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2. LE CONTENU DES DISCOURS : LES VŒUX DE FIN D’ANNÉE ENTRE

2.3. Au Royaume-Uni : Des vœux entre tradition chrétienne et cohésion du

Pour l‘instant, nous avons pu identifier deux types de discours : un discours assez politisé et influencé par l’actualité politique, et un autre beaucoup moins politisé et dominé par la réflexion et le recul. En étudiant le cas du Royaume-Uni, nous avons tendance à le classer dans la deuxième catégorie avec la petite spécificité qu’il s’agit avant tout un

message personnel et chrétien. Ce qui marque surtout les vœux de la Reine du

Royaume-Uni, c’est son caractère quasiment apolitique. Les règles constitutionnelles du Royaume-Uni imposent au monarque une neutralité politique totale, principe qui s’incarne dans les discours de vœux. En évoquant des évènements qui ont marqué l’année écou-lée, la Reine fait passer un message fédérateur. Elle évoque ses rencontres, la vie de la famille royale, mais avant, elle fait référence au christianisme (rappelons qu’elle est à la tête de l’Église d’Angleterre) comme source de valeurs.

Élisabeth II, de manière générale, introduit ses discours de vœux par un leitmotiv lié au message principal qu’elle souhaite faire passer aux peuples du Commonwealth.

Leitmotivs des vœux de la Reine du Royaume-Uni Année

Le tsunami de 2004 2005

Le vivre-ensemble des générations 2006

Les valeurs de la famille 2007

La philanthropie 2008

Les 60 ans du Commonwealth 2009

Les 400 ans de la Bible de Saint-James 2010

La solidarité 2011

Ces leitmotiv peuvent être de nature différente : des anniversaires importants (les 60 ans du Commonwealth, les 400 ans de la Bible de Saint-James, le Jubilé de diamant de la Reine elle-même), des valeurs dites universelles (le vivre-ensemble, la philanthropie, la solidarité, la réconciliation). Malgré leur diversité, tous s’inscrivent dans une perspec-tive de cohésion sociale. En regardant cette liste, nous constatons qu’aucun sujet évoqué par la Reine n’est d’ordre politique. Elle se sert par contre de ces sujets pour évoquer des valeurs ayant vocation à unir la nation, voire le Commonwealth. En 2015, elle introduit son discours en expliquant l’histoire du sapin de Noël, symbole des fêtes de fin d’année et objet qui fédère les familles dans le monde chrétien :

At this time of year, few sights evoke more feelings of cheer and goodwill than the twinkling lights of a Christmas tree. The popularity of a tree at Christmas is due in part to my great-great grandparents, Queen Victoria and Prince Albert. After this touching picture was published, many families wanted a Christmas tree of their own, and the custom soon spread79.

Dans l’introduction pour ce discours, la Reine réussit à parler à la fois de coutumes de Noël et de la famille. Elle est l’élément fédérateur dans un pays marqué par des affirma-tions régionalistes assez fortes. En 2007, elle utilise ce même moyen, mais cette fois-ci en soulignant son âge avancé lui permettant de prendre du recul par rapport aux chan-gements de la société :

One of the features of growing old is a heightened awareness of change. To re-member what happened 50 years ago means that it is possible to appreciate what has changed in the meantime. It also makes you aware of what has remained constant. In my experience, the positive value of a happy family is one of the factors of human existence that has not changed. The immediate family of grand-parents, parents and children, together with their extended family, is still the core of a thriving community80.

Dans cette même logique, la Reine du Royaume-Uni se réfère à des évènements his-toriques avec comme objectif d’appeler à la mémoire collective et finalement, d’unir la Nation autour de son histoire commune. C’est ainsi qu’elle évoque le centenaire de la Grande guerre dans son discours de 2014, mais en insistant sur la réconciliation désor-mais établie entre les anciens ennemis. Elle revient, de manière assez détaillée, sur la trêve de Noël de 1914 qui a permis aux soldats des deux côtés de passer des fêtes de fin d’année sans bataille sanglante :

79 The Queen’s Christmas Broadcast 2015, in http://www.royal.gov.uk/ImagesandBroad-casts/TheQueensChristmasBroadcasts/ChristmasBroadcasts/ChristmasBroadcast2015.aspx

(14/02/2016).

80 The Queen’s Christmas Broadcast 2007, in http://www.royal.gov.uk/ImagesandBroad-casts/TheQueensChristmasBroadcasts/ChristmasBroadcasts/ChristmasBroadcast2007.aspx

In 1914, many people thought the war would be over by Christmas, but sadly by then the trenches were dug and the future shape of the war in Europe was set. But, as we know, something remarkable did happen that Christmas, exactly a hundred years ago today. Without any instruction or command, the shooting stopped and German and British soldiers met in No Man’s Land. Photographs

were taken and gifts exchanged. It was a Christmas truce81.

En insistant sur ce qui a unifié les gens pendant la guerre et non pas sur ce qui les a divisés, elle prononce un message fédérateur et réussit à en tirer des leçons pour notre temps. Plus loin dans son discours, elle évoque le conflit de l’Irlande du Nord et le refe-rendum sur le maintien de l’Ecosse au sein du Royaume-Uni. Sans exprimer directement son opinion, elle arrive quand même à faire passer un message fédérateur et réconcilia-teur en liant des faits historiques à l’actualité politique de son pays.

En incarnant le Royaume-Uni, Élisabeth II œuvre dans ses discours pour une meilleure cohésion sociale dans son pays et cela sur deux échelles : premièrement, elle souligne l’importance de la famille constituant un lieu de repos et de sécurité. La famille royale lui sert de bon exemple et c’est pour cette raison qu’elle n’hésite pas à évoquer la naissance de ses arrière-petits-fils ou le soixantième anniversaire de son mariage avec le Prince Philip, et ce d’autant plus que ces évènements attirent toujours l’attention du public bri-tannique et international. Deuxièmement, elle évoque des faits historiques décisifs pour l’histoire du pays, comme par exemple la Grande guerre.

Contrairement aux discours que nous avons analysés dans les sous-parties précé-dentes, ceux d’Élisabeth II s’adressent à un public au-delà des frontières nationales. Étant chef de l’État de seize Royaumes du Commonwealth, elle s’adresse à cette com-munauté héritée du colonialisme britannique. Elle profite alors du soixantième anniver-saire de cette communauté pour mettre en valeur l’importance du Commonwealth. Elle explique :

It is sixty years since the Commonwealth was created and today, with more than a billion of its members under the age of 25, the organisation remains a strong and practical force for good. Recently I attended the Commonwealth Heads of Government Meeting in Trinidad and Tobago and heard how important the Com-monwealth is to young people82.

Of course, family does not necessarily mean blood relatives but often a descrip-tion of a community, organisadescrip-tion or nadescrip-tion. The Commonwealth is a family of 53

nations, all with a common bond, shared beliefs, mutual values and goals83.

Selon ces explications de la Reine du Royaume-Uni, nous comprenons qu’une com-munauté existe notamment à cause de l’affirmation de celle-ci par des liens communs, ces valeurs partagées et des objectifs mutuels. Ses arguments s’inscrivent dans un con-cept d’une nation moderne où le jus sanguinis n’est plus en vigueur.

La communauté du Commonwealth existe aussi grâce au sport et plus précisément grâce aux Commonwealth Games qui ont lieu tous les deux ans. Élisabeth II affirme donc les vertus fédératrices du sport, qui fait oublier les différences entre les nations et les personnes.

Sport has a wonderful way of bringing together people and nations, as we saw this year in Glasgow when over seventy countries took part in the Commonwealth Games. […] As with the Invictus Games that followed, the courage, determination and talent of the athletes captured our imagination as well as breaking down di-visions84.

Cet extrait de son discours de 2014 nous permet d’appréhender le lien qui existe entre le sport et la cohésion au sein d’une communauté. Pour la Reine du Royaume-Uni, qui l’exprime régulièrement dans ses discours de vœux des dix dernières années, le sport et l’affirmation de défis partagés sont deux des facteurs les plus importants pour affirmer l’existence du Commonwealth.

Notons en revanche que dans l’ensemble des discours étudiés, la Reine ne parle pas de l’Europe de cette manière. Ses propos semblent être davantage orientés plus loin, au-delà des frontières de l’Europe pour retrouver le ruban mondial qui unit le Commonwealth. Le Royaume-Uni, pays important de l’Union européenne, affirme son particularisme par ce silence de son chef de l’État, qui ne se réfère pas à l’idée européenne dans ses vœux annuels à la Nation.

Un autre élément clé dans les vœux d’Élisabeth II est la référence au christianisme. Chef de l’Église d’Angleterre, le monarque britannique occupe un rôle majeur dans le monde chrétien. S’exprimant à l’occasion des fêtes, Élisabeth II n’hésite donc pas à rap-peler l’histoire de Noël, celle de Jésus ou celle de l’Église d’Angleterre. C’est dans cette dernière catégorie que rentre son discours de 2010, dans lequel elle mentionne les 400 ans de la Bible de Saint-James, traduction la plus répandue au Royaume-Uni.

83 The Queen’s Christmas Broadcast 2011, in http://www.royal.gov.uk/ImagesandBroad-casts/TheQueensChristmasBroadcasts/ChristmasBroadcasts/TheQueensChristmasBroadcast.aspx (14/02/2016).

Over four hundred years ago, King James the Sixth of Scotland inherited the throne of England at a time when the Christian Church was deeply divided. […] The King agreed to commission a new translation of the Bible that was acceptable to all parties. This was to become the King James or Authorized Bible, which next year will be exactly four centuries old. Acknowledged as a masterpiece of English prose and the most vivid translation of the scriptures, the glorious language of this Bible has survived the turbulence of history and given many of us the most widely-recognised and beautiful descriptions of the birth of Jesus Christ which we celebrate today85.

Au-delà de cette leçon d’histoire britannique, la Reine utilise la référence à l’histoire de Noël et à la naissance de Jésus pour affirmer la cohésion sociale qui doit s’incarner dans les fêtes de fin d’année.

At Christmas I am always struck by how the spirit of togetherness lies also at the heart of the Christmas story. […] This is the time of year when we remember that God sent his only son 'to serve, not to be served'. He restored love and service to the centre of our lives in the person of Jesus Christ. It is my prayer this Christ-mas Day that his example and teaching will continue to bring people together to give the best of themselves in the service of others86.

La cohésion sociale au moment de Noël se construit également par des pensées aux soldats engagés sur des conflits partout dans le monde et à ceux qui ont perdu récem-ment un proche. Les fêtes de fin d’année semblent ainsi être un morécem-ment permettant aux citoyens de se rapprocher les uns des autres.

La Reine du Royaume-Uni, dans les discours de vœux étudiés, incarne ainsi pleine-ment son rôle constitutionnel qui la maintient au-dessus de la vie politique du pays. En renforçant la cohésion au sein du Commonwealth et du Royaume-Uni, Élisabeth II émet un message fortement marqué par le christianisme. Ses déplacements, ses expériences après tant d’années à la tête de seize Royaumes et la vie de la famille royale lui servent très souvent de point de départ pour fédérer la Nation autour de valeurs communes.

Conclusion partielle

Cette deuxième partie de notre étude nous a permis d’analyser le contenu des discours afin d’en dégager de grandes tendances pour chacun des trois pays étudiés. Notre dé-marche a consisté en une analyse quantitative, identifiant les thèmes abordés par les acteurs politiques concernés dans leurs discours de vœux de fin d’année. Cela nous a permis dans un premier temps d’énumérer les thèmes « incontournables » se répétant chaque année ou presque. Nous avons pu ensuite identifier, dans un deuxième temps, quelques thèmes issus de l’actualité politique qui ont été mentionnés de manière aléa-toire. Dans cette même logique s’inscrivent les discours de la Reine du Royaume-Uni, qui choisit toujours un thème particulier pour introduire ses discours. Cette analyse dite quantitative a été enrichie avec des exemples issus du corpus qui nous ont permis d’il-lustrer nos arguments. Il faut comprendre ces thèmes identifiés et les exemples choisis comme autant d’éléments de cette analyse de contenu visant à en tirer des conclusions concises. Le lien entre les thèmes abordés et le rôle constitutionnel a pu être établi comme le suggère notre deuxième hypothèse.

Quels sont, alors, les enseignements mis en lumière par cette analyse approfondie de notre corpus ? Avant tout, nous avons pu identifier trois éléments clés qui font un discours de vœux, pour ce qui est des discours retenus dans le présent corpus :

(1) Un message rassembleur affirmant des valeurs positives (républicaines, cons-titutionnelles, sociétales) et un passé commun ;

(2) Un message de solidarité avec les plus vulnérables (personnes isolées, per-sonnes âgées, perper-sonnes ayant perdu un proche) et un message de remercie-ment à ceux s’engageant particulièreremercie-ment pour la société (soldats engagés à l’étranger, bénévoles, personnes travaillant pendant les fêtes) ;

(3) Une référence à l’actualité politique plus au moins directe en fonction du posi-tionnement constitutionnel du personnage politique en question.

Avant de passer à la dernière partie de notre étude consacrée à l’analyse de l’image institutionnelle transportée par ces discours, il est opportun de rappeler deux limites des discours de vœux : premièrement, ces discours sont marqués historiquement. Ils reflètent les sujets de société et les analyses politiques de l’année en question, et portent un mes-sage pouvant devenir caduc dès le lendemain. Deuxièmement, ils s’inscrivent dans une logique nationale, sont adressés uniquement à un public national avec des particularités et des priorités peu transposables à l’étranger.

3. LE DISCOURS COMME VECTEUR D’IMAGE : LES VŒUX DE FIN D’ANNÉE