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Chapitre 3 Les professionnels et la maltraitance ordinaire

3. La mobilisation des professionnels contre le risque de maltraitance et en faveur

3.3 Intégrer la bientraitance dans une approche managériale

On a vu à quel point il était important pour les soignants de pouvoir s’appuyer sur un cadre de référence clair et solide. Les professionnels interrogés ont souligné que pour le faire vivre, un investissement et un positionnement de la hiérarchie directe mais également une présence sur le terrain de la direction sont nécessaires. La direction doit notamment s’assurer que les moyens nécessaires sont mis à disposition des professionnels.

3.3.1 Responsabilité de l’encadrement de proximité

Il a clairement été souligné que la faible mobilisation de l’encadrement était génératrice d’un délitement du fonctionnement des services et du regard porté sur les malades et leurs attentes. S’engager dans une démarche de bientraitance nécessite une mobilisation de l’encadrement.

Sensibiliser les professionnels à la bientraitance implique que les cadres se positionnent ensuite pour gratifier les comportements adéquats mais également pour sanctionner les attitudes déplacées. Les deux leviers permettent de valoriser les professionnels qui développent des pratiques bientraitantes.

« Mais il faut aussi dire quand les choses se sont bien passées, il est tout aussi important de rappeler à l’ordre en cas de dérive que de gratifier les personnels pour ce qui a marché : il faut de la reconnaissance, de la valorisation… » (Cadre de santé)

De même, le cadre doit se positionner pour protéger ses personnels en cas de difficultés avec un malade ou une famille. Il lui appartient alors de se mettre en avant pour gérer les situations les plus difficiles.

« Mais le mieux, c’est d’anticiper : si on sent que c’est une famille à problème qui arrive, on prépare la rencontre, on évite de laisser le personnel accueillir seul la famille, on s’arrange pour que le médecin ou moi-même soyons présents » (Cadre de santé)

3.3.2 Responsabilité des directions d’établissements

Au-delà du rôle déterminant de l’encadrement de proximité, il relève de la responsabilité de tout l’encadrement, en particulier de la direction de l’établissement – et au-delà, de l’ensemble des acteurs de la santé − de s’assurer que les professionnels ont les moyens de travailler correctement.

« Il ne s'agit pas de mettre en cause les professionnels individuellement, on est bien dans de la maltraitance de type institutionnel. L'enjeu est de donner les moyens aux soignants de le faire. La place des soignants est difficile, pris entre les injonctions de la direction et les attentes des associations » (Directeur d'hôpital)

Les professionnels interrogés ont fait part de leur appréciation positive vis-à-vis des directeurs ou membres des équipes de direction des établissements qui n’hésitent pas à se rendre dans les services, à rencontrer les malades et les familles, à être en contact direct avec les soignants. Ils paraissent davantage en situation de repérer les risques de maltraitance, de percevoir les ambiances dans les services.

Aussi le rôle de la direction serait de se doter des moyens d’analyser la situation de l’établissement, d’identifier des indicateurs qui permettront de repérer rapidement un service qui dysfonctionne, et ainsi d’éviter qu’il devienne un service maltraitant. C’est une véritable politique institutionnelle qui doit être mise en place.

« Pour pouvoir mener une véritable politique de prévention de la maltraitance et de promotion de la bientraitance, il faut aller au-delà des plaintes des malades et identifier des indicateurs possibles qui révéleraient des situations de maltraitance, comme par exemple, le turn-over dans un service. Il faut travailler sur la notion de bientraitance mais aussi sur la notion de qualité » (Directrice d’hôpital)

« C’est là aussi le travail de la commission de relations avec les usagers (CRU) mais il faut aller au-delà du simple décompte des plaintes mais s’en servir pour une véritable analyse du fonctionnement de l’établissement et de sa possible maltraitance. On doit s’inscrire davantage dans une politique institutionnelle que dans une dénonciation des comportements individuels. La CRU doit se positionner en amont : quels sont les délais d’attentes aux urgences ? Cinq heures c’est inacceptable. Autrement dit, il s’agit en amont de repérer des axes potentiels de maltraitance et de travailler dessus. Par exemple, le moment de l’entrée et de la sortie sont des moments à risque. Que fait-on pour que cela se passe au mieux ? » (Directrice d’hôpital)

Au-delà, pour les professionnels interrogés, la prévention de la maltraitance et la promotion de la bientraitance s’inscrivent dans un projet de société qui mérite d’être débattu plus largement, surtout en ce qui concerne les personnes âgées.

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« Il devient urgent de construire les filières de prise en charge des personnes âgées en concertation étroite avec la population : pour vos parents âgés, pour vous dans 20 ans, que souhaitez-vous ? Quel type de services ? Quels types d’établissements ? Comment peut-on encore construire des établissements dont on sait aujourd’hui qu’on ne voudra pas y vivre dans 20 ans ? » (Directrice d’hôpital)

C

ONCLUSION

Cette étude permet de mieux appréhender le phénomène de maltraitance « ordinaire » dans les établissements de santé et d’en souligner l’aspect multiforme : atteintes aux droits, déni d’humanité, manque d’écoute, imposition rigide de règles, autant de manifestations pointées par les patients et que l’interrogation des professionnels permet de relier à des facteurs essentiellement institutionnels anciens et nouveaux qui font des établissements de santé des organisations parfois maltraitantes.

Même s’il existe des différences dans l’appréciation de certaines situations entre les usagers et les professionnels, le rapport a mis en évidence une importante convergence autour d’un diagnostic de la situation.

Plusieurs voies sont identifiées permettant de construire une politique de bientraitance : un engagement du management de l’établissement dans toutes ses composantes, une meilleure identification des situations, la formation et la sensibilisation des professionnels, une évolution des organisations.

Ces orientations ont été prises en compte dans le cadre du développement de la nouvelle version manuel de la certification des établissements de santé. Ainsi certaines des pistes et leviers pour la mise en place d’une politique de bientraitance dans les établissements de santé ont été introduites dans le manuel de certification V2010.

- l’intégration de la notion de bientraitance dans la politique et les projets de l’établissement en s’appuyant sur le développement des actions de la CRU ;

- la mobilisation du management de l’établissement sur le sujet ; - la sensibilisation et la formation des équipes ;

- la création d’espaces de débat, permettant de libérer la parole et de travailler la position spécifique de chacun dans le processus de soin ;

- des actions de prévention et d’état des lieux sur la maltraitance ;

- mais aussi des démarches, qu’elles aient ou non le nom de bientraitance, démarches centrées sur l’expérience quotidienne des usagers des établissements de santé, visant l’amélioration de l’accueil, et de la prise en compte des besoins des usagers, des patients mais aussi des familles et des proches et la mise en œuvre des droits des patients.

Ce développement d’exigences sur la bientraitance est synergique avec d’autres développements du manuel et de la procédure de certification V2010 :

- l’exigence renforcée de mise en place d’un système de gestion des plaintes permettant d’apporter des réponses satisfaisantes à toutes les plaintes, et de mettre en place des mesures correctives. Certaines plaintes sont des « signaux » sur la

88 maltraitance « ordinaire » et il y a lieu de mettre en place une analyse approfondie de certaines d’entre elles ;

- la prise en compte dans la procédure des plaintes et réclamations de patients traitées en interface avec le Médiateur de la République dès lors qu’elles mettent en exergue un défaut de fonctionnement ou un déficit d’organisation ayant un impact sur la qualité et la sécurité des soins ;

- l’exigence renforcée de déploiement effectif d’une démarche palliative en direction des patients en fin de vie et de leurs proches.

L’évolution de la certification dans ce domaine et le travail entrepris au travers de ce rapport s’inscrivent dans un contexte plus général de prise de conscience du phénomène de maltraitance « ordinaire » qui conduit à plusieurs initiatives convergentes (rôle sur le développement de la bientraitance et la lutte contre la maltraitance confié aux ARS43 au travers de la loi HPST44, travaux du ministère de la Santé et des fédérations d’établissements, travaux de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et sociaux (Anesm) dans le domaine médico-social qui sont les signes d’un changement profond des perceptions sur cette question.

43 Agences régionales de santé.

44 Loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.