deux tubes du plan de travail pour nous habituer progressivement à la venue de la lumière, puis, dans un deuxième temps, d’allumer cette lumière violente et crue qui vous permet d’opérer sur nous. C’est ça se mettre à la place du malade ! C’est ça l’humanisation dans les hôpitaux ! Pour la plupart des infirmières, c’est Versailles à quatre heures du matin. Pleins feux. On réveille tout le monde. Et que ça saute. Après tout, elles sont bien debout, elles » (Personne hospitalisée, témoignage écrit)

A contrario, quand les soignants s’organisent pour éviter aux malades les désagréments de leur intervention la nuit, les malades le remarquent et leur en sont reconnaissants.

« Les infirmières, je crois même qu’elles laissent la porte pas fermée la nuit, pour pas faire de bruit la nuit parce qu’elles viennent à chaque fois, elles ont une petite lampe, je

32 ne les entends pas ouvrir, ça me réveille parce que j’ai le sommeil très léger « je vous ai réveillé ? », elles font très attention» (Personne hospitalisée, témoignage oral)

La tolérance des parents d’enfants hospitalisés est moindre et ils ressentent la succession de soins et d’examens comme une agression. Ils tentent en vain de protéger leur enfant de cet environnement hostile, comme en témoigne la scène ci-dessous qui se déroule après la réalisation d’une prise de sang.

« Petite tétée, câlin. Tu es bien. Tu puises ton réconfort à sa source. Et tu t’abandonnes et sombres doucement dans le sommeil. Mais c’est l’heure des médecins. Et donc l’heure de se réveiller. Un beau souffle d’anastomose comme le tien ne peut que les faire se déplacer. Tu crois pouvoir te rendormir un peu. Mais l’heure de la radio a sonné. On t’y attend. Qu’à cela ne tienne. On y va. Je te réveille et je t’y accompagne. Tu trouves la force de faire de jolies grimaces. Tu pleures aussi un peu. Bon on remonte. Petite tétée.

Ouf ! Enfin au calme. Je pense inutile, après toutes ces péripéties, de tenter de te mettre au lit et te garde tout contre moi. Au moins tu te reposes un peu. Mais il faut encore installer la tente à oxygène, puis l’oxygène et mesurer ta saturation. Tu dormiras plus tard peut-être. En attendant, il faut te réveiller. Une fois encore. Colère. Colère. Colère.»

(Mère d’un bébé hospitalisé, témoignage écrit sous forme d’une « lettre » adressée à son enfant)

Plus encore, ce rythme imposé finit parfois par entrer en contradiction avec la qualité des soins et les règles d’hygiène, accélérant la dégradation de l’état des personnes :

« Il ne faut pas sonner à 18 h 00 car elles sont occupées, à 19 h 00, elles font les papiers, il fallait attendre 20h00 l’équipe de nuit qui passait la tête en me disant «vous savez qu’on ne peut s’occuper de vous qu’à la fin », donc j’attendais jusqu’à 23 h 00 quand le pus avait coulé à 17 h 00 » (Personne hospitalisée victime d’une infection nosocomiale, témoignage oral)

« Des personnes qui arrivent plus ou moins valides et le rythme et l’organisation du service les obligent à porter des couches et à faire dedans. Les changes, aller aux toilettes se fait à heure fixe. Il n’y a que deux AS pour 24 personnes dépendantes22. Du coup les personnes se dégradent très rapidement : le moral tombe et les capacités avec » (Fille d’une personne âgée hospitalisée, témoignage écrit)

« Un soir des premiers temps, à 18 h, après 8 heures passées au fauteuil roulant sans changement de position et après 6 heures d’attente d’un verre d’eau qu’on m’interdisait de lui faire boire moi-même (« le médecin a prescrit…»), le coucher de ma mère a été reculé de 2 heures (soit donc 10 heures de suite au fauteuil…) au motif que le « premier tour » des couchers ayant commencé pendant qu’elle buvait, il lui faudrait attendre le tour suivant, à 20 h, pour être allongée. Pour être juste ce jour fut un sommet dans le genre mais aussi un concentré révélateur d’un ensemble plus courant ». (Fille d’une personne âgée hospitalisée, témoignage écrit)

22 On note ici que les patients mentionnent eux-mêmes les problématiques de manque de ressources. Elles sont au cœur du discours de professionnels qui sera analysé plus bas.