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Chapitre II : Histoire de la littérature fantastique

2.5 Le romantisme

En 1764, paraît Le château d'Otrante de Horace Walpole, qui signe la venue de la vague des romans gothiques. Dix ans plus tard, le Werther de Goethe marque le tournant romantique dans l'histoire littéraire. Chez le premier, on retrouve déjà les traces de ce que l'œuvre de Goethe fera germer pour tout le mouvement romantique à venir : retour à la subjectivité, au sentiment, puis, par extension, goût pour l'anormal et l'exotique. Dates significatives donc, qui indiquent non seulement l'avènement du préromantisme et un retour à l'imaginaire dans le paysage littéraire mais qui, déjà, dégagent peu à peu des structures qui s'apparentent au fantastique tel qu'il se développera à !'ère du romantisme. Ce dernier a vu le jour en Angleterre et en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle, pour ensuite se répandre à travers les pays d'Europe et d'outre-mer sous différentes formes provoquant différents impacts. Notons entre autres le mouvement allemand du Sturm und drang, qui brandit, vers la fin du XVIIIe siècle, les premiers principes du romantisme naissant. Le terme lui-même provient de l'expression anglaise romantic, qui signifiait donner un sens romanesque (c'est-à-dire qui évoque les anciens romans médiévaux) à un texte littéraire. On en vint ensuite à définir comme romantique tout ce qui, de près ou de loin, s'opposait aux textes

classiques des XVIIe et XVIIIe siècles, en se référant aux sentiments personnels comme supérieurs à la raison, en s'inspirant des racines nationales et non plus des humanités gréco-latines, en donnant une place primordiale à !'imagination, etc. Ainsi le romantisme, qui ne deviendra réellement un mouvement littéraire qu'au cours du XIXe siècle, se fonde sur des principes littéraires en désaccord avec la mentalité classique : le Beau n'est plus de toutes les époques, il est divers, selon les peuples et les moments de l'Histoire. Il ne doit donc plus y avoir de règles définies en ce qui concerne le goût. L'émotion, le sentiment, l'originalité et l'imaginaire doivent prévaloir sur les doctrines littéraires et artistiques traditionnelles de l'imitation et du bon goût issues du sens commun. La poésie, le légendaire du terroir et les mythes ruraux deviennent un facteur déterminant de ce qui, émergeant spontanément de l'âme d'un peuple, doit être considéré comme Art véritable. En effet, pour les romantiques, l'âme d'un peuple surgit spontanément dans les milieux populaires sous les traits de mythes et de légendes, et si la mythologie gréco-latine correspond aux peuples méditerranéens, ce serait une erreur de chercher à les imiter. Il faut plutôt se tourner vers ses propres racines populaires, d'où un retour aux textes et à l'esprit médiévaux. C'est d'ailleurs en ce sens que nombre de romantiques intègrent le merveilleux chrétien au cœur de la littérature, non plus seulement comme amusement mélancolique mais comme vivacité symbolique primordiale. Précisons que le romantisme dont il est ici question se concentre autour de ce courant allemand du début du XIXe siècle avec, comme figures de proue, les Arnim, Brentano, Eichendorff, Grimm, Hoffmann etc., et qu'il devait se répandre rapidement dans presque tous les pays européens.

Vilipendé de part et d'autre, le romantisme se rallie de bonne heure aux écrits fantastiques, où il trouve un appui à une bonne partie de ses thèses. H sent une proximité de sentiments à travers trois assises principales. Tout d'abord, parmi les hens les plus importants, on retrouve cette critique partagée du rationalisme et de ses absolus. En effet, le Rationalisme et le Classicisme, auxquels s'opposent

farouchement les romantiques, mènent la vie dure aux tenants de Γimaginaire et de la subjectivité. Kant avait déjà proclamé les limites de !,entendement quant à la compréhension par l'être humain de !,univers. Certains font de cette doctrine de la rationalité une sorte d'absolu au-delà duquel il est impossible d'aller, mais le Romantisme et l'Idéalisme allemand (Fichte et Schelling) interprètent plutôt ces conclusions comme une façon de constituer la subjectivité en maître. Alors que le Matérialisme grandissant désire poser le monde comme un invariant connaissable par la raison seule, le Romantisme entend montrer que non seulement le monde n'est pas réductible à des impératifs logiques, mais qu'il ne se constitue entièrement que par le rapport étroit qu'il entretient avec la subjectivité humaine. Ainsi, en passant du Classicisme au Romantisme, la vision du monde des Lumières se voit renversée. Si le penseur du XVIIIe siècle plaçait l'être humain parmi la diversité des éléments matériels, le Romantisme en fait plutôt l'élément central à l'intérieur duquel se trouve la nature. Bien que le philosophe des Lumières peut connaître le monde à travers sa raison, comme quelque chose d'extérieur à lui, le Romantisme préfère comprendre le monde à travers la subjectivité de l'individu : la nature est un reflet des aspirations humaines, elle ne s'oppose pas à lui, elle en est la structure intime. Alors que l'esprit des Lumières cherche à ramener le particulier vers le général et l'universel, les romantiques tentent de leur côté de percevoir la prédominance du particulier à travers les généralités abstraites du monde et de l'esprit. Les notions de progrès, d'éducation et d'avancement humain, chères aux yeux des Lumières, ne trouvent pas d'écho chez les romantiques, qui voient plutôt en l'homme un être déchu aux aspirations grandioses (on évoque d'ailleurs assez souvent la figure de Lucifer en analogie à la situation de l'humanité). On remarque également un profond vague à l'âme, une mélancolie parfois désespérée et qui, sans pourtant tomber dans le nihilisme, ramène les romantiques à une vision du monde clair-obscur, teintée de zones d'ombre impénétrables où il fait cependant bon s'aventurer comme à l'intérieur de

la prima mater. Cette expédition dans le royaume des ténèbres n'apporte cependant aucune réponse, seulement un abri provisoire :

Les récits merveilleux sont aussi vieux que les religions et les superstitions, c'est-à-dire que l'humanité. Mais à mesure que le roman, au sens moderne du mot, se constituait en Europe, il se bornait de plus en plus à l'humain, au rationnel, éliminant le surnaturel et le fantastique. À la fin du XVIIIe siècle, les romans mystérieux du type de Lewis ou Radcliffe étaient déjà très marqués d'un certain romantisme. Ils se continuent directement par les récits terrifiants, où le surnaturel tient plus ou moins de place, de l'Anglais Maturin : Bertram et Melmoth le voyageur, qui furent en France traduits, imités, plagiés par Nodier, et plusieurs autres. Ces années 1818-1822 voient à Londres et surtout à Paris la mode littéraire du vampirisme, dont on attribuait la première expression à Byron, et à qui ce nom si admiré prêtait du crédit ; Lord Ruthwen ou les vampires, de Nodier, offrait le type du genre. L'exploitation de ce thème atroce fut bientôt épuisée. Mais la reprise par les romantiques de presque tous les pays, sur un plan poétique, des croyances populaires, des légendes touchant les êtres surnaturels qui se mêlent à la vie des hommes : fées, lutins, elfes, trolls, démons, génies des eaux, des bois, des montagnes, devait enrichir la fiction en prose de maints éléments fantastiques, gracieux ou terribles, qui dans les périodes littéraires précédentes étaient abandonnés aux contes de nourrice et aux récits des veillées de village17.

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